Début 2020, le plastique à usage unique était une espèce en voie d’extinction, soigneusement éradiquée à coups de règlements municipaux. Mais la pandémie de COVID-19 a tout changé : de nombreux commerces ont soudainement refusé les sacs réutilisables, espérant ainsi réduire les risques de propagation du coronavirus.
En vogue ces dernières années, les épiceries spécialisées dans le vrac ont dû se réinventer. La coop Alina de Rimouski a par exemple choisi de faire une croix sur le principe du zéro déchet : jusqu’à la fin août, les contenants réutilisables ont été bannis, et seul un employé, qui remplissait des sacs à la demande des clients, avait accès à la section vrac. « Si on veut rassurer notre clientèle, il y a des sacrifices à faire », résume la directrice générale par intérim, Hélène Francoeur.
Contrairement à d’autres épiceries zéro déchet de la province, la coopérative rimouskoise a réussi à maintenir un bon chiffre d’affaires pendant la pandémie, mais la situation a quand même engendré des surcoûts en personnel. Aujourd’hui, la section vrac est de nouveau accessible aux clients, mais ces derniers ne peuvent se servir eux-mêmes que dans les silos équipés d’une chute, ce qui représente environ 20 % de l’offre totale. Les autres produits sont préensachés par les employés, même si Mme Francoeur reconnaît que « cela dénature un peu l’idée du vrac ».
De manière générale, le sac d’épicerie jetable a fait un retour en force partout au Québec : à East Broughton (Chaudière-Appalaches), l’entreprise Emballages EB en a fabriqué environ 2 millions dans les 6 derniers mois, contre 500 000 par an en temps normal, selon son président Frédéric Lessard qui se réjouit que « les gens comprennent qu’il y a du positif au plastique ». Sherbrooke prévoyait bannir les sacs à usage unique dès le 22 avril, mais cette date a été ajournée.
Tout le monde est conscient des conséquences [sur l’environnement et le climat] d’un tel usage du plastique jetable, qui seraient terribles…
Il ne faudrait pourtant pas aggraver l’autre gros problème de notre époque, les changements climatiques, en combattant la COVID-19, pense la professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, Laurence Guillaumie : « Tout le monde est conscient des conséquences [sur l’environnement et le climat] d’un tel usage du plastique jetable, qui seraient terribles… »
Mme Guillaumie fait partie des 120 experts de la santé qui ont signé une lettre affirmant que l’utilisation des contenants à usages multiples n’est pas problématique en temps de pandémie. D’une part, les données scientifiques montrent que le virus se propage bien plus par les gouttelettes que par le contact avec des surfaces potentiellement contaminées. D’autre part, il survit aussi longtemps sur un produit jetable que sur un produit réutilisable, ce dernier ayant l’avantage de se nettoyer facilement.
Un guide destiné aux commerçants, publié le 8 juillet par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), confirme d’ailleurs que le client « peut utiliser des sacs réutilisables, mais ces derniers ne doivent pas être manipulés par les employés ».
À l’épicerie LOCO de Villeray, on a réussi à traverser la pandémie sans bousculer ses idéaux. « [Comme] les contenants réutilisables n’ont jamais été officiellement interdits par le gouvernement, on n’a pas voulu se laisser emporter par les rumeurs », déclare la gérante Annie Martineau. Un protocole plus strict a été mis en place : les employés ne touchent plus aux contenants des clients, et les pelles sont désinfectées plus souvent. Un service de livraison à domicile a aussi été inauguré.
Aucune catastrophe n’a été déplorée ni au sein de l’équipe de LOCO, ni parmi les habitués de l’épicerie. Un coup de chance? Pas du tout : l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) affirme « qu’il n’y a jusqu’à présent aucun cas documenté d’infection à la COVID-19 induite par un contact avec des surfaces inertes contaminées ». Pas besoin, donc, de remettre au placard sacs et contenants réutilisables pour affronter la deuxième vague.