Une architecte en guerre contre le superflu

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Un des chalets du projet Beside. © APPAREIL Architecture
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24 avril 2020 - Diane Bérard, Journaliste de solutions

LES ENTREVUES DE DIANE BÉRARD

APPAREIL Architecture (en collaboration avec EBA) vient de remporter le concours pour réaliser le projet Lab-École à Chicoutimi. Cette firme montréalaise dessinera aussi les 75 chalets Beside, dans Lanaudière. Unpointcinq a rencontré sa fondatrice, Kim Pariseau, vue comme un talent émergent par Canadian Architect.

Diane Bérard : Pourquoi es-tu devenue architecte?

Kim Pariseau : Je n’avais pas cinq ans que je dessinais des maisons! Mon père possède une boutique de matériel d’art, ce qui m’a amenée à côtoyer de nombreux artistes. J’ai appris à réfléchir autrement. Ce désir d’imaginer des solutions différentes m’a portée.

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Kim Pariseau, architecte.

En quoi ta firme APPAREIL Architecture se distingue?

L’architecture fascine. Des images de maisons fabuleuses circulent sur les réseaux sociaux. Mais rarement se questionne-t-on sur l’empreinte environnementale de ces constructions. APPAREIL Architecture est très présente sur les réseaux sociaux. Nous choisissons avec soin les images que l’on diffuse. On opte pour des photos qui mettent de l’avant notre signature à travers des détails comme les essences de bois québécoises et le fini du métal. Nous travaillons avec les mêmes artisans et les mêmes matériaux pour toutes nos constructions, car ça donne une ligne directrice.

Cela dit, la première esquisse que l’on présente à nos clients ne comporte aucune couleur et aucun 3D. On s’éloigne de l’esthétique pour aller vers la fonctionnalité et casser le « réflexe Pinterest » des images fabriquées.

Comme architecte, ton premier geste consiste à réduire l’espace que tes clients estiment nécessaire à leur projet. Explique-nous comment tu t’y prends.

Le client se présente avec une longue liste de souhaits. On discute pour retirer le superflu. Le garde-robe « walk-in » de la chambre des maîtres, par exemple, est devenu un incontournable. Il apparaît sur la liste de tous les clients. Or, un « walk-in » occupe beaucoup d’espace. C’est une pièce en soi. Un garde-robe intégré dans un mur utilise moins de pieds carrés, coûte moins cher et est souvent mieux pensé pour le rangement. Un autre réflexe que l’on tente de casser chez de nombreux retraités est celui de vouloir une chambre « pour loger les enfants quand ils viendront en visite ». On propose plutôt d’optimiser ces pièces pour qu’elles soient multifonctionnelles, et on évite ainsi les pieds carrés utilisés à temps très partiel.

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Projet Stroke par Félix Michaud d'APPAREIL architecture, 2019.
«S’il n’y a qu’une grande fenêtre, elle doit être orientée pour capter un maximum de lumière. » - Kim Pariseau

En quoi le fait de réduire la taille des maisons neuves a-t-il une incidence sur le climat?

Réduire la surface au moment de la conception influence tout le processus de construction, depuis l’extraction des matières premières et leur transport jusqu’à la transformation et la distribution. Chacune de ces étapes a un impact sur le climat. J’ai souvent des commandes initiales pour 3500 pieds carrés que j’arrive à réduire à 2500 pieds carrés, après discussion. Si on utilise moins de pieds carrés, on excave moins, donc on intervient moins sur le sol. Et comme on utilise forcément moins de matériaux, on en produit moins, ce qui fait qu’on en aura moins à récupérer ou à recycler.

Plus on arrive à condenser l’espace, plus on crée des maisons efficaces sur le plan énergétique. On a aussi moins d’impact sur le site et on optimise la lumière naturelle. S’il n’y a qu’une grande fenêtre, elle doit être orientée pour capter un maximum de lumière. Les images « pinteresques » de maisons californiennes complètement vitrées font rêver. Mais de telles constructions ne sont d’aucune utilité dans un climat froid comme celui du Québec.

Ta page Facebook est d’ailleurs remplie de photos de plein air. Quelle relation entretiens-tu avec la nature?

Mon conjoint est guide de plein air. Il peut réaliser des soupers hivernaux dehors, où même nos jumeaux de trois ans sont heureux. Il faut apprivoiser le climat et notre nordicité.

Ta façon de lutter contre le gaspillage de pieds carrés consiste aussi à ralentir le processus de construction… peux-tu nous en dire plus à ce sujet?

Oui. J’ai étudié au Danemark. Là-bas, on met deux ans à concevoir une maison et trois ans à la construire. Au Québec, on conçoit en six mois et on construit en un an et demi. Le temps est un luxe que j’ai appris à intégrer dans mes projets. Quand on prend son temps, on arrive à mieux relativiser ses envies et ses besoins.

Il y a trois ans, tu as donné naissance à des jumeaux. En quoi ton congé de maternité a-t-il marqué un point tournant dans ta carrière?

