
Documentée pour la première fois dans les années 1930, l’obsolescence programmée est maintenant dans le collimateur de plusieurs pays. La France a choisi son cheval de bataille : mieux encadrer le droit à la réparation. Le Québec peut-il s’inspirer de ses cousins ? Oui, mais…
L’obsolescence programmée est un stratagème commercial défini comme « la réduction volontaire de la durée de vie d’un produit afin d’en accélérer le renouvellement », selon l’association française Halte à l’obsolescence programmée (HOP).
« Beaucoup de clients viennent à la boutique avec leur iPhone qui date de dix ans, en bon état, mais malheureusement, les mises à jour fréquentes d’Apple le rendent lent… et éventuellement inutilisable », illustre Samuel, technicien dans une boutique de réparation de la rue Saint-Denis.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que cette stratégie commerciale a de grandes conséquences sur l’environnement.
« Les répercussions sont énormes, affirme Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre. Au Canada, on génère trois fois plus de déchets électroniques que la moyenne mondiale. Il y a aussi des effets certains sur la production de gaz à effet de serre et sur la consommation de ressources. Ça pose beaucoup de problèmes. »
Dans l’optique où la lutte contre les changements climatiques passe par la réduction de la consommation, voire la décroissance, l’obsolescence est un véritable fléau. Pour combattre ce phénomène et donner des munitions au droit à la réparation, certains pays se sont dotés d’une législation contraignante.
Pour Amélie Côté, le choix de miser sur la réparabilité est essentiel : « C’est important de rendre illégale l’obsolescence programmée, mais si on veut influencer les pratiques des fabricants, le droit à la réparation est incontournable pour promouvoir la mise en marché de produits plus durables et réparables. »

Lire aussi : La sobriété numérique a bien meilleur goût
Les enseignements du modèle français
La France fait partie des pionnières en matière de législation antiobsolescence. Depuis 2015, la diminution volontaire de la durée de vie d’un produit constitue un délit passible de deux ans d’emprisonnement et d’une amende allant jusqu’à 300 000 euros.
En janvier 2021, les Français ont fait un pas de plus vers le droit à la réparation. En effet, une cote de réparabilité a été rendue obligatoire pour certains produits électroniques et électroménagers. Elle a été mise en place pour inciter les fabricants à concevoir des produits plus durables et plus facilement réparables.
La cote de réparabilité est une note de 1 à 10 attribuée à un produit en fonction de sa facilité à être réparé. Elle prend en compte plusieurs critères tels que la disponibilité des pièces détachées, la complexité de la réparation, l’existence de tutoriels ou de guides de réparation, etc.
Les produits concernés par la cote de réparabilité sont les téléphones intelligents, les ordinateurs portables, les laveuses, les télévisions et les tondeuses à gazon.
En 2022, HOP a publié un rapport qui dresse un bilan de la première année d’existence de l’indice de réparabilité sur le marché français. Voici un résumé :
Points positifs
- L’indice permet bien de bien visualiser des différences de réparabilité entre divers groupes de produits;
- De nombreux fabricants et distributeurs ont mobilisé des ressources importantes pour permettre la création et l’affichage de l’indice de réparabilité;
- La majorité des consommateurs (55 %) interrogés par HOP ont connaissance de l’indice de réparabilité et se disent influencés dans leur choix.
Points à modifier
- Il paraît nécessaire que le contrôle de la diffusion et de l’affichage de l’indice soit plus strict (inégalité de déploiement de l’indice selon les catégories);
- HOP exprime des inquiétudes quant à la transparence de l’indice (absence de grille de calcul);
- Il est nécessaire de revoir le système de notation de l’indice en s’interrogeant sur la pondération des critères (les fabricants peuvent jouer avec les critères pour obtenir une note générale plus haute).
Il est encore tôt pour dire si l’indice de réparabilité en France tient toutes ses promesses. Une chose est certaine : même si le système n’est pas parfait (et doit être accompagné de mesures de surveillance strictes), il peut être salutaire pour la promotion de la réparation.
