La fiction climatique, ou « cli-fi », se propose d’imaginer une réalité où l’humanité compose avec les changements climatiques et leurs conséquences. Pour le pire, mais aussi pour le meilleur.
Que dirait le dernier baril de pétrole produit par notre civilisation s’il pouvait prendre la parole? C’est la prémisse sur laquelle repose l’une des nouvelles rédigées par la douzaine de participants au parcours littéraire Écofiction : écrire à l’ère de la crise écologique de la 19e École d’été de l’Institut du Nouveau Monde (INM). Ce rendez-vous créatif se tenait du 17 au 20 août à l’Université Concordia, