SUR LA ROUTE 1/3 – Aux quatre coins de la province, des gens s’activent pour faire une véritable différence dans la crise écologique. Pour ce troisième dossier régional, nous avons décidé de poser notre regard sur le Bas-Saint-Laurent, une magnifique région dont le destin est étroitement lié aux aléas climatiques. Première étape : le Kamouraska et son milieu agricole résilient.
Avec nos dossiers régionaux, nous voulons non seulement mieux comprendre les défis environnementaux propres à chaque partie du Québec, mais aussi mettre en lumière les initiatives pour y répondre. À Unpointcinq, nous croyons au journalisme de solutions, et particulièrement aux solutions locales.
Lorsque je me promène sur le terrain au Québec, on me confie parfois une certaine frustration face aux enjeux écologiques qui sont perçus et considérés à travers le prisme des grands centres. Pour les gens que je croise, cette vision montréalo-centriste (ou québeco-centriste) est trop souvent accompagnée d’angles morts, que ce soit par méconnaissance du territoire ou des réalités locales.
Pour brosser un portrait complet, je suis donc allé à la rencontre des Bas-Laurentiens et Bas-Laurentiennes. Par souci de transparence, je dois l’avouer, cette région a une place spéciale dans mon cœur et je ne pourrai jamais être 100 % objectif. J’y ai vécu une grande partie de ma vie et je reste convaincu que c’est là qu’on observe les plus beaux couchers de soleil (je suis chauvin, que voulez-vous).
Au menu des trois prochains articles : une visite dans le Kamouraska pour mieux comprendre les défis du monde agricole, un arrêt au parc national du Bic pour parler d’éducation environnementale et une discussion fort intéressante sur notre relation à l’eau avec un conseiller municipal et une sociologue de l’environnement.
Sécheresses à l’horizon
La région du Bas-Saint-Laurent est réputée pour vivre en communion avec le fleuve. Cette relation unique avec l’eau se transforme cependant avec les changements climatiques. Érosion côtière, sécheresse et inondations : depuis quelques années, l’eau est souvent source de maux de tête.
Dans le Kamouraska, où une forte partie de la population vit de l’agriculture, l’inquiétude est palpable. Pour mieux comprendre les défis écologiques auxquels fait face la population locale, j’ai donné rendez-vous au biologiste Antoine Plourde-Rouleau dans un parc longeant la rivière Ouelle, dans la municipalité du même nom.
Antoine est le directeur général de l’Organisme de bassins versants de Kamouraska, L’Islet et Rivière-du-Loup (OBAKIR) dont la principale mission est de protéger et de gérer les ressources en eau du territoire, en concertation avec les acteurs et actrices économiques de la région.
Résumé simplement, OBAKIR sert de pont entre les besoins des entreprises, les besoins des municipalités et les visées de développement durable. Un véritable travail de funambule.
« Notre mandat premier est la concertation, dit Antoine d’emblée. Que ce soit une entreprise ou une ville, tout le monde a des besoins différents. Notre rôle est de s’assurer que la ressource d’eau est protégée et que les actions de l’un n’impactent pas l’autre. On fait beaucoup de sensibilisation aussi, on s’est aperçus que les gens n’étaient pas tous bien informés des enjeux reliés à l’eau, même si c’est au cœur de leur travail. »
Dans le secteur du Kamouraska, ce sont surtout les sécheresses et la disponibilité de l’eau qui sèment l’inquiétude. En 2017 et 2019, les producteurs et productrices agricoles ont frôlé la catastrophe. Le prélèvement d’eau à des fins d’irrigation, qui se fait dans les nappes d’eau souterraines ou dans l’eau de surface, n’était plus possible.
« Dans les pires moments, on a vraiment senti une grande urgence, une urgence d’agir pour ne plus revivre ça. Ça a servi de wake-up call [signal d’alarme] pour certains. »
Région cherche boule de cristal
Naviguer dans l’inconnu. Ce sont les mots utilisés par Antoine pour parler du futur. Même si les dernières années ont été plus clémentes sur le plan des sécheresses, un rapport du regroupement scientifique Ouranos est catégorique : les épisodes de chaleur et de sécheresse seront de plus en plus nombreux. Ce stress hydrique aura des répercussions certaines sur la qualité et la quantité des ressources en eau.
« Contrairement aux grands centres, il y a un manque de données et de recherches sur les capacités de recharge des nappes phréatiques dans les régions, explique le néo-Kamouraskois. On ne sait pas comment nos réserves d’eau souterraines seront affectées par les changements climatiques. Quand on pense que 95 % des producteurs agricoles dépendent des sources d’eau souterraines, avec notamment des puits artésiens, c’est inquiétant. »
Même si ses propos sont, disons-le, un peu alarmants, Antoine me surprend en concluant notre entretien avec une pointe d’optimisme appuyée sur des observations faites sur le terrain.
