Passeport carbone : la clé pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris?

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© Shutterstock/SvetaZi
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13 février 2023 - François Delorme, Consultant et professeur d'économie

Passeport. Pour plusieurs, le mot rappelle de mauvais souvenirs pandémiques. Vous souvenez-vous du temps où l’on avait besoin d’un VaxiCode pour aller au resto au Québec? C’était d’ailleurs le cas dans plusieurs pays du monde.

Mais, me direz-vous, quel rapport avec la lutte aux changements climatiques?

Faisons quelques pas en arrière. Dans nos économies de marché (ou capitalistes), en vertu de la loi de l’offre et de la demande, on suppose que les prix sont le canal par lequel s’expriment les désirs des demandeurs et des offreurs. 

Prenons un exemple simple. Supposons qu’il n’y ait qu’une voiture produite dans le monde, mais que dix acheteurs potentiels désirent l’acheter. Comme il y a plus de demandeurs de voitures que de voitures offertes, le prix de ladite voiture augmentera et elle sera vendue au plus offrant. C’est la loi de l’offre et de la demande qui draine l’énergie de la majeure partie des étudiants des écoles de gestion!

Le prix, c’est le mécanisme régulateur de base d’une économie de marché, à l’instar de l’huile à moteur dans nos moteurs à combustion. 

Taxer pour influencer la consommation

Les gouvernements n’exercent généralement aucune influence sur les prix établis de cette façon. La seule manière pour eux d’influencer les prix, c’est par le biais des taxes et des subventions, qui modifient les prix après taxes (ou après subventions). Le gouvernement désire que vous achetiez une voiture électrique plutôt qu’une voiture à essence? Il vous accorde une subvention de 12 000 $ qui réduira d’autant le coût d’acquisition de la voiture électrique.

L’État peut donc influencer les prix par la fiscalité, mais jusqu’à un certain point! En effet, il doit entre autres tenir compte de l’acceptabilité sociale des taxes. Par exemple, les consommateurs vont peut-être accepter une taxe à la consommation de 15 % pour financer nos écoles publiques, mais accepteront-ils une TVQ de 35 %? Sans doute pas!

L’inefficacité de la taxe sur l’essence

Revenons maintenant à la lutte aux changements climatiques. Afin de réduire notre consommation d’énergies fossiles, les gouvernements imposent certaines taxes qui majorent le prix. Au Québec, les taxes sur l’essence comprennent une taxe fédérale de 10 cents le litre et une taxe provinciale de 9,5 cents le litre. S’y ajoute également une taxe sur la vente de carburant de 2,5 cents le litre. Pourtant, ces taxes ne semblent pas faire fléchir la consommation d’essence ou décourager les automobilistes d’acheter des véhicules toujours plus énergivores.

Au Québec, il n’y a pas de taxe carbone sur l’essence, mais il y a un prix sur le carbone. C’est un coût lié aux droits d’émission que les distributeurs d’essence doivent acheter au gouvernement. Ce coût a une influence directe sur le prix à la pompe.

De 1990 à 2020, les ventes d’essence destinées aux véhicules automobiles ont augmenté de 25 % (1). Qui plus est, le nombre de camions légers utilisés pour le transport personnel sur les routes québécoises, de même que leurs ventes ont augmenté respectivement de 329 % et 236 % (2). On est donc obligés de constater que les taxes sur l’essence n’ont ralenti ni la consommation d’essence ni l’achat de voitures.

C’est dans ce contexte que certains économistes remettent en question le mécanisme des prix et taxes pour freiner la consommation d’énergies fossiles. Ils en arrivent à la conclusion que les taxes sont peu efficaces pour régler le problème et qu’elles n’incitent pas les gens à modifier leurs comportements. À la lumière des statistiques présentées plus haut, on ne peut que leur donner raison!

Un passeport pour limiter les émissions individuelles

C’est pour cela que la proposition du passeport carbone a vu le jour.

Imaginée par des chercheurs anglais dans les années 1990, défendue par le célèbre économiste Thomas Piketty (3) et raffinée par de nombreux autres chercheurs, cette proposition mise sur les quantités plutôt que sur les prix comme mécanisme régulateur.

Comment cela fonctionnerait-il? Dans sa version la plus simple, chaque personne se verrait attribuer un quota individuel par année (c’est le passeport!), tout en ayant le droit de vendre tout ou une partie de ce quota.

On sait qu’afin d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de limiter la hausse de température à 1,5°C d’ici 2050, les émissions moyennes par personne devraient diminuer pour atteindre environ 2 tonnes d’ici 2030 (4). Selon l’Institut de la statistique du Québec, l’empreinte carbone par habitant au Québec est de 9 tonnes (5). On sait toutefois que cette empreinte dépend fortement du niveau de revenu.

On pourrait donc, dès 2023, allouer un quota de 9 tonnes à chaque Québécois, tout en réduisant graduellement d’une tonne par année ce quota par habitant. De cette façon, en 2030, nous atteindrions l’objectif de 2 tonnes par année par personne, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

 

© François Delorme.

 

Dans une analyse récente, l’économiste français Antonin Pottier compare les caractéristiques du passeport carbone à celles de la taxe carbone (6). Selon son analyse, les désavantages du passeport carbone sont surtout liés à ses coûts de mise en place et à sa gestion. En revanche, le passeport carbone apparaît supérieur à la taxe carbone pour son efficacité à atténuer les émissions de CO2, surtout en vertu de sa grande visibilité, « qui serait le catalyseur de réflexions et d’actions, individuelles et collectives, sur les modes de production et les styles de vie » (7).

L’argument des coûts de mise en place et de surveillance est peut-être aujourd’hui exagéré. En effet, plusieurs économistes avancent que les progrès récents de l’intelligence artificielle dans le contexte de la lutte aux changements climatiques et la très grande proportion d’utilisateurs de téléphones intelligents ouvrent une conjecture favorable pour le passeport carbone (8). Le plus grand frein resterait toutefois celui de l’acceptabilité sociale. Pourtant, comme l’écofiscalité ne suffit pas à ralentir les émissions de GES, a-t-on vraiment encore le luxe de ne pas l’essayer?

[1] Statistiques Canada, « Tableau : 23-10-0066-01 », [en ligne], https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=231000660.

[2] État de l’énergie 2023, HEC.

[3] Thomas Piketty (2019). Capital et Idéologie, Paris, Seuil.

[4] Jag Bhalla (2021-02-24). « What’s your « fair share » of carbon emissions? You’re probably blowing way past it », Vox [en ligne], https://www.vox.com/22291568/climate-change-carbon-footprint-greta-thunberg-un-emissions-gap-report.

[5] Institut de la statistique du Québec, [site Internet], https://statistique.quebec.ca/fr/communique/premiere-estimation-empreinte-carbone-menages-quebec.

[6] Antonin Pottier (2022). « Carte carbone :  Les arguments pour en débattre », Revue d’économie politique, vol. 132, p. 723-750.

[7] Pottier, p. 745.

[8] Francesco Fuso Nerini  et coll. (2021). « Personal carbon allowances revisited », Nature Sustainability, vol. 4, p. 1025–1031.

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