Certaines compagnies françaises font figure de bons élèves depuis de nombreuses années, notamment le fabricant d’appareils électroménagers SEB. L’entreprise s’engage à ce que tous ses produits puissent être réparés pendant 10 ans. Pour les amateurs de do it yourself, SEB offre également un service de pièces détachées à commander.
On verra ce qui arrivera, mais c’est essentiel de moderniser la Loi de la protection du consommateur, car c’est le bon véhicule pour intégrer les notions de durabilité et de réparabilité des biens au Québec
Et le Québec, lui?
De notre côté de l’Atlantique, l’obsolescence programmée est un sujet sensible pour plusieurs. Le dossier semble aujourd’hui au point mort alors que le Québec semblait bien parti. Retour en avril 2019, date à laquelle le projet de loi 197 est déposé par le député indépendant Guy Ouellette, en collaboration avec un groupe d’étudiants de l’Université de Sherbrooke. Le projet visait à modifier la Loi sur la protection du consommateur afin de favoriser la réparation des biens et le droit à la réparation.
Deux ans plus tard, le projet de loi a obtenu une adoption de principe des députés, mais sans suite. Le gouvernement caquiste avait alors mentionné vouloir prendre le temps d’étudier le dossier. Et le temps a effectivement été pris. Le projet semble mort au feuilleton, comme le veut l’expression.

Nous avons demandé une mise à jour à l’Office de la protection du consommateur, mais nous avons été surpris de constater que la communication officielle n’avait pratiquement pas changé depuis deux ans :
« L’Office a analysé le projet de loi préparé par les étudiants de l’Université de Sherbrooke au sujet de la réparabilité des biens; il a mené des consultations auprès des associations de consommateurs, de certains regroupements à vocation environnementale et des divers représentants du commerce et de l’industrie; il étudie actuellement différentes pistes de solution en vue de formuler des recommandations pour un éventuel changement législatif. »
Qu’est-ce qui explique ce « surplace » depuis 2019? « C’est une question existentielle, dit Amélie Côté en riant. Si seulement j’avais la réponse. Pourtant, c’est évident que c’est un enjeu qui fait quand même consensus, tout le monde aujourd’hui veut avoir des objets qui durent plus longtemps. »
Cette fois-ci sera-t-elle la bonne?
Tout espoir n’est pas perdu! La députée libérale Marwah Rizqy a déposé plus tôt cette année un nouveau projet de loi sur l’obsolescence programmée et le droit à la réparation. Son texte reprend en grande partie celui de 2019, en plus de s’inspirer directement de la loi française, notamment en ce qui concerne la cote de réparabilité.
« On verra ce qui arrivera, mais c’est essentiel de moderniser la Loi de la protection du consommateur, car c’est le bon véhicule pour intégrer les notions de durabilité et de réparabilité des biens au Québec », assure Amélie Côté.
En attendant de voir si ce projet passera finalement de la théorie à la pratique, le gouvernement québécois a la chance de pouvoir compter sur les enseignements du modèle français, laboratoire du droit à la réparation. « Ultimement, on aimerait que les gens reprennent leur pouvoir quant à leurs objets. L’obsolescence programmée n’est pas une fatalité », conclut Amélie Côté.
Petite mise à jour…
Deux semaines après la publication de cet article, le ministre Simon Jolin-Barrette a déposé un projet de loi pour lutter contre l’obsolescence programmée. Le projet de loi 29 se décline en cinq mesures phares : l’interdiction de l’obsolescence programmée, la création d’une garantie de bon fonctionnement, le renforcement du droit à la réparation, la mise en place d’une mesure anticitron pour les automobiles et l’établissement de normes pour définir un chargeur universel. S’il est adopté, il modifiera la Loi sur la protection du consommateur… un dossier à suivre attentivement dans les prochains mois.