Sites miniers abandonnés : le long travail d’une « détective artistique »

L'artiste en arts visuels Véronique Doucet de retour sur son « terrain de jeu » de l'époque où sa pratique portait spécifiquement sur les impacts de l'industrie minière sur l'environnement. 
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L'artiste en arts visuels Véronique Doucet de retour sur son « terrain de jeu » de l'époque où sa pratique portait spécifiquement sur les impacts de l'industrie minière sur l'environnement.  ©Émilie Parent-Bouchard
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05 février 2024 - Émilie Parent-Bouchard, Journaliste de l'Initiative de journalisme local

L’artiste en arts visuels et militante environnementale Véronique Doucet pourrait bien avoir été une bougie d’allumage pour éveiller l’opinion publique au sujet de la restauration des sites miniers abandonnés. Rétrospective artistique, politique et scientifique sur l’un des exemples les plus problématiques du Québec : Aldermac.

De 1932 à 1943, on a extrait d’Aldermac, un gisement polymétallique situé à une quinzaine de kilomètres de Rouyn-Noranda, quelque 28 041 tonnes de cuivre, 10 675 onces d’or, 389 100 onces d’argent, ainsi que de la silice et de la pyrite. Au milieu des années 2000, Il ne restait de l’exploitation de ce gisement qu’un territoire désolé – « lunaire », dira Véronique Doucet – de 76 hectares aux teintes orangées caractéristiques du drainage minier acide (DMA) qui empêchait la nature de reprendre ses droits.

Le site minier abandonné Aldermac, en 2023. Malgré les teintes encore orangées témoignant du drainage minier acide, les indicateurs s'améliorent, fait valoir le chercheur de l'UQAT spécialisé dans la restauration minière Bruno Bussière.
Le site minier abandonné Aldermac, en 2023. Malgré les teintes encore orangées témoignant du drainage minier acide, les indicateurs s'améliorent, fait valoir le chercheur de l'UQAT spécialisé dans la restauration minière Bruno Bussière. ©Émilie Parent-Bouchard

Qu’est-ce que le DMA?

Une fois les métaux récupérés, les résidus de l’extraction minière contiennent souvent des éléments de soufre. Le contact avec l’air provoque l’oxydation de ces sulfures, produisant une solution acide. C’est ce qu’on appelle le drainage minier acide (DMA), qui peut contribuer à l’acidification des cours d’eau.

« Un ami chasseur m’avait donné le chemin pour venir ici. C’est là que j’ai découvert le désastre environnemental, raconte Véronique Doucet, une artiste en arts visuels qui cherchait des matériaux bruts pour son installation Souche minière, en 2002. [C’est là que tout] le processus a commencé : demandes d’accès à l’information au ministère de l’Environnement et bourse de recherche et création du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) en 2004 », poursuit celle qui décrit sa démarche de l’époque comme celle d’une « détective artistique ».

Elle se colle alors à des spécialistes de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) pour étoffer ses recherches, sollicitant entre autres l’aide d’un biologiste pour mesurer l’acidité des cours d’eau. Résultat : la rivière et le lac Arnoux ainsi qu’un ruisseau à proximité présentent un pH de 2, soit à peu près l’équivalent du jus de citron, comparativement à l’eau d’un lac « neutre » qui se chiffre dans une plage de 6,5 à 7. « C’était important d’aller au bout de [ce qui se] déverse dans le lac Kanasuta, le lac Dasserat. Encore aujourd’hui, il y a du monde qui pêchent, qui se baignent, qui ont des chalets là », rappelle-t-elle.

La rétrospective revenant sur la carrière de l'artiste en arts visuels Véronique Doucet a été présentée au Musée d'art de Rouyn-Noranda (MA) l'automne dernier. Les images projetées au mur sont celles de la performance Plantation minière lors de laquelle des reboiseurs plantent symboliquement des arbres dans les boues du site minier abandonné Aldermac.
La rétrospective revenant sur la carrière de l'artiste en arts visuels Véronique Doucet a été présentée au Musée d'art de Rouyn-Noranda (MA) l'automne dernier. Les images projetées au mur sont celles de la performance Plantation minière lors de laquelle des reboiseurs plantent symboliquement des arbres dans les boues du site minier abandonné Aldermac. ©Émilie Parent-Bouchard

Une campagne de cartes postales au ministre

Avec l’appui du Conseil régional de l’environnement de l’Abitibi-Témiscamingue (CREAT), l’artiste décide de démarrer une campagne d’envoi de cartes postales au ministre de l’Environnement, espérant que la question se taille une place dans la liste des priorités des parlementaires.

