
SUR LA ROUTE 1/3 — J’aime bien, de temps en temps, descendre du 18e étage de nos bureaux au centre-ville et partir en roadtrip journalistique en région. Un prétexte assumé pour aller à la découverte d’un territoire, de sa population, des défis auxquels elle fait face et des solutions mises en œuvre pour les surmonter.
Après la Gaspésie, l’Estrie et le Bas-Saint-Laurent, je me suis rendu cette fois en Outaouais. Une région qui me donne parfois l’impression d’être dans l’angle mort du Québec : trop à l’ouest pour attirer le regard montréalais, trop à l’ombre d’Ottawa pour rayonner pleinement.
J’ai décidé de me concentrer sur Gatineau, une ville en transformation constante, dont le développement urbain s’est fait le long de la rivière des Outaouais, en face de sa puissante voisine ontarienne.
La municipalité de 300 000 habitants est aussi située dans une région complexe à saisir. Frontalière, bilingue, elle oscille entre deux cultures, deux économies, deux visions de l’aménagement.
Pour tenter d’y voir plus clair, j’ai rencontré une mairesse engagée, un biologiste qui reconnaît les oiseaux à leurs chants et un militant infatigable.
Le spectre des inondations
À Gatineau, les inondations sont une menace constante. En 2017, 2019 et encore en 2023, l’eau a monté, les souvenirs ont coulé et des quartiers entiers ont été forcés de réfléchir à leur avenir. Pour la mairesse Maude Marquis-Bissonnette, ces événements ont laissé des traces profondes.
« Je me rappelle un monsieur, en 2019, qui nous montrait la table de sa cuisine. L’eau montait jusque-là. Il quittait la maison où sa femme était décédée peu avant. Il abandonnait tout ça », se souvient-elle.
Des histoires qui marquent, et qui forgent aussi une volonté d’agir. Parce qu’à Gatineau comme ailleurs, le sujet climatique est une affaire éminemment municipale, j’ai choisi d’aller à la rencontre de sa mairesse.
Et aussi parce que le parcours de Maude Marquis-Bissonnette est intéressant : ex-professeure en gestion municipale, chercheuse, analyste politique… et désormais élue à la tête de la 4e ville la plus peuplée du Québec. Elle n’a pas encore 40 ans.
« Pour moi, la politique, c’est un moyen plus qu’une finalité », avance-t-elle lorsque je lui demande d’où vient son désir d’implication. Elle parle de l’urgence climatique sans détour. De la « pédagogie des décisions » dont elle doit faire preuve. De la désinformation comme principal obstacle à la transition.
« On doit expliquer pourquoi on prend certaines décisions. Ce n’est pas toujours populaire, mais c’est nécessaire », ajoute-t-elle.

Quand on aborde le sujet des inondations, elle est claire : l’adaptation au risque est incontournable. « Il y a des gens qui partent, qui n’en peuvent plus. D’autres qui s’adaptent, qui haussent leur maison ou modifient leur terrain. Mais ça pose des questions éthiques : si les secours sont obligés de s’y rendre en bateau, est-ce qu’on parle encore d’un quartier sécuritaire? », soulève-t-elle.
La Ville a lancé plusieurs chantiers à travers les années : plan pour améliorer la résilience climatique, études de risques, planification de zones tampons. Mais Maude Marquis-Bissonnette reconnaît que le nerf de la guerre reste le financement.
« On parle d’infrastructures vertes, de digues, de modification du lit de la rivière… Ce sont des solutions coûteuses et on va avoir besoin de Québec et d’Ottawa. Seuls, on ne pourra pas tout faire », insiste-t-elle.

