Transformer un symbole du patrimoine montréalais en milieu de vie inclusif au service de la collectivité? C’est le pari de la Cité-des-Hospitalières en transition, un projet d’occupation transitoire qui protège le bâti, contribue à la vie locale et retient l’émission d’un bon paquet de gaz à effet de serre (GES). Photoreportage.
Photos : Perrine Larsimont
La grande majorité de la population montréalaise connaît l’édifice imposant qui s’élève au croisement des avenues du Parc et des Pins. Peu ont cependant eu la chance d’y pénétrer. Ce qui frappe en déambulant dans les couloirs de l’ensemble conventuel des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph, c’est la majestuosité des lieux. Dans les couloirs baignés de lumière se succèdent des salles au plafond haut, incroyablement bien conservées.
« On est ici dans l’aile centrale, qui date de la construction du monastère, en 1861. Et ce réservoir que vous voyez là date de la construction de l’ancien Hôtel-Dieu, au 17e siècle, lorsqu’il était localisé dans le Vieux-Montréal ». Marie Renoux, responsable du projet au sein de l’organisme d’économie sociale et solidaire en aménagement Entremise, avait prévenu que la visite serait chargée d’histoire.
Acquis par la Ville de Montréal en 2017, le site abrite désormais la Cité-des-Hospitalières en transition, un projet d’occupation transitoire géré par Entremise.
Le principe ? Occuper le bâtiment rapidement et en l’état après son rachat, le temps que le projet de requalification soit défini. L’objectif de cette démarche est d’étudier le potentiel de réhabilitation des lieux en rassemblant sur place une communauté d’occupants ou, pour reprendre une ancienne devise de l’organisme, en « connectant des personnes sans espace à des espaces sans personne ».
Pour autant, on aurait tort de voir dans l’occupation transitoire une démarche éphémère, nuance Philémon Gravel, directeur et cofondateur d’Entremise : « C’est plus qu’occuper un espace “en attendant”, c’est une véritable forme de développement immobilier par l’expérimentation. »
En outre, investir un espace vacant ou sous-utilisé plutôt que de construire des bâtiments neufs permet de sauver un volume conséquent de ressources (lire l’encadré ci-dessous). « Un bâtiment neuf sera toujours moins durable qu’un bâtiment existant, quelles que soient ses certifications », soutient Philémon Gravel.
Combiner développement immobilier et économie circulaire
La durabilité écologique est une des valeurs phares portées par l’organisme, avec l’inclusion et la diversité ainsi que la préservation du patrimoine : « Lorsqu’une bâtisse est vacante, personne ne voit si une canalisation est brisée, par exemple, et ça provoque des dégâts à tous les étages », déplore Marie Renoux. En investissant la Cité-des-Hospitalières, Entremise peut donc traiter les besoins au fur et à mesure : une aubaine pour préserver les lieux et réaliser des économies d’énergie. « Comme on est là constamment, on devient de fins experts du bâtiment. On s’autodéfinit parfois comme des superconcierges », s’amuse la responsable.
Ce gain énergétique, Entremise le recherche à chaque étape du projet d’occupation transitoire. Notamment, en minimisant les interventions sur le bâti : « On essaie de faire comprendre aux autorités qu’il n’est pas nécessaire que le bâtiment soit complètement aux normes pour l’occuper », reprend Marie. Et pour faire passer la pilule, l’équipe travaille fort avec ses architectes et ses partenaires pour distinguer les normes qui reposent sur des questions de sécurité de celles reposant sur des questions de confort : « Ce n’est pas grave si la toilette ne flushe pas avec la bonne pression ou si les marches ne sont pas exactement de la bonne hauteur », illustre-t-elle.
