Ma maman et ses contradictions climatiques

Illustration femme buvant son café dans les transports en commun
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©Marilyne Houde
Created with Lunacy 3 min

En journalisme, les normes déontologiques qui encadrent le choix des sources sont strictes. C’est pourquoi je vous invite à considérer ce qui suit comme une chronique certes factuelle, mais subjective, plutôt qu’un article des plus sérieux. Parce que son sujet central, en fait, c’est ma mère.

Laissez-moi vous la présenter sans tarder : Sophie enseigne le droit au collégial, voue aux Lego une passion qui ne cesse de me surprendre et s’engage dans mille projets par an. L’un de ses plus récents? Lâcher l’auto solo. Pour de bon. Même si chacune de ses journées de travail compte désormais une heure de transport en commun supplémentaire. Et même si, par ailleurs, elle n’arrive toujours pas à se résoudre à consommer moins de plastique ou moins de vêtements.

« Je ne reviendrai pas en arrière, tranche-t-elle au bout du fil. Arrêter de prendre ma voiture, c’est pas du tout un sacrifice comme je pensais que ce serait. » Avant de faire le grand saut, il y a plus d’un an, Sophie parcourait en voiture le trajet entre sa maison de Boucherville et le cégep montréalais où elle enseigne. Un itinéraire d’une heure trente chaque jour. Maintenant, c’est le bus, le métro et la marche qui rythment ses trajets, pour un total de deux heures et demie de déplacement quotidien.

« L’heure de plus, je l’utilise pour regarder par la fenêtre, écouter de la musique ou des balados, faire 25 respirations profondes… », énumère-t-elle. Je rigole un peu. Elle insiste : « C’est vrai, c’est pas une heure perdue! Autrement, je les ferai pas, les respirations. »

Réussir ici, échouer là

Même quand elle roulait quotidiennement en voiture, Sophie était déjà un brin écoanxieuse et bien au fait des impacts des changements climatiques. N’empêche, elle a eu besoin du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru à l’été 2021, pour mettre à exécution ce premier « gros move ».

« Ce que j’entendais dans les médias, c’était que les modes de transport étaient la source de pollution numéro un au Québec. J’ai eu un déclic, je me suis dit : qu’est-ce qui est à ma hauteur, comme geste? » Le secteur des transports représente en effet 43 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la province et les deux tiers des Québécoises et Québécois font usage de l’auto solo.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Sophie a commencé à se rendre quotidiennement à l’arrêt d’autobus, large sourire aux lèvres et énorme sac au dos, sous les regards un peu amusés, mais tout de même très impressionnés de son conjoint, de son fils et de moi-même.

Dans ma tête, cependant, tourne en boucle la même question : comment peut-on poser un geste aussi significatif pour le climat et continuer à traîner de la patte dans d’autres sphères de la vie quotidienne, comme la consommation de viande ou de vêtements?

Illustration sacs de magasinage
©Marilyne Houde

 

Ma chère mère est loin d’être la seule à afficher une telle contradiction. Un petit sondage que j’ai réalisé sur Instagram – et dont la méthodologie n’a pas du tout été validée par la cheffe scientifique d’Unpointcinq – a confirmé la tendance : plus des trois quarts des personnes interrogées ont affirmé qu’après avoir posé un ou deux « gros » gestes pour le climat, ils et elles faisaient moins attention à leur empreinte carbone.

Pour y voir plus clair, j’ai demandé son avis à Inês Lopes, psychologue et éducatrice en environnement : « Le changement, ça prend des efforts, souligne-t-elle d’entrée de jeu. On ne sait pas toujours par où commencer. Alors au lieu de miser sur plusieurs petits gestes, certaines personnes en font un gros. »

Ce grand coup, Sophie le voit à la fois comme « le plus pertinent à poser », et pour cause, mais aussi comme un gros pansement sur sa culpabilité.

Illustration de femme écoanxieuse
©Marilyne Houde

Pour faire dégonfler cette culpabilité, le cerveau de Sophie active certains biais cognitifs, ces raccourcis trompeurs de la pensée. Le biais de l’action unique, par exemple, peut donner l’impression à Sophie qu’elle en fait assez grâce à l’abandon de sa voiture.

La compensation morale, elle, est un biais par lequel on s’accorde certains écarts de conduite s’ils sont équilibrés par autre chose, surtout lorsque le geste est significatif. Ainsi, Sophie se permet d’utiliser à l’occasion des tasses en carton pour son café, ou encore de continuer à manger du bœuf. « J’me dis : c’est pas grave, voyons, tu prends l’autobus. »

Un petit coup de pouce collectif

Sentir que d’autres tendent vers le même objectif, partagent les mêmes valeurs et sont là pour vous donner une petite tape dans le dos à l’occasion… « Cette dimension collective aide beaucoup et contribue à un plus grand sentiment de contrôle », indique Inês Lopes, comme le contrôle de ses choix ou de son empreinte carbone.

Ce sentiment d’appartenance manque sans aucun doute à Sophie. En apprenant que les transports en commun représentaient désormais sa façon de se rendre au collège, ses collègues ont parlé d’une même voix : « Ça sert à rien », « Tu te donnes du trouble », « Quelle idée de fou »… « Ces commentaires m’enlèvent l’envie de les conscientiser », soupire ma mère. Peut-être aussi de surfer sur la vague et d’adopter d’autres gestes significatifs, parce qu’« on aime tous être reconnus dans nos efforts », note Inês Lopes.

La psychologue pense par ailleurs qu’il serait « hyper pertinent » de parler davantage des biais et des dynamiques comportementales dans les espaces médiatique et politique, car « lorsque les gens découvrent leurs biais, ça fait une différence ». Les pensées influencent les émotions, qui influencent ensuite les actions, tel un cercle vertueux, estime-t-elle.

« Je pourrais poser d’autres gros gestes, c’est sûr », reconnaît Sophie. Elle croit cependant qu’il lui faudrait un autre signal d’alarme comme ceux lancés par le GIEC. Ça, et plus de courage de la part de la classe politique.

Illustration de clé sur le porte-clé
©Marilyne Houde

« Peut-être que dans 20 ans, je vais me souvenir du moment où, à mon travail, j’étais la seule qui prenait l’autobus et peut-être que ce sera rendu la norme », lance-t-elle avec enthousiasme.

On appelle ce biais cognitif « la pensée magique ». Mais ce sera le sujet d’un autre article.

 

 Note de la rédaction : « À la demande de Mme Lopes, nous précisons que ses propos sont d’ordre général, sans en lien direct avec la situation de la mère de l’auteure et que les deux entrevues ont été faites séparément. » 

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