J’ai profité de cette pause pour réfléchir à ma prochaine décennie. J’ai établi une liste de valeurs intrinsèques à mes choix futurs. Si je veux vivre en fonction de mes valeurs environnementales, par exemple, il faut que mon influence s’exerce au-delà de ma pratique d’architecte. L’empreinte d’un architecte sur le climat ne se manifeste pas qu’à travers ses croquis. Elle s’étend également à ses fournisseurs et à leurs pratiques. C’est le principe même de la chaîne d’approvisionnement.

Projet FLOE par APPAREIL Atelier, 2018.

C’est ce qui m’a menée à créer une gamme de chaises. C’était une initiative personnelle, non commandée par un client. Dans le cadre de ce projet, j’ai travaillé plus étroitement avec mes fournisseurs qu’à l’habitude. Je voulais comprendre toutes les étapes de leur production : commande des matériaux, transformation, élimination des rebuts, livraison.

Ce que j’ai appris en décortiquant la petite chaîne d’approvisionnement de mes chaises, je l’intègre désormais à ma pratique d’architecte. Dès qu’on entame l’esquisse d’une maison, on s’assoit avec l’entrepreneur qui la construira et les fournisseurs, pour qu’ils sentent qu’ils ont un rôle important à jouer. C’est notre solution pour réaliser des projets plus écologiques. Avant, on dessinait le projet de notre côté, puis on le passait à l’entrepreneur qui coupait toutes les caractéristiques écologiques. Maintenant, on lui présente dès le début et on détermine ensemble comment préserver ces caractéristiques, en ajustant d’autres paramètres s’il le faut.

Comment tes fournisseurs réagissent-ils à ta façon plus étroite de travailler avec eux?

Ça les a déstabilisés. Il existe une croyance selon laquelle les architectes se présentent sur les chantiers pour « faire la police ». Ce n’est pas notre intention. Nous voulons plutôt établir des partenariats en vue de réaliser des constructions respectant nos valeurs.

Par exemple, nous réalisons un projet au bout d’une longue route située dans le Vieux Village de Mont-Tremblant. L’éloignement de l’emplacement a pour effet d’augmenter les coûts liés au transport des matériaux et aux services. Pour la livraison des matériaux, on cherche des solutions optimisant les déplacements. Pour les services, comme le chauffage, mon action s’inscrit dans une réflexion plus globale.

Que veux-tu dire pas « plus globale »?

En énergie, il y a le passif et l’actif. Le passif est lié à la construction : on peut isoler et orienter les fenêtres pour capter un maximum de chaleur qui pourra être libérée plus tard, par exemple. L’actif, c’est la génération d’énergie. Pourquoi ne pas opter pour une combinaison de sources? Un chalet éloigné peut être branché au réseau d’Hydro-Québec tout en possédant un système indépendant.

Je viens de découvrir l’aérothermie. Moins invasive que la géothermie, cette technologie utilise le vent pour activer le système de chauffage. Mes projets de bâtiments éloignés me poussent à explorer les immeubles net zéro, qui génèrent leur propre énergie et qui peuvent même vendre leur surplus à Hydro-Québec.

Tu tiens à ce que tes matériaux proviennent d’entreprises locales. Quels défis cela pose-t-il?

Il faut être créatif. On ne trouve pas de céramique faite au Québec? Installons du cèdre dans la douche! Acheter local pour réduire le transport? Oui, mais pas que ça. On prolonge aussi la vie du bâtiment, puisque les pièces de remplacement seront disponibles plus facilement.

Tu t’intéresses aussi à la composition des matériaux. En quoi consistent les tests de béton du bâtiment institutionnel que tu dessines à Chibougamau?

Les produits livrés à Chibougamau sont suremballés de manière à être protégés lors du transport. Or les emballages utilisés ne peuvent être recyclés sur place, faute d’installations. Le plastique est donc retourné à Montréal, ce qui multiplie son impact environnemental. Nous travaillons avec Recyclage Ungava et notre fournisseur de béton pour intégrer ce matériau dans le béton des planchers que nous construisons. En valorisant ainsi le plastique, on évite de devoir le retourner à Montréal.

Un des chalets du projet Beside. © APPAREIL Architecture
© APPAREIL Architecture

Terminons avec le projet Beside. De quoi s’agit-il?

Il s’agit de 75 petits chalets qui seront bâtis sur un immense terrain comprenant deux lacs, dans la municipalité de Chertsey, dans Lanaudière. La priorité est d’occuper le territoire non pas par l’entremise des chalets, mais en vivant à l’extérieur de ces chalets. L’objectif du promoteur Beside (Jean-Daniel Petit et Éliane Cadieux) est de consacrer une microportion du terrain aux habitations. C’est un projet déstabilisant. Rien n’est encore fixé. On réfléchit à l’optimisation et à la réduction des matières, dans un souci de respecter la nature. Le prototype, l’un des 75 chalets, est en cours de réalisation. Il servira à tester nos idées.