« Je voulais développer chez les gens une conscience active. Si je faisais participer la population, ils allaient sentir qu’il y avait une mobilisation et que c’était important. Près de 3000 cartes postales ont été envoyées aux instances gouvernementales », relate-t-elle.

Coup de théâtre, la mobilisation fonctionne : à l’été 2006, le ministre des Ressources naturelles et de la Faune et député d’Abitibi-Est, Pierre Corbeil, annonce une enveloppe de 500 000 $ pour la caractérisation de ce site « orphelin », en vue d’une éventuelle restauration.

« Juste ça, c’était une victoire. Et selon une personne qui travaillait là-dessus depuis plusieurs années [au ministère de l’Environnement], c’était la première fois qu’il y avait un mouvement assez gros pour pousser l’affaire plus loin », se souvient Véronique Doucet.

Le chercheur de l'UQAT Bruno Bussière, spécialisé dans la restauration minière. 
Le chercheur de l'UQAT Bruno Bussière, spécialisé dans la restauration minière.  ©Émilie Parent-Bouchard

Un site sur le radar des scientifiques depuis longtemps

Bruno Bussière, qui enseigne à l’Institut de recherche en mines et environnement (IRME) de l’UQAT et est titulaire de la Chaire industrielle CRSNG-UQAT sur la restauration des sites miniers, tempère cette affirmation. Oui, les gestes artistiques de Véronique Doucet – dont la publication de photos saisissantes et la mise en scène de reboiseurs plantant des arbres dans la boue orange – ont contribué à sensibiliser le public, croit celui qui avait alors rédigé une lettre d’appui pour le dossier de l’artiste au CALQ, mais les spécialistes étudiaient déjà ce site.

« Les ingénieurs, les chercheurs, on avait des colloques où on présentait Aldermac. Mais une portion de la population n’était peut-être pas au courant. Elle a mis ça en lumière et ça a eu de l’impact. Ça a montré que ce n’était pas qu’un problème technique, que c’était un problème plus global. Pour les gens de Rouyn-Noranda, c’est dans la cour arrière », illustre-t-il.

Le chercheur précise que ce cas est particulièrement complexe vu l’ampleur du site et la nécessité de le subdiviser en quatre portions – nord, sud, intermédiaire et ruisseau – pour mettre en place des stratégies de restauration adéquates dans chacune.

Il décrit par exemple la stratégie de la portion « ruisseau », qui consistait à récupérer les résidus entraînés par l’eau et à les acheminer vers le parc à résidus déjà existant avant de le recouvrir de chaux, puis de le végétaliser pour empêcher le contact avec l’air. Dans une autre portion du site, on a appliqué la méthode de la « nappe surélevée », c’est-à-dire qu’on a aménagé des digues pour diriger les résidus vers un secteur submergé et éviter ainsi leur oxydation.

Le secteur de l'ancienne mine Waite-Amulet, un secteur privilégié par les chasseurs, présente encore des traces de l'exploitation minière d'une autre époque. 
Le secteur de l'ancienne mine Waite-Amulet, un secteur privilégié par les chasseurs, présente encore des traces de l'exploitation minière d'une autre époque.  ©Émilie Parent-Bouchard

Petit à petit, l’oiseau refait son nid

Après plus de neuf millions de dollars décaissés par le Trésor québécois, la nature n’a pas tout à fait repris ses droits, mais les indicateurs s’améliorent, assure Bruno Bussière. « J’ai confiance que dans 10 ans, quand on va regarder les données, elles vont être bien meilleures », dit-il, ajoutant qu’il est optimiste quant à la possibilité d’atteindre un pH allant de 6,5 à 9, tel que l’exige la réglementation.

Véronique Doucet salue aussi l’avancement du projet, ne reconnaissant déjà plus son « terrain de jeu de l’époque ». « Je dis souvent que je fais partie de plein de monde qui ont travaillé là-dessus, qu’on est une équipe. Je trouve ça tripant de voir qu’il y a eu des impacts et que, visuellement, ça paraît, même s’il y a encore des choses à faire », fait-elle valoir.

La jeune science de la restauration minière, elle, a de beaux jours devant elle : depuis la refonte de la Loi sur les mines, en 2013, les compagnies doivent, avant même d’obtenir l’autorisation d’exploiter une mine, présenter un plan de restauration complet du site ainsi que des garanties financières permettant de le réaliser. Afin que ne puissent plus se répéter les erreurs du passé.

« Quand on restaure un site minier abandonné, il faut être conscient et accepter que c’est du long terme », plaide le chercheur Bruno Bussière. 
« Quand on restaure un site minier abandonné, il faut être conscient et accepter que c’est du long terme », plaide le chercheur Bruno Bussière.  ©Émilie Parent-Bouchard

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