Qui est Maude Marquis-Bissonnette?
Élue conseillère municipale du district du Plateau en 2017, Maude Marquis-Bissonnette est ensuite devenue cheffe intérimaire d’Action Gatineau. Elle tente une première fois sa chance à la mairie en 2021, avant de se retirer temporairement de la vie politique pour reprendre son doctorat en administration publique.
Elle fait son retour en 2024 et est élue mairesse lors d’une élection partielle en juin, après le départ de France Bélisle. Mme Marquis-Bissonnette briguera un premier mandat complet en novembre 2025.
Le casse-tête de la mobilité
Un autre enjeu ici : la dépendance à l’automobile. Gatineau, comme bien d’autres villes de la province, a été développée autour du char. Résultat : un taux de motorisation élevé, peu d’alternatives efficaces… et un centre-ville aux allures de vaste stationnement.
Ce n’est pas un débat théorique : la Ville a récemment plongé dans une véritable saga entourant la taxation des espaces de stationnement. L’idée, lancée par l’administration précédente pour générer de nouveaux revenus, a provoqué un tollé dans plusieurs milieux — particulièrement chez les commerçants et les propriétaires de centres d’achat.
La nouvelle administration a hérité du dossier en pleine tempête. Maude Marquis-Bissonnette a dû naviguer entre les pressions politiques, les critiques publiques et la nécessité de tenir le cap sur une réforme impopulaire, mais cohérente avec ses ambitions climatiques.
« Les gens veulent des options. Ils sont prêts à changer leurs habitudes, mais ils doivent avoir des alternatives concrètes et efficaces. Et dans le contexte climatique actuel, on n’a plus le choix, insiste la mairesse. Il faut offrir des solutions de transport qui répondent aux besoins d’aujourd’hui et de demain. »
Des initiatives locales pour faire bouger les choses
Sur le terrain, des organismes régionaux s’activent pour proposer des solutions concrètes. Le Conseil régional en environnement et du développement durable de l’Outaouais (CREDDO) pilote notamment un projet d’autopartage dans plusieurs municipalités voisines de Gatineau. L’idée : offrir des véhicules hybrides en libre-service pour réduire la dépendance à l’auto solo.
« Il faut créer des options de mobilité avant même que les gens s’installent, sinon on perpétue le modèle de dépendance à l’automobile », soulignait Benoit Delage, directeur général du CREDDO, lors d’une discussion menée en amont de mon déplacement en Outaouais.

Les gens veulent des options. Ils sont prêts à changer leurs habitudes, mais ils doivent avoir des alternatives concrètes et efficaces. Et dans le contexte climatique actuel, on n’a plus le choix, insiste la mairesse. Il faut offrir des solutions de transport qui répondent aux besoins d’aujourd’hui et de demain.
Tramway, critiques et espoir lucide
La mairesse mise sur le projet de tramway, qui reliera l’ouest de Gatineau au centre d’Ottawa. Un projet de 24 km, deux villes, deux provinces, un pont fédéral. Rien de simple. Mais les financements sont en place.
« Je me suis présentée comme la guerrière du tramway. Et on avance », affirme-t-elle.
Ce n’est pas anodin. Dans une région où la voiture est reine, où l’habitat est dispersé, où le transport collectif peine à suivre l’expansion urbaine, miser sur un tramway est un geste fort. Une tentative d’orienter la croissance autrement, de reconnecter les gens à leur milieu de vie.
Évidemment, tout n’est pas rose. Le Plan climat de la Ville, élaboré sous sa gouverne lorsqu’elle était présidente de la Commission sur le développement du territoire, l’habitation et l’environnement, a été critiqué par Action Climat Outaouais à l’époque. Dans ses rapports, l’organisme souligne les retards dans la mise en œuvre et le manque de résultats concrets.
Mais même les critiques reconnaissent un changement de ton sous l’administration actuelle : une volonté d’agir, une ouverture à la discussion. Dans un contexte où les leviers sont partagés entre différents paliers, l’action passe souvent par une série de compromis.
On peut être cynique à l’égard de la politique municipale. C’est même devenu une posture réflexe. Les décisions paraissent lentes, les critiques pleuvent de toutes parts, et les élues et élus peinent à garder le cap. Mais en discutant avec Maude Marquis-Bissonnette, j’ai vu une personne qui connaît ses dossiers, écoute, assume les désaccords et qui croit, malgré tout, que ça vaut la peine d’essayer.
Finalement, lorsque je lui demande ce qui la rend le plus fière depuis son arrivée à la mairie, elle évoque le projet de tramway, dont « le financement interprovincial a été sécurisé rapidement »; elle me parle également du projet de complexe sportif situé dans l’ouest de la ville, réglé dès son premier conseil municipal en tant que mairesse; elle fait aussi mention du développement d’un projet de conteneurs aménagés et destinés à offrir un logement à une centaine de personnes en situation d’itinérance.
En quittant l’hôtel de ville, je me suis dit que Gatineau était décidément surprenante : une ville en chantier, en mouvement, traversée de contrastes, mais pleine d’idées pour assurer son développement futur tout en s’adaptant à la réalité des changements climatiques.
Un café filtre à la main, j’ai traversé un boulevard à six voies, entouré de grandes tours de bureaux, avant de sauter dans ma Communauto, direction le parc de la Gatineau. Parce qu’ici, à deux pas du béton, commence la forêt.

POUR LIRE LA PARTIE 2
Oiseaux, bouleau, dodoAprès avoir exploré les défis urbains de Gatineau avec la mairesse Maude Marquis-Bissonnette, je vous emmène prendre l’air. Direction le parc de la Gatineau, un territoire aussi vaste que précieux. Sur place, je marche aux côtés de celles et ceux qui le protègent et le racontent, entre observation des oiseaux, enjeux de conservation… et besoin urgent de ralentir.