Dans Charlevoix, le terroir a peut-être la cote, mais le prix des denrées suit la même courbe ascendante qu’ailleurs. Impliquée à l’école que fréquentent ses enfants, Marie-Sophie Bertrand a sauté à pieds joints dans l’aventure de Communoterre afin de contribuer à développer l’autonomie alimentaire, la conscience écologique et la résilience de centaines de jeunes de sa communauté. Et ça marche!
Avec curiosité, les élèves de la classe de 5e année suivent les indications de Jacqueline Witschi. Ni prof ni spécialiste, l’amatrice de pain au levain est en classe pour leur expliquer les mystères pas si mystérieux de cette méthode de panification vieille comme le monde dans le cadre du projet Communoterre.
Communoterre a été lancé en 2022 par Marie-Sophie Bertrand. Cette joaillière et maman, membre du conseil d’établissement de l’école primaire, a littéralement sauté dans le vide pour le mettre sur pied. « Il y avait un mini budget en sécurité alimentaire octroyé par une fondation à notre école, et on avait besoin de quelqu’un pour faire quelque chose avec ça. J’ai levé la main! »
Sa vie venait de prendre un détour inattendu qui s’inscrirait dans la durée. « Au début, l’argent a servi à acheter des collations pour les élèves. C’était une solution rapide, mais je souhaitais trouver une façon d’offrir quelque chose à plus long terme : instaurer de bonnes habitudes alimentaires, permettre aux jeunes de comprendre d’où venait leur nourriture, leur donner des outils pour qu’ils puissent eux-mêmes se nourrir, à leur échelle. En discutant avec l’équipe-école et en m’inspirant de ce qui se fait ailleurs, j’ai inventé un projet autour de valeurs de développement durable et de communauté, qui sont importantes à mes yeux », raconte-t-elle.
Un projet très complet
Alors qu’elle fait le récit de la naissance, puis de la croissance vertigineuse de ce qui allait devenir Communoterre, ses yeux pétillent de fierté.
Marie-Sophie, qui n’est pas enseignante, préfère parler de projet et d’ateliers plutôt que de programme, mais force est de constater que Communoterre a toutes les apparences d’un programme. « Il y a une structure, du contenu scientifique, des compétences transversales… Chaque niveau travaille sur des thématiques différentes qui créent, au final, un continuum d’apprentissages et d’expériences », explique-t-elle.
Les profs demeurent maîtres à bord, puisque ce sont eux et elles qui décident de « l’intensité » de Communoterre dans leur classe. La grande force du projet de Marie Sophie est d’ailleurs sa souplesse, selon les enseignantes et enseignants.
« À la base, c’était des ateliers ponctuels, je voyais les élèves de trois classes pilotes tous les neuf jours. La 2e année, Jean Sébastien Gagnon, à la direction, très ouvert aux idées, m’a proposé d’étendre le projet et je suis passée de trois à dix classes, soit tous les premiers niveaux de chaque cycle. C’était sur une base volontaire pour les profs, mais tous les profs ont dit oui! » raconte-t-elle.
Cette année, Marie-Sophie côtoie les élèves des 23 classes de la petite école primaire Forget, l’une des plus grandes de la région avec ses 478 élèves.
Financé aujourd’hui par la Ville de Baie-Saint-Paul, le centre de services scolaire, les Caisses Desjardins et Développement Social Intégré Charlevoix (DSI), le projet est sur les rails.