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L’organisme est également soucieux de réutiliser le mobilier en place : « Cet établi-là, par exemple, est magistral. Tout a été pensé pour y mettre des machines à coudre », s’exclame Marie Renoux en désignant l’énorme pièce de bois qui trône au centre de l’ancienne roberie des sœurs. « Notre but est de trouver des personnes ou des groupes qui puissent réinterpréter l’usage d’origine et réutiliser cet espace tel quel en valorisant ce qui s’y trouve. Faire du sur-mesure, c’est aussi pour ça que la Ville nous a mandatés ».
En bref
La Cité-des-Hospitalières en transition, un milieu de vie… et d’économie circulaire :
- Occuper un lieu vacant plutôt que de construire à neuf
- Minimiser les interventions sur le bâti
- Conserver du mobilier existant et miser sur la récupération pour les besoins émergents
- Mutualiser des ressources (espaces et outils)
Mutualiser les ressources
Cette volonté d’occuper les lieux au plus près de l’utilisation d’origine se reflète également dans l’orientation communautaire du projet. Comme aime à le rappeler Philémon Gravel, les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph étaient autosuffisantes lorsqu’elles étaient cloîtrées, grâce à leurs compétences en artisanat et en agriculture : « On essaie de repenser la gestion immobilière des lieux avec ce que les sœurs nous ont légué : une ville dans la ville, fonctionnant grâce à des activités complémentaires. »
Actuellement, une douzaine d’organismes issus des secteurs associatif et culturel occupent 40 % des lieux, notamment l’aile nord du bâtiment (les sœurs occupent encore l’aile sud). On y compte une herboristerie, plusieurs compagnies de théâtre engagé ou encore des accompagnants en soins palliatifs. Des activités répondant, entre autres critères, aux cinq principes directeurs qui ont conditionné la vente, par les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph, de l’ensemble conventuel.
Un projet de requalification, ce sont des centaines de solutions potentielles qui doivent être testées en permettant à plein d’occupants d’utiliser les lieux. De façon temporaire d’abord, mais dans l’optique de trouver une activité qui se prête bien au site et puisse être incluse dans le projet immobilier pérenne.
Pour souder sa communauté, la Cité-des-Hospitalières en transition a mis en place des ententes de réciprocité : « Les occupants s’engagent à s’impliquer dans la vie collective. Pas financièrement, mais à la hauteur de leurs ressources et de leur expertise », explique Marie Renoux. Ainsi, l’Association québécoise des relieurs et des artisans du livre (AQRAL), sur le site depuis octobre, a réalisé des estampes pour chacun des occupants. Quant à la bibliothèque d’outils La Remise, installée à la Cité depuis l’automne, elle fait bénéficier la collectivité de ses outils.
Le partage des salles permet aussi aux gens qui occupent les lieux de déployer leurs activités sans avoir à louer d’espace. « On aime animer la Cité avec nos événements de réseautage et nos 5 à 7 », témoigne Mariam Coulibaly, fondatrice de Startop, un organisme qui soutient l’entrepreneuriat féminin.
Le futur de la Cité-des-Hospitalières est actuellement entre les mains de la Ville de Montréal, le projet d’occupation définitif n’ayant pas encore été arrêté. Cela n’empêche pas Philémon Gravel de souhaiter que l’occupation actuelle du site s’inscrive dans la durée : « Un projet de requalification, ce sont des centaines de solutions potentielles qui doivent être testées en permettant à plein d’occupants d’utiliser les lieux. De façon temporaire d’abord, mais dans l’optique de trouver une activité qui se prête bien au site et puisse être incluse dans le projet immobilier pérenne. »
Comme quoi, l’urbanisme « transitoire » peut être conçu pour durer.
Construire à neuf, ça coûte cher… en gaz à effet de serre
Près de 28 % de la quantité totale de matières résiduelles éliminées au Québec provient du secteur de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD), selon l’étude de caractérisation à l’élimination réalisée par RECYC-QUÉBEC pour 2019-2020. Cela en fait la deuxième source la plus importante de déchets derrière les matières organiques (30 %).
Or, la gestion des déchets résiduels a produit 6,1 % des émissions totales de GES au Québec en 2020, majoritairement liées à l’enfouissement.