Le développement durable, c’est rassembleur

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Émilie Dupont © Jean-François Lajoie
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27 mars 2020 - Diane Bérard, Journaliste de solutions

LES ENTREVUES DE DIANE BÉRARD

Émilie Dupont travaille comme coordonnatrice de la démarche d’économie circulaire à la SADC du Kamouraska, un organisme de développement socio-économique dont le territoire regroupe 21 000 habitants répartis dans 17 municipalités situées à équidistance de Québec et de Rimouski. Unpointcinq l’a rencontrée pour discuter d’un phénomène émergent au Québec qui permet de lutter, entre autres, contre l’obsolescence planifiée : l’économie de fonctionnalité. Nous avons aussi parlé des tensions entre les adeptes du développement durable et ceux de la décroissance, ainsi que d’une retombée sous-estimée des pratiques de développement durable : l’ouverture qu’elles suscitent chez ceux qui les mettent en œuvre.

Diane Bérard – Émilie, tu es née en France, à Angers, une commune de la vallée de la Loire. En quoi ton lieu de naissance a-t-il déterminé ton lien au climat?

Émilie Dupont – J’ai grandi sur une ferme, mon lien à la terre et au cycle des saisons est fort. Mon père et ma mère nous ont appris tôt que les ressources ne sont pas infinies. Et que nous sommes à la merci du climat. Je revois encore mon père danser de joie quand la pluie se mettait enfin à tomber après une période de sécheresse.

Quel est le mandat d’une SADC, l’OBNL pour lequel tu travailles?

Le Québec compte 57 Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC). Notre rôle consiste à accompagner des projets et des entreprises qui contribuent à la vitalité de notre région.

En 2010, le conseil d’administration de la SADC du Kamouraska a adopté une politique de développement durable par conviction. Mais ce n’est pas avec des arguments environnementaux que vous avez convaincu la communauté d’affaires de s’y mettre aussi.

C’est vrai, nous avons longtemps fait le choix de ne pas parler d’environnement, pour ne pas effrayer nos entrepreneurs. Nous leur avons plutôt parlé d’amélioration de leurs pratiques. Nous avons privilégié l’angle de l’intégration à celui de la nouveauté.

Peux-tu nous donner un exemple concret du réseau d’échange que vous avez créé entre certaines entreprises de votre région?

Le Groupe Gibo fabrique du mobilier. Sa production génère des chutes de textile. Nous avons d’abord évalué des scénarios pour les réduire, afin de générer moins de déchets et d’acheter moins de matière première. Dans les deux cas, on réduit les coûts. C’est une proposition attirante. Et ce qu’on ne peut pas réduire, peut-on le réutiliser? Le réflexe veut que l’entreprise tente de les réutiliser dans son processus de fabrication. Mais nous avons ajouté une nouvelle variable : et si une autre entreprise réutilisait ces chutes de textiles et que le Groupe Gibo en tirait un revenu? C’est ici que Les créations de Nathalie entrent en scène. Ses produits (des sacs, des étuis, des pochettes et des toutous) sont fabriqués à partir des chutes de textile du Groupe Gibo. Depuis deux ans, ce sont trois tonnes de tissus qui ont été détournées des rebuts grâce à cette boucle.

entomo dsp hommes carton developpement durable
Entomo DSP est la première ferme de grillons à grande échelle de la province. Ses deux fondateurs, originaires du Bas-Saint-Laurent, trouvaient essentiel de retourner dans leur région pour mettre sur pied ce projet innovateur.
Ébénisterie Le Tenon et la Mortaise
Benoit St-Jean, Ébénisterie Le Tenon et la Mortaise à St-André de Kamouraska, Québec. Depuis leur atelier, lui et Caroline Roberge fabriquent des objets et meubles modernes en utilisant des méthodes traditionnelles d'ébénisterie artisanale.

Trois tonnes de tissus détournées, ce n’est pas rien. Un tel indicateur attire l’attention. Mais toi, ce sont d’autres indicateurs qui t’interpellent.

L’aspect mesurable intéresse les entreprises et les bailleurs de fonds : le tonnage de matière échangée entre les organisations, les tonnes de gaz à effet de serre évitées, les tonnes de matières détournées de l’enfouissement, etc. Moi, ce sont les aspects non mesurables qui m’intéressent : la notoriété que ces pratiques innovantes donnent à l’entreprise et le sentiment de fierté qu’elles engendrent chez les employés, de même que leur impact sur la rétention du personnel. On peut aussi parler de la posture du dirigeant qui change : ceux qui participent aux démarches d’économie circulaire deviennent généralement plus ouverts au développement durable et à l’environnement.

Le développement durable et la croissance verte rallient de nombreux acteurs. Mais ils comptent aussi leurs détracteurs qui qualifient cette croissance verte d’oxymoron. Cherchons-nous simplement à gagner du temps pour ne pas changer notre façon de vivre?

Des questions, je m’en pose constamment. C’est essentiel pour éviter l’écoblanchiment. Je crois que le développement durable peut générer une croissance différente, une autre forme de développement économique. L’économie circulaire crée de nouvelles entreprises, c’est vrai. Nous ne sommes pas dans une logique de décroissance. Mais il ne s’agit pas de méga-usines qui peuvent être délocalisées facilement. Ce sont des organisations locales. Le modèle d’économie circulaire est plus logique sur des circuits d’échanges courts.

