Des centaines de milliers de tonnes d’aliments finissent chaque année dans les dépotoirs du Québec. Ces résidus pourraient cependant fournir du biogaz et du compost en grande quantité s’ils étaient correctement triés afin d’être revalorisés.
Nos restes de nourriture pèsent lourd dans la balance des changements climatiques lorsqu’ils sont mélangés avec les ordures ménagères. Chacune des quelque 700 000 tonnes mises au rebut par les foyers, les entreprises et les institutions du Québec en 2019 a généré 400 kilos d’équivalent CO2, selon les calculs d’une étude réalisée à San José, en Californie, où les procédés de traitement des déchets alimentaires sont semblables à ceux utilisés ici.
Au total, 280 000 tonnes de gaz à effet de serre (GES) sont ainsi rejetées annuellement dans l’atmosphère. Un impact comparable à celui de 83 000 allers-retours entre Sept-Îles et Vancouver à bord d’un VUS grand format, selon le calculateur de GES de Carbone boréal.
Toujours selon les mêmes chercheurs, chaque tonne de résidus alimentaires revalorisée améliore notre bilan carbone collectif. « C’est un peu théorique, mais dès qu’on valorise les déchets, on évite les GES émis lors de la production des ressources. C’est un crédit carbone en quelque sorte », explique Catherine Houssard, analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG).
Ainsi, les résidus transformés en compost — comme c’est par exemple le cas de ceux recueillis dans les bacs bruns de Rouyn-Noranda, Victoriaville ou Alma — réduisent la demande pour d’autres engrais. Les experts considèrent donc que chaque tonne d’aliments revalorisée de cette manière enlève 41 kilos d’équivalent CO2 de l’atmosphère.
La biométhanisation, un processus naturel de décomposition de la matière organique par des bactéries dans un milieu sans air, produit pour sa part des biogaz qui seront mélangés au gaz naturel dans le pipeline d’Énergir. Cette méthode, qui est actuellement utilisée dans trois centres au Québec, dont ceux de Varennes et de Saint-Hyacinthe, diminue donc les besoins d’extraction de gaz naturel. On calcule que son gain pour le climat varie de 2 à 36 kilos d’équivalent CO2 par tonne de résidus revalorisés.
Des progrès… insuffisants
Recyc-Québec « constate une baisse notable des matières organiques éliminées de 2011 à 2019 », dit la vice-présidente à la performance des opérations de la société d’État, Sophie Langlois-Blouin. Il y a 11 ans, les restes de table et les résidus végétaux ou animaux constituaient 43 % du total enfoui, alors qu’en 2019, cette part s’élevait à 30 %. Cela représente quelque 763 000 tonnes de déchets organiques en moins dans les dépotoirs.
Malgré ces progrès, une amélioration est toujours souhaitable, puisque seules 660 des 1 108 municipalités québécoises proposent la collecte des matières organiques. Et même dans ces cas, tous leurs habitants ne disposent pas nécessairement d’un bac brun. « On est encore en phase de déploiement. Les immeubles de neuf logements et plus n’ont que partiellement accès au service de collecte », souligne Marc Olivier, professeur-chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI).
En 2018, le taux de matières organiques valorisées en compost, en fertilisant ou en biogaz atteignait ainsi 27 %, loin de l’objectif de 70 % fixé par le gouvernement Legault pour 2030.
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On commence par quoi ?
Le meilleur déchet pour le climat étant celui qu’on ne produit pas, on doit d’abord viser la réduction du gaspillage alimentaire, qui représente à lui seul « de 15 % à 20 % du bilan carbone de notre alimentation », précise Catherine Houssard en ajoutant qu’il ne faut surtout pas se donner bonne conscience en mettant ses denrées gaspillées au bac brun, car « 80 % des GES des aliments sont émis avant leur disposition en fin de vie. Quand on ne les consomme pas, cela revient à claquer des GES inutilement ».
Selon une récente étude de Recyc-Québec, 45 % des pertes et du gaspillage d’aliments se produisent dans l’industrie (transformation, production, distribution), 28 % dans les ménages, 22 % dans les commerces de détail, et 5 % dans les institutions ainsi que les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration.
Les règles de base pour réduire le gâchis : mieux planifier son épicerie, bien conserver ses aliments et maximiser leur utilisation, grâce par exemple aux astuces de la campagne J’aime manger, pas gaspiller.
51 % des Québécois disent jeter des aliments simplement parce qu’ils les oublient dans le réfrigérateur, dans le garde-manger ou sur le comptoir.
Ensuite, il faut bien trier ses déchets. Or, à peine 53 % d’entre nous le font systématiquement ou la plupart du temps, selon une récente étude comportementale de Recyc-Québec. En cas de doute sur la destination d’un déchet — certaines municipalités acceptent les sacs compostables dans le bac brun, alors que d’autres les refusent —, l’application mobile Ça va où ? vous aiguillera.
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Des changements nécessaires à plus grande échelle
Dans les municipalités qui sont encore à la traîne quant aux bacs bruns, des citoyens devront « faire pression sur les élus lors des conseils municipaux », affirme l’analyste en réduction à la source d’Équiterre, Amélie Côté.
S’agissant des industries, des commerces et des institutions (les ICI), l’enjeu est de taille puisque le taux de revalorisation des matières organiques ne dépassait pas les 5 % en 2018, en excluant les résidus de l’industrie agroalimentaire, qui sont quant à eux recyclés à 97 %. Ce faible taux est surtout dû au fait que les ICI ne sont pas obligés de revaloriser leurs rejets de matières organiques, estime Amélie Côté.
Selon la Stratégie de valorisation de la matière organique présentée en 2020 par le gouvernement provincial, cette exigence pourrait être imposée en 2025. Les entreprises peuvent déjà profiter d’un programme de soutien ad hoc de Recyc-Québec qui leur accorde une aide financière pour l’achat, par exemple, d’équipements nécessaires à la récupération des déchets organiques.
Envie d’en faire plus ?
Si votre municipalité tarde à implanter la collecte des matières résiduelles organiques et que vous souhaitez vous mettre au compost, sachez que plusieurs entreprises québécoises fabriquent des composteurs dont les prix peuvent varier de 115 à plus de 1 000 dollars. Certains déchets acceptés dans le bac brun sont toutefois incompatibles avec le compostage domestique, et Recyc-Québec propose un guide qui constitue un bon allié pour commencer. De nombreux tutoriels sont également accessibles en ligne pour bricoler un composteur soi-même. L’option du vermicompostage est aussi à considérer, notamment si vous manquez d’espace extérieur, mais elle est plus contraignante.
En revalorisant soi-même ses déchets, « on annule les GES du transport des déchets en camion. De plus, en gérant nous-mêmes nos ordures, on comprend leur cycle de vie et on prend conscience de leurs impacts », note la spécialiste de la gestion des matières résiduelles Amélie Côté.
Les consommateurs peuvent également privilégier les entreprises qui luttent contre le gaspillage alimentaire, comme celles qui transforment ou vendent des fruits et légumes moches qui auraient autrement été jetés, telles que Seconde Vie ou Loop, ou encore celles dont la proactivité est reconnue par Recyc-Québec par l’intermédiaire du programme ICI on recycle +, qui souligne les efforts des ICI dans la gestion responsable de leurs matières résiduelles.
Ce texte a été initialement publié sur lactualite.com