« Il y a une sensibilité pour les enjeux environnementaux, les gens de la région ont un lien fort avec la nature et en ont besoin pour gagner leur vie, dit-il. Il y a des leaders dans tous les secteurs qui veulent embarquer dans nos projets de préservation de l’eau. Si on prend le milieu agricole, par exemple, c’est extrêmement difficile pour eux financièrement, mais ils comprennent la nécessité de s’adapter. »
Le milieu agricole s’attelle à la tâche
Quiconque s’est aventuré à l’extérieur de l’autoroute 20 vous le dira, le paysage ici est enchanteur. D’un côté, s’étendent de grandes plaines vertes qui s’étirent jusqu’à la frontière américaine, de l’autre l’immensité du fleuve est bordée de curieuses buttes rocheuses nommées « monadnocks ». Des fermes avec de hauts silos parsèment ce magnifique territoire; le Kamouraska est reconnu comme l’un des grands centres agroalimentaires du pays.
Pour prendre le pouls du secteur agricole face aux changements climatiques, j’ai rencontré Amélie Martin, agronome et conseillère en agroenvironnement. Selon celle qui est aussi copropriétaire d’une ferme laitière et d’un verger dans la région, les épisodes de sécheresse ont « déréglé un cycle naturel d’adaptation ».
« C’est dans la nature même des producteurs agricoles de vivre avec des cycles de météo, une bonne année est souvent suivie d’une moins bonne, explique-t-elle. Mais avec les conditions extrêmes qu’on a connues, on peut maintenant parler de plusieurs années consécutives (bonnes ou mauvaises), ça change bien des choses. »
En évoquant 2017 et 2019, ces années qui ont vraisemblablement laissé beaucoup de traces dans le coin, Amélie Martin se souvient que plusieurs exploitations agricoles n’avaient plus de foin pour nourrir les animaux et ont dû en acheter à fort coût, ce qui a créé pour eux un grand déséquilibre financier.
Ne plus travailler « en silo »
« Les producteurs agricoles se sont revirés de bord rapidement, se souvient-elle. On a développé des cultures moins dépendantes à la disponibilité de l’eau, on a semé des choses différentes pour maximiser les récoltes. Et, surtout, on est beaucoup plus prudents, ne sachant jamais de quoi les prochaines années auront l’air. »
L’agronome, qui travaille pour le Groupe conseil agricole de la Côte-du-Sud, soutient que les agriculteurs et agricultrices de la région veulent de plus en plus s’informer sur les nouvelles techniques agricoles qui sont mieux adaptées aux changements climatiques. Il y en a qui le font par nécessité, d’autres avec la volonté de faire mieux pour le futur.
« Les nouvelles générations sont formées avec une sensibilité aux changements climatiques, avance-t-elle. Mais les plus anciennes emboîtent le pas (par exemple en suivant des formations). Il faut comprendre que c’est leur gagne-pain, ils n’ont pas le luxe de rester passifs. »
Dans tous les cas, la mise en commun des informations et des connaissances, maintenant grandement facilitée par les réseaux sociaux, aide beaucoup. Pour Amélie Martin, le milieu agricole n’a pas le choix, il doit se serrer les coudes.
« Les agriculteurs sont habitués de s’adapter aux aléas climatiques, c’est dans leur ADN, dit-elle. Maintenant, ça prend une collaboration et des investissements conséquents du gouvernement. Ensemble, on va aller plus loin… même si c’est vers l’inconnu! »
Je la quitte sur ces sages paroles empreintes d’optimisme et je saute dans ma petite voiture électrique : cap sur le célébrissime parc national du Bic. La route 132, qui longe l’estuaire du Saint-Laurent, me rappelle à quel point cette région est à la fois grandiose et d’une grande fragilité. Une réflexion qui m’habitera pendant tout ce dossier.
POUR LIRE LA PARTIE 2
Le parc du Bic comme outil de pédagogieLe parc national du Bic n’a plus besoin de présentation. Véritable joyau de la région, il se veut un gardien du fragile écosystème qui l’entoure. Entre conservation et accueil du public, le parc tente de trouver un juste équilibre. Réflexion sur le rôle que peut jouer le parc du Bic dans la connexion des jeunes et des moins jeunes avec la nature… une facette si importante de la lutte contre les changements climatiques.