Transport collectif gratuit : partout et pour tout le monde ?

Autobus gratuit circulant dans la communauté urbaine de Dunkerque, en France. © CUD
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Autobus gratuit circulant dans la communauté urbaine de Dunkerque, en France. ©CUD
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23 janvier 2023 - Simon Diotte, Coureur des bois dans l'âme

À l’heure de la transition écologique et de la congestion routière endémique, les grandes villes du Québec devraient-elles imiter Dunkerque? Cette agglomération française de 200 000 habitants a démontré que la gratuité du transport collectif peut être un moteur de changement.

En 2018, lors de la première année de gratuité dans les transports collectifs à Dunkerque, 48 % des nouveaux usagers du bus affirmaient qu’ils prenaient moins leur voiture. Un impact sur le transfert modal fort prometteur.

Bien que 38 réseaux de transport public soient aujourd’hui complètement gratuits au pays de Mbappé (Dunkerque, Niort, Calais, etc.), le débat entourant la gratuité y fait toujours rage. « Lors des dernières élections municipales en 2020, ce fut même l’un des thèmes majeurs », affirme Philippe Poinsot, maître de conférences au Laboratoire ville mobilité transport de l’Université Gustave Eiffel et de l’École des Ponts ParisTech, qui se penche sur les enjeux entourant la gratuité dans le transport collectif.

C’est un débat ultra-polarisant. Les « pour » y voient une façon de lutter contre la crise climatique en réduisant l’appel de l’automobile. Ils vantent en outre son aspect égalitaire, car le fait de ne pas payer facilite le déplacement des gens en bas de la pyramide sociale. Les « contre » disent que la gratuité coûte cher à implanter – alors que le paiement par les usagers ne couvre en moyenne que 14 à 17 % de la facture des réseaux de transport public français – et qu’elle augmenterait les actes d’incivilité, l’absence de paiement rendant ce service sans valeur.

Arguments scientifiques ou idéologiques?

« Les administrations municipales ou régionales qui sont “pour” commandent des études qui leur sont inévitablement favorables et les “contre” font exactement la même chose », fait remarquer Philippe Poinsot, donnant l’exemple des régions métropolitaines de Paris et Lyon. Bref, pas facile d’y voir clair. « Le problème, c’est que les arguments des deux camps sont rarement fondés sur une preuve scientifique. Ils se basent davantage sur des représentations idéologiques », affirme-t-il.

Par ailleurs, peu d’études se sont penchées sur les conséquences de la gratuité. Les expériences sont encore récentes et trop diverses pour en tirer des conclusions claires, surtout après le passage de la COVID. « Les gens ne changent pas leurs habitudes du jour au lendemain. Par exemple, ils ne vendront pas leur voiture aussitôt que le transport public devient gratuit », dit Philippe Poinsot.

Autobus gratuit à Mont-Tremblant. ©Municipalité de Mont-Tremblant
Autobus gratuit à Mont-Tremblant. ©Municipalité de Mont-Tremblant

Monter à bord sans frais… ou pas

Au Québec, une quinzaine de municipalités ont embarqué dans l’autobus de la gratuité. Dans le cas de Mont-Tremblant, l’achalandage a augmenté de plus de 40 % depuis l’instauration de la gratuité en 2019. Dans la MRC de la Côte-de-Beaupré, la disparition du billet, en 2021, a fait bondir le nombre de déplacements de 175 % en 2022. Preuve que la mesure attire la faveur du public.

Toutefois, les grandes villes du Québec n’ont pas encore pris le train (gratuit) en marche. Est-il temps de peser sur l’accélérateur de la gratuité en période de crise climatique? Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, un organisme qui promeut un aménagement durable de nos villes, étonne en étant réfractaire à la gratuité tous azimuts. « Ça risque de nuire au financement du transport collectif alors que celui-ci vit une crise depuis la COVID, en plus d’être largement sous-financé depuis des décennies », dit-il.

Un point de vue partagé par Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec, qui craint l’absence d’une hausse du soutien public afin de compenser la perte de revenus de la tarification. « La question du coût ne pèse pas énormément dans le choix entre l’auto et l’autobus. C’est la qualité du service qui fait la différence », dit-elle. Ces deux intervenants préfèrent de loin une augmentation de l’offre de services pour encourager l’utilisation du réseau public.

Une idée qu’appuie Fanny Tremblay-Racicot, professeure en administration municipale et régionale à l’École nationale d’administration publique. « Avec la gratuité, les études démontrent qu’une proportion de 25 à 50 % des nouveaux usagers délaisse l’auto pour le transport collectif. Mais si on ajoute une nouvelle ligne d’autobus, cette proportion de nouveaux usagers sera encore plus grande, de 80 à 90 %, voire de 100 % », dit-elle. Bref, quelle est la mesure la plus efficiente : la gratuité ou la bonification du service?

Une autre possibilité que la gratuité totale? L’offrir par la bande, par exemple en obligeant les employeurs à rembourser le titre de transport à leurs employés. « Les usagers en profitent et les sociétés de transport ne perdent pas au change. C’est une mesure qui pourrait être très efficace », dit Fanny Tremblay-Racicot. À considérer.

Pour une tarification sociale

À la gratuité mur à mur, Sarah V. Doyon préfère la tarification basée sur le revenu. Les personnes à faibles revenus paieraient moins cher leur titre de transport. L’exemple de Dunkerque, en France, démontre cependant les limites de cette mesure sociale. « On a réalisé que les gens qui avaient le droit à la gratuité ne s’en prévalaient pas, car ils ne savaient pas que cette mesure existait, ni comment en bénéficier ou étaient trop orgueilleux pour en faire la demande », dit Philippe Poinsot. Les gens les plus pauvres et vulnérables sauront-ils comment aller chercher le laissez-passer A38 (les fans d’Astérix comprendront la référence!) donnant droit à la gratuité?

Ce qui est une certitude, c’est que la gratuité ne constitue pas à elle seule une politique de mobilité. « C’est un des instruments qui peut en faire partie », nuance Philippe Poinsot. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on rend le transport en commun gratuit qu’il y aura un abandon massif de la voiture pour l’autobus, le métro et le tramway, et une réduction conséquente des gaz à effet de serre (GES). « Si le service public ne concurrence pas efficacement l’automobile, les gens continueront à prendre l’auto », constate-t-il.

Pour le climat, mais pas seulement

Les raisons de larguer les guichets ne se résument pas non plus à la cause climatique. « Des municipalités utilisent la gratuité en vue de rendre leur centre-ville plus attractif. Bref, ça peut faire partie d’un plan d’urbanisme beaucoup plus large », ajoute cet observateur. La gratuité peut également servir à justifier les dépenses publiques. Si les bus qui étaient vides se remplissent grâce à elle, chaque dollar dépensé fait davantage de chemin.

« La gratuité est un choc qui oblige à une réflexion sur la mobilité », dit Philippe Poinsot. Est-il temps de nous autoadministrer ce choc pour faire avancer les choses?

Question de perspective

En payant leur titre de transport, les usagers ne financent qu’un tiers de la facture du transport public dans la province. Si la gratuité était instaurée au Québec, le gouvernement devrait compenser cette perte de revenus aux sociétés de transport, ce qui représenterait moins de 1 % des dépenses provinciales, qui s’élèveront à près de 144 milliards de dollars en 2022-2023.

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