L’économie circulaire se répand rapidement. Mais d’autres pratiques contribuent à la transition écologique, comme l’économie de fonctionnalité, dont le Kamouraska est un pionnier au Québec. En quoi consiste-t-elle?

L’économie de fonctionnalité repose sur la vente d’un usage plutôt que sur celle d’un bien. Les cas les plus connus sont les expériences européennes de Philips et de Michelin. Philips propose désormais des heures d’éclairage à ses clients plutôt que des appareils qui servent à éclairer. Quant à Michelin, elle vend des kilomètres de transport plutôt que des pneus. Dans les deux cas, les fabricants demeurent propriétaires des articles qu’ils fabriquent et ils en vendent l’usage à leurs clients.

economie circulaire schema explication

 

En quoi l’économie de fonctionnalité a-t-elle un effet positif sur le climat?

C’est une façon efficace de lutter, entre autres, contre l’obsolescence planifiée. Le producteur demeurant propriétaire du bien qu’il fabrique, il n’a aucun intérêt à ce que celui-ci se dégrade rapidement. Le revenu du fabricant étant associé à l’usage et non à l’achat, il n’a pas besoin de vendre toujours plus d’unités pour assurer sa rentabilité. On produit moins, donc on extrait moins et on génère moins de déchets. On réduit tous les impacts du cycle de production.

Et en quoi l’économie de fonctionnalité nous responsabilise-t-elle tous un peu plus?

Comme je l’ai expliqué, le fabricant demeure propriétaire du bien. Il souhaite donc en prolonger la vie. Du coup, il aura intérêt à former le client afin qu’il fasse un usage optimal de son bien. Reprenons l’exemple de Michelin. Ce fabricant de pneus s’assure, par exemple, que les chauffeurs des entreprises à qui il vend des kilomètres de transport sont formés à la conduite écoresponsable. Il offre même ces cours.

2e Rendez-vous ÉC (crédit Sophie Lévesque)
Émilie Dupont, tout à droite, lors du 2e Rendez-vous de l'économie circulaire. © Sophie Lévesque

Kamouraska a été la première région québécoise à mener un projet d’économie de fonctionnalité. Peux-tu nous en donner les détails?

En 2018 et 2019, nous avons réuni un expert de l’analyse cycle de vie, un autre de l’organisation du travail et trois PME. On a étudié comment ces entreprises pouvaient adapter une partie ou la totalité de leur modèle d’affaires pour passer de la vente d’un bien ou d’un service à celle d’un usage. Dans ces PME, il y a un plombier qui compte de nombreux agriculteurs parmi ses clients. Habituellement, un plombier répare des bris. Le nôtre a étudié la possibilité de proposer aux agriculteurs des services d’entretien de leurs systèmes d’eau potable assortis d’un modèle de paiement innovateur. Les agriculteurs paieraient non pas pour l’entretien du système, mais pour la performance de leur eau. Car la qualité de l’eau affecte la qualité du lait, donc le prix que pourra en tirer l’agriculteur. Dans ce modèle basé sur l’usage, plusieurs types de contrats sont possibles. Le plombier pourrait être payé au prorata du volume d’eau traitée par son client ou alors selon la qualité de l’eau. C’est ensuite au plombier de déterminer à quelle fréquence il doit entretenir le système afin que l’agriculteur obtienne la quantité et la qualité d’eau sur lesquelles ils se sont entendus. Ce scénario permet de prolonger la vie des équipements, en repoussant le moment de leur remplacement. De plus, on préserve l’eau, puisque cet entretien préventif prévient les fuites.

Quelle est la prochaine étape de votre projet pilote d’économie de fonctionnalité?

Nous allons nous former pour mieux accompagner les entreprises québécoises à déployer des modèles d’économie de fonctionnalité. Nous élaborons, avec trois autres territoires québécois, de la formation destinée à tous les membres du réseau Synergie Québec. Cet organisme regroupe des réseaux d’organisations maillées entre elles par des échanges de ressources, de matières résiduelles, d’eau, d’énergie et d’innovations. Cette formation sera donnée au printemps 2020.

Tu insistes sur l’importance d’une action climatique inclusive…

Nous n’avons pas le luxe de nous passer de quiconque. Quand j’ai débuté dans ce métier, une de mes connaissances réalisait un mandat pour une entreprise aux pratiques de production discutables. « J’ai deux choix, m’a-t-il dit : accompagner cette organisation ou la laisser là. Je préfère le premier. » C’est notre choix à tous : ne rien faire ou agir.

En terminant, j’aimerais savoir si, aujourd’hui, vous osez parler d’environnement et de climat à la communauté d’affaires du Kamouraska.

Oui, nous en parlons davantage, car nous observons que le développement durable agit comme un liant social. Il bonifie les liens entre le territoire et les entreprises, entre les citoyens et les entreprises et entre les citoyens. Il nous apparaît que le développement durable rassemble plus qu’il ne divise.

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