« Il y a différentes options d’ateliers, de conférences, de sorties sur le terrain… Les profs peuvent choisir le package complet ou certaines activités à la carte. Je m’adapte à leurs besoins. La collaboration est super importante et très fluide avec les profs. »
Semer des graines pour le futur
Josianne Ménard, qui l’accueille dans sa classe ce jour-là, est de l’aventure depuis le projet pilote. « J’aime travailler avec Marie-Sophie, elle est très organisée, elle a plein d’idées et les élèves embarquent! C’est toujours très concret. Il y a un fil conducteur de la maternelle à la 6e année, et on peut également arrimer ça avec nos programmes, notamment en sciences, en univers social… Et qui plus est, ça sème des graines pour le futur! Combien d’élèves auront envie de faire un petit potager, du bénévolat, du pain? »
Dans la classe d’adaptation scolaire, la présence de Communoterre se fera bientôt sentir grâce à une verdoyante étagère de plantes. Quand arrive le printemps, les semis s’égaient le long de fenêtres. Chaque classe possède son système de culture avec lampes de croissance. Les classes se partagent 14 bacs de culture disposés à l’avant de l’école pour s’initier aux joies du jardinage.
Ce n’est pas un hasard si le projet s’appelle « Communoterre ». Marie-Sophie sollicite la collaboration de plusieurs spécialistes de sa communauté, à l’instar de Mme Witschi.
« Je recrute des membres de la collectivité et du monde agroalimentaire qui est très foisonnant ici. Avant que la personne-ressource entre dans la classe, on travaille ensemble à bien planifier l’atelier. Son expertise doit rentrer dans un cours de 55 minutes, alors il y a une notion d’efficacité. Parfois, les ateliers vont durer deux périodes, mais il y a toujours une notion de rythme pour que les jeunes accrochent. »
Et les élèves accrochent, comme le confirme l’état de joyeuse fébrilité qui règne dans la classe de Mme Josianne.
« Les élèves ont du fun! Tous les ateliers sont très concrets, hands on! Aujourd’hui, on fabrique du levain, mais on fait mille et une choses! On a planté des patates au printemps, qu’on a récoltées à l’automne puis qu’on est allé porter au caveau. On va en transformer une partie et en garder d’autres pour les planter au printemps. Dans nos bacs, on a des fleurs pollinisatrices, des céréales comme de l’avoine, du blé, du sarrasin, les trois sœurs… Comment ça pousse ensemble, du maïs, des courges et des haricots? Comment ça se récolte, de l’avoine? On expérimente! »
La communauté est sollicitée également pour s’assurer que les petites pousses du printemps survivent à l’absence des élèves durant l’été. « L’été dernier, 11 familles se sont partagé le calendrier et venaient arroser, sarcler et faire un entretien minimal pour que les jeunes retrouvent leurs bacs bien florissants à la rentrée. »
Les élèves des derniers cycles ont la chance de côtoyer des chefs de grand renom du coin, comme Sylvain Dervieux, de Faux Bergers. « Les 4e, 5e et 6e années cuisinent pour la banque alimentaire du centre communautaire. Chaque fois, un chef les accompagne et les jeunes adorent ça. Ils se sentent utiles. Ça déstigmatise le fait d’avoir recours à la banque alimentaire parce qu’on en discute de façon ouverte. »
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Une quête de sens
Marie-Sophie n’exclut pas de refaire de la joaillerie un jour, mais Communoterre coche toutes les cases de sa quête de sens. « Ça me nourrit énormément! C’est beaucoup de travail, mais je suis curieuse et j’aime apprendre. J’ai besoin de connecter avec les gens et Communoterre m’a offert ça. Et franchement, le bonheur des enfants quand ils font cuire au four à bois une pizza dont ils ont fait la pâte avec la farine du moulin qu’on a visité, leur propre levain et la sauce à partir des légumes qu’ils ont fait pousser, c’est ma récompense! »
Le « projet » (ne l’appelons pas programme, insiste-t-elle) pourrait-il connaître un déploiement au-delà de la cour de l’école Forget?
« Ça pourrait s’étendre. De quelle façon? On ne le sait pas encore, mais il y a de l’intérêt. Pour ma part, j’ai l’impression de faire quelque chose d’utile dans ma communauté, avec ma communauté. Le but n’est pas de nourrir les enfants, mais de leur faire découvrir que ce n’est pas sorcier de bien manger quand on est outillé! Et que c’est même vraiment amusant! » conclut la principale intéressée.
Comme disait l’adage, plutôt que de leur donner du poisson, apprenez-leur à pêcher!