Réduire de moitié le nombre de voitures au Québec : pourquoi et comment?

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©Shutterstock/Marc Bruxelle
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24 août 2023 - Jérôme Laviolette, Spécialiste de notre dépendance individuelle et collective à l'auto

Le 14 août dernier, le ministre Pierre Fitzgibbon a lancé en point de presse une remarque qui a fait grandement réagir : pour atteindre nos cibles climatiques (la carboneutralité d’ici 2050), il ne suffira pas d’électrifier tous les véhicules personnels, il faudra aussi réduire de moitié la taille du parc de véhicules. Il a réitéré ses propos deux jours plus tard en affirmant que peu importe que la réduction soit de 30 % ou de 50 %, l’important c’est d’être cohérent et que ça va prendre des changements de comportement individuel.

Ayant fait mon doctorat sur les facteurs d’influence de la possession automobile, je ne peux que me réjouir devant une telle déclaration. À ceux et celles qui ont rétorqué qu’on ne pouvait pas faire une telle affirmation sans avoir un plan clair pour y arriver, je réponds que ces propos, venant d’un ministre aussi influent, ont au moins eu pour effet : 1) de lancer le débat et 2) de briser un tabou.

Il est vrai que le gouvernement n’a pas de cible de réduction de la motorisation ou du nombre de véhicules dans ses documents officiels, ce que je dénonçais d’ailleurs dans mon premier article de doctorat. La Politique de mobilité durable 2018-2030 comporte toutefois une cible indirecte : « Réduire de 20 % les dépenses brutes des ménages allouées au transport. » Difficile d’y arriver sans réduire le nombre de voitures possédées alors que la possession et l’utilisation de l’automobile représentent plus de 90 % des dépenses des ménages en transport, ce dernier étant le second poste de dépense après l’habitation.

J’invite ceux et celles qui ont déchiré leur chemise en prétendant que le gouvernement ne pouvait pas demander aux familles en région de vivre sans voiture, à continuer à lire le présent billet parce que, non, réduire collectivement de moitié le nombre de véhicules ne signifie pas qu’on va demander aux gens des milieux ruraux de retourner à la charrette tirée par des chevaux.

Remise en perspective

Premier problème dans la façon dont on traite le sujet : on parle trop souvent en nombre absolu de véhicules, par exemple en indiquant qu’il y avait en 2021 5,5 millions d’automobiles et de camions légers en circulation au Québec, soit 1,5 million de plus que 20 ans auparavant. OK, mais la population, elle a augmenté de combien pendant ce temps-là? Pour bien comprendre les tendances, il est essentiel de parler en nombre relatif : véhicules par habitant, par adulte (en âge de conduire) ou encore par ménage. Je vous ai préparé de belles statistiques qui vont vous permettre de citer le présent billet chaque fois que vous aurez à discuter de chiffres!

Évolution de la population, du nombre de véhicules et du taux de motorisation, 2001-2021 

  2001 2021 Différence
Population 7,40 M 8,60 M + 16,3 %
Population adulte 6,00 M 7,16 M + 19.4 %
Permis de conduire 4.55 M 5,66 M + 24.4 %
Véhicules de promenade 3,52 M 4,99 M + 41.5 %
Véhicules par 1000 habitants 476 580 + 21.6 %
Véhicules par 1000 adultes 587 696 + 18.5 %

Sources : SAAQ (2022); Institut de la statistique du Québec (2022)

On constate ainsi que le taux de motorisation a fortement augmenté en 20 ans. En effet, le nombre de véhicules a augmenté 2,5 fois plus rapidement que la population et 1,7 fois plus vite que le nombre de personnes qui détiennent un permis. Pour moi, il est là le véritable problème! Si on avait le même taux de motorisation (en nombre de véhicules par 1000 adultes) qu’en 2001, il y aurait en 2021 un total de 4 207 725 véhicules de promenade… soit environ 16 % de moins que le nombre actuel. Ce n’est pas 50 % de moins, mais c’est déjà tout un gain!

Ensuite, le taux de motorisation augmente partout au Québec, mais pas au même rythme. Il augmente plus vite en région qu’en banlieue ou sur l’île de Montréal (zone la plus urbanisée avec la meilleure offre d’alternatives à l’auto). Le graphique ci-dessous illustre ces tendances (et la transformation de la flotte vers de plus gros véhicules). De nombreux facteurs peuvent expliquer ces chiffres, mais ce sera pour une autre fois.

Croissance de la motorisation au Québec, 2001-2021

Graphique Croissance de la motorisation au Québec, 2001-2021

Sources des données : SAAQ (2022); Institut de la statistique du Québec (2022). Traitement : Laviolette (2022).

Finalement, ce que ces statistiques agrégées cachent, c’est la tendance à la multimotorisation. Si avoir un véhicule est essentiel pour tous les types de ménages dans presque tout le Québec, à l’exception des quartiers centraux de Montréal et Québec, la croissance des ménages qui choisissent d’avoir plusieurs véhicules est un enjeu.

La vraie liberté à promouvoir, c’est celle de ne pas devoir dépenser des dizaines de milliers de dollars annuellement pour un véhicule dont on n’a pas réellement besoin.

Nombre de véhicules par ménage, Grande région de Montréal, 2008-2018

Nombre de véhicules par ménage, Grande région de Montréal, 2008-2018

Sources des données : Enquêtes Origine-Destination 2008 et 2018. Traitement : Laviolette (2023).

On constate que la proportion de ménages sans véhicule a diminué dans tous les secteurs et que le nombre de ménages avec un seul véhicule a diminué partout sauf dans les quartiers centraux. Pour réduire de moitié le nombre de véhicules, l’idée n’est donc pas de ramener tout le monde à 0, mais de permettre et d’encourager le plus grand nombre de ménages non seulement à faire -1, mais aussi à éviter de faire +1.

Comment y parvenir? Quelques pistes

Maintenant, la grande question : comment y arriver? Il faut miser sur des politiques de transport et d’aménagement du territoire qui vont permettre aux familles de choisir de posséder une voiture de moins.

À chaque contexte son éventail de solutions

Je ne le répéterai jamais assez : Baie-Comeau n’est pas Gatineau qui n’est pas le Plateau! Si on doit encourager les ménages des quartiers centraux à vivre sans véhicule ou avec un seul véhicule, en banlieue, on devrait viser un, tout au plus deux véhicules par ménage. Dans les endroits sans service de transport collectif, c’est plus compliqué, mais on peut tout de même réaliser des gains en appliquant les bonnes solutions.

Le transport collectif

Le ministre Fitzgibbon et le premier ministre parlent d’y arriver en bonifiant le transport collectif dans les milieux urbains. Parfait, ça prend des investissements pour bonifier non seulement le réseau, mais aussi le service (une plus grande fréquence, et pas juste aux heures de pointe). Toutefois, ça risque fort de ne pas être suffisant.

L’autopartage

Pensez à Communauto ou encore aux plateformes de partage entre particuliers comme Turo (sorte de Airbnb de l’auto). Ce type de service a un rôle fondamental à jouer, car tout le monde a besoin d’une auto à l’occasion. Ça peut autant remplacer la première que la deuxième ou la troisième voiture. L’accès à ces véhicules doit être grandement amélioré partout au Québec. Le gouvernement doit légiférer pour forcer les constructeurs automobiles à donner la priorité aux compagnies d’autopartage dans la livraison des véhicules, surtout ceux électriques.

Les transports actifs et le vélo à assistance électrique

Il faut adapter nos quartiers actuels au transport actif et développer des quartiers où l’on peut se déplacer de façon sécuritaire à pied et à vélo, hiver comme été. Et pas uniquement à Montréal, mais dans toutes les villes de tailles moyennes du Québec. Avec les bonnes infrastructures cyclables, le vélo à assistance électrique, en plein essor, peut devenir une réelle alternative à la première, la deuxième ou la troisième voiture selon le contexte.

Des incitatifs à la démotorisation et à la non-motorisation?

Actuellement, on subventionne la motorisation en offrant des rabais substantiels à l’achat de véhicules électriques. Pendant ce temps, les ménages qui choisissent de se départir d’un véhicule ou de ne pas en posséder reçoivent un gros 0 $. Une récente loi californienne pourrait bien inspirer le gouvernement Legault. De 2023 à 2028, les ménages sans véhicule immatriculé pourront recevoir 1000 $ par année en crédit d’impôt remboursable si leurs revenus sont inférieurs à un certain seuil.

Réduire l’attractivité symbolique et affective de l’automobile

Comme je l’ai déjà expliqué, les constructeurs automobiles, pour s’assurer que l’on continue à acheter toujours plus de véhicules plus gros et plus luxueux, misent sur l’émotion et l’aspect symbolique de ceux-ci en dépensant des centaines de millions de dollars annuellement en publicité. Selon différentes études de segmentation, pour une part de la population, cela contribue grandement à l’attractivité de l’automobile et, donc, à la « surmotorisation ». Si on veut aider les gens à aspirer à autre chose qu’à un nouveau char flambant neuf, le gouvernement doit donc légiférer pour encadrer ou même interdire la publicité automobile.

Tarifer l’usage et la possession

Une autre solution que j’ai déjà mise de l’avant pour rationaliser l’usage et la possession automobile, c’est la tarification kilométrique. Pour la possession, on devra aussi tarifer davantage le stationnement, particulièrement en milieu urbain dense, augmenter les taxes sur l’immatriculation, notamment à partir du troisième véhicule, et taxer davantage à l’achat les véhicules selon leur impact climatique comme le font de nombreux pays de l’OCDE. Ces outils financiers doivent vraiment être développés de façon à décourager la possession superflue d’un véhicule et non pas pour pénaliser celle du véhicule essentiel.

Repenser son style de vie et accompagner le changement

Finalement, se débarrasser d’un véhicule demande un certain effort et des changements dans la façon de se déplacer. Comme je l’ai déjà expliqué, ça ne veut pas dire de se priver, mais plutôt de repenser ses destinations et les lieux qu’on choisit de visiter.

Il est temps que les municipalités et le gouvernement financent des stratégies de soutien au changement de comportement afin d’inspirer, d’accompagner et d’aider les ménages à adopter un style de vie qui les rendra moins dépendants de l’automobile, et ce, au fur et à mesure que les autres solutions sont déployées.

La vraie liberté à promouvoir, c’est celle de ne pas devoir dépenser des dizaines de milliers de dollars annuellement pour un véhicule dont on n’a pas réellement besoin.
Le transport, c’est complexe. Il faudra lancer beaucoup de chantiers et actionner beaucoup de leviers en même temps si l’on veut réaliser cette vision de réduire de moitié le parc de véhicules d’ici 2050. Ce sera un effort à la fois collectif et individuel.

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