Favorite des Canadiens et Canadiennes, la viande de bœuf est aussi la plus nocive pour le climat. Est-il vraiment possible de réduire son empreinte carbone sans se priver du plaisir de la chair animale? Unpointcinq s’est penché sur cette épineuse question.
Les faits ont de quoi crever le cœur des amateurs de barbecue et de tartares. « C’est vrai. Le bœuf est une viande dont l’empreinte carbone est très élevée. Celle de l’agneau l’est un peu plus, mais on mange tellement plus de bœuf que d’agneau qu’au final la viande de bœuf est plus dommageable pour le climat », tranche le chercheur émérite d’Agriculture Canada, Raymond Desjardins.
Plus précisément, le chercheur et ses collègues ont démontré que l’empreinte carbone d’un kilogramme de protéines de bœuf représente l’équivalent de 119 kg de CO2, ce qui la rend cinq fois plus élevée que celle du porc (25 kg) et dix fois plus que celle du poulet (11 kg). « La principale raison, c’est que les ruminants produisent du méthane [un puissant gaz à effet de serre (GES)] », explique le chercheur, en faisant référence aux rots et flatulences engendrés par la digestion des bovins et rejetés dans l’atmosphère. « C’est presque 90 % des émissions de méthane reliées à l’agriculture au pays », illustre-t-il.
Bœuf à l’herbe : mieux ou pas?
Des producteurs de bœuf, des boucheries et des restaurants ont compris que les consommateurs se préoccupent de plus en plus de ce qui se retrouve dans leur assiette, mais que la viande les fait toujours autant saliver. Par exemple, la chaîne de restauration rapide A&W vante dans ses publicités son bœuf nourri à l’herbe, sans antibiotiques ni hormones de croissance. Mais cette viande est-elle réellement moins dommageable pour le climat?
Non, croit le chercheur Raymond Desjardins. « En moyenne, au Canada, une alimentation composée exclusivement d’herbe produit environ 17 % plus de GES par kilogramme de bœuf que la production dans les parcs d’engraissement, où la nourriture est tellement riche que les animaux vivent beaucoup moins longtemps, donc émettent moins de méthane. »
On n’a pas besoin de consommer autant de viande qu’on en consomme présentement. On peut se calmer sur la consommation de calories!
L’agronome Robert Berthiaume n’en est pas si sûr. Il croit que d’autres éléments doivent être pris en compte, comme la provenance de la nourriture du bœuf conventionnel. « Si on lui a donné du maïs à cet animal-là, c’est vrai, il produit moins de méthane par kilogramme de matière sèche injectée. Mais le maïs, il a été produit comment, lui? Avec une plante annuelle, produite à partir de sols qu’on laboure chaque année », évoque-t-il. Ce labourage annuel, en retournant la terre, libère le carbone qui y était séquestré.
À l’inverse, lorsque l’animal se nourrit exclusivement au pâturage, peu importe la méthode, le sol n’est jamais à nu et il contribue plutôt à emmagasiner du carbone par les racines des plantes. « En général, les sols sous prairies (herbe) ont des stocks de carbone plus élevés que les sols sous cultures annuelles, comme le maïs ou les céréales. Le maintien en prairie permet la préservation du carbone du sol », confirme Denis Angers, un autre chercheur d’Agriculture Canada.
Vers un bœuf carboneutre?
En Abitibi, Simon Lafontaine et Frédérique Lavallée, un jeune couple d’agronomes, sont en train de mettre cette théorie en pratique. Ils veulent démontrer qu’il est possible de produire un bœuf carboneutre en déplaçant plusieurs fois par jour leur troupeau, afin de laisser aux plantes plus de temps pour repousser et, ainsi, stocker plus de carbone dans leurs racines. Le projet Écoboeuf se compose de deux volets. D’un côté, la commercialisation de ce bœuf nourri exclusivement à l’herbe et de l’autre, le projet de maîtrise de Frédérique Lavallée. L’objectif de sa recherche : calculer l’impact réel de la gestion du pâturage en rotation, jumelé à l’agroforesterie.
« Si les sols sont pauvres et dégradés et qu’on utilise cette pratique comme agriculture régénérative, on va augmenter la teneur en carbone du sol et on peut produire un bœuf carboneutre certainement pour quelques années », concède Raymond Desjardins. Il est par contre trop tôt encore pour déterminer si la recette de l’Écoboeuf est applicable à une plus grande échelle. « Il y a tellement de variables qui entrent en jeu : le type de sols, le climat, le temps de croissance des animaux… Je ne sais pas à quel point ça va être applicable à l’échelle du Québec », avoue Frédérique Lavallée.
Si [le bœuf carboneutre] est produit pour répondre à la demande actuelle, on ne réglera pas le problème. Diminuer sa consommation, c’est la clé.
Et la viande de laboratoire?
Faite à partir de cellules souches animales, la viande de synthèse coûte très cher à produire et n’est pas encore commercialisée. Avec un minime échantillon de muscle, on peut créer des boulettes à l’infini! Pas d’animaux, pas de souffrance, pas de pesticides et supposément pas de méthane. Sauf que…
La production de cette viande soulève de nombreux enjeux éthiques et écologiques. Élisabeth Abergel, professeure de sociologie à l’UQAM se penche sur l’aspect socioéthique. D’après elle, il y a encore beaucoup de zones grises. « On va faire fermenter des kilos de viande dans de grandes cuves, et des études estiment que ça va dégager d’énormes taux de méthane et que ça utilise beaucoup d’eau », indique-t-elle.
Le consensus : en manger moins
Même si l’Écoboeuf réussit un jour à démontrer sa carboneutralité, ses producteurs conseillent de consommer moins de bœuf. « S’il est produit pour répondre à la demande actuelle, on ne réglera pas le problème. Diminuer sa consommation, c’est la clé », admet Simon Lafontaine.
Dans ses travaux, Raymond Desjardins a calculé les impacts de certains changements d’habitudes dans la population canadienne. « Présentement, au Canada, en termes de viande rouge, on consomme environ 50 % de porc et 50 % de bœuf. Juste avec 75 % de porc et 25 % de bœuf, on réduirait les émissions de GES du secteur agricole d’environ 4 millions de tonnes de CO2 par année. Ça représente environ 6 % des émissions du secteur agricole », illustre le chercheur.
Quant à l’agronome Robert Berthiaume, il ne mâche pas ses mots pour clamer l’importance de manger moins de bœuf et de mieux choisir celui qu’on consomme même si son prix est plus élevé. « Si on produit du bœuf nourri à l’herbe, chaque citoyen va le payer plus cher et le monde va en consommer moins. En tout cas, je l’espère! On n’a pas besoin de consommer autant de viande qu’on en consomme présentement. On peut se calmer sur la consommation de calories! »
Et la viande locale?
Dans le cadre d’un essai de maîtrise publié en 2016, l’étudiante en environnement Corinne Côté, de l’Université de Sherbrooke, a comparé l’empreinte carbone des régimes locavore et végétalien pour un consommateur québécois. Ses conclusions démontrent que le régime végétalien a un plus faible impact sur le plan des gaz à effet de serre que le régime locavore, lorsqu’il est pratiqué au mois de janvier au Québec. Corinne Côté a constaté que la consommation de viande et de produits animaux augmente l’empreinte carbone du régime locavore de 13,8 %.
Cet article a initialement été publié dans le cadre du défi «Slaque sur la viande» organisé par Unpointcinq du 2 au 22 novembre dernier.