Manger le carbone par la racine

recherche sur le stockage du carbone dans les sols
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© Émélie Rivard-Boudreau

Un village du Témiscamingue connu pour son rodéo du camion (!) est en train de devenir une plaque tournante de la recherche sur la captation des gaz à effet de serre grâce aux travaux d’un chercheur passionné par les sols.

Notre-Dame-du-Nord, Témiscamingue. Du pont de ce village d’environ 1000 âmes, la vue sur la rivière des Outaouais et la tête de l’immense lac Témiscamingue est imprenable. Seul le sifflement du vent trouble le silence.

C’est dans cet endroit bucolique qu’a échoué il y a trois ans le chercheur Vincent Poirier. « Un des plus beaux labos du monde », dit-il en parlant des installations de l’Unité de recherche et de développement en agroalimentaire de l’Abitibi-Témiscamingue (URDAAT). Le jour de notre rencontre, il ne porte ni costume ni sarrau, mais un simple coton ouaté arborant des épinettes et le message « Explore more ». Le ton est donné. « Les changements climatiques et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, c’est ma thématique de recherche et ça l’a toujours été », raconte ce natif de Québec.

Depuis un an, Vincent Poirier dirige donc l’équipe scientifique de ce groupuscule qui tente d’établir les meilleures pratiques agricoles ou forestières permettant de lutter contre les changements climatiques. Leurs alliés : les sols, qui captent et « emprisonnent » les émissions de gaz à effet de serre. « Le sol est le deuxième plus grand réservoir de carbone de toute la biosphère. Le premier, c’est les océans », explique-t-il. « Il y a plus de carbone stocké dans le sol qu’il y en a dans toute la végétation sur terre, y compris dans les forêts équatoriennes et amazoniennes. »

Vincent Poirier professeur chercheur à l'UQAT qui étudie le stockage du carbone dans les sols
Vincent Poirier en « tenue de travail ». © Émélie Rivard-Boudreau

Les chercheurs s’intéressent particulièrement aux rôles des racines dans la séquestration du CO2 par le sol. Les travaux de Vincent Poirier ont par exemple démontré que les racines plus profondes ont une plus grande capacité de stockage, notamment grâce à l’espace généré par les minéraux (sable, gravier, cailloux).

« Comme elles comptent moins de matières organiques, les profondeurs du sol ont la capacité de retenir le carbone plus longtemps », dit-il.

Pour de meilleures pratiques agricoles

Hiba Benmohamed, chercheuse à l'UQAT, étudie le stockage du carbone dans les sols.
Hiba Benmohamed devant une décoction de débris végétaux. © Émélie Rivard-Boudreau

À l’intérieur du laboratoire, l’étudiante à la maîtrise Hiba Benmohamed est occupée à trier des racines dans un tas de débris végétaux. Ce faisant, elle cherche à adapter les découvertes de Vincent Poirier aux pratiques des agriculteurs, explique-t-elle. Son but : tenter de comprendre l’incidence qu’ont la nourriture du bétail et la gestion des animaux au pâturage sur le stockage du carbone et la biomasse racinaire.

« À cause de la machinerie et des produits utilisés (comme les fertilisants), l’agriculture est un secteur qui produit beaucoup de gaz à effet de serre. Si on pouvait contribuer à les réduire, ça serait parfait », affirme l’étudiante d’origine française.

Mais en quoi un mélange de plantes favoriserait-il la captation de carbone? Comme les végétaux ont des propriétés complémentaires, les mélanger leur permet de pousser sur une plus longue période, explique la jeune femme. « Par exemple, une légumineuse qui ne résiste pas au gel sera mélangée avec une autre graminée qui, elle, peut résister plus longtemps », dit-elle. Grosso modo, plus une plante vit longtemps, plus elle s’enracine profondément et meilleure est sa capacité de stocker le carbone.

Mais il n’y a pas que les mélanges de plantes fourragères qui influencent l’expansion des racines et la quantité de carbone stockée dans le sol. La façon dont les troupeaux se déplacent sur les terres permet aussi d’agir face aux changements climatiques. Le pâturage en rotation, qui consiste à déplacer régulièrement le bétail d’un enclos à un autre, est la méthode la plus efficace pour emmagasiner le carbone, selon Hiba Benmohamed. Cette méthode est d’ailleurs l’une des 100 actions présentées dans le rapport Drawdown pour inverser le cours du climat planétaire.

Soigner le plancher des vaches

Selon le projet Drawdown, auquel collaborent 70 chercheurs, le pâturage en rotation est l’une des solutions à privilégier pour éviter la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Le fait d’alterner les périodes où le terrain est brouté par des troupeaux d’animaux améliore la qualité des sols, ce qui augmente du même coup la quantité de carbone séquestré, notent les scientifiques. D’après leurs estimations, cette solution permettrait de capter environ 16 gigatonnes de CO2 « d’ici à 2050, [si] les pratiques de gestion des pâturages se généralisent sur 445 millions d’hectares dans les 30 prochaines années (79 millions à ce jour). »

« Dans les systèmes de pâturage en continu, la plante subit davantage de stress parce qu’elle est broutée plus fréquemment. Avec le pâturage en rotation, en déplaçant le bétail plus fréquemment, on va laisser le temps aux plantes de repousser et d’allonger leurs racines », précise la chercheuse.

Combien de GES peuvent être « emprisonnés » grâce à la rotation des troupeaux? Hiba Benmohamed reste muette sur cet aspect, car les résultats préliminaires de ses travaux seront publiés dans un article scientifique au cours des prochains mois.

Du champ à la forêt

De son côté, Vincent Poirier met aussi son expertise au profit de projets de recherche en foresterie. Dans les prochains mois, il collaborera notamment à une recherche sur les pratiques sylvicoles et le stockage du carbone en forêt mixte du Témiscamingue. Il espère aussi pouvoir faire avancer les savoirs sur les bienfaits de l’agroforesterie, ce mode d’exploitation qui intègre la plantation d’arbres sur des terres exploitées pour l’agriculture.

Vincent Poirier chercheur en séquestration du carbone dans les sols
Vincent Poirier et son équipe testent le pouvoir de séquestration du carbone de toutes sortes de sols. © Émélie Rivard-Boudreau

Bref, ce n’est pas demain la veille que l’URDDAT manquera de mandats, d’autant que, d’ici ce printemps, cinq étudiants, deux stagiaires, un chimiste et un nouveau professeur s’y joindront. Et ce n’est pas fini, affirme Vincent Poirier. « J’ai beaucoup de demandes pour recevoir des étudiants. Je pensais que j’allais avoir de la misère à recruter, mais pas du tout. J’ai une liste et, si j’avais l’argent, je pourrais accueillir dix personnes demain matin! »

Bonne nouvelle, car ça fera d’autant plus de gens qui mangeront le carbone par la racine… notamment les émissions attribuables au fameux rodéo du camion de Notre-Dame-du-Nord, où affluent près de 60 000 personnes chaque été et des centaines de poids lourds qui boucanent…

Quatre pour mille

D’après l’énoncé de l’initiative 4 pour 1000, lancée en 2015 par la France dans la foulée de la Conférence de Paris sur les changements climatiques (ou COP21), un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 0,4 % permettrait de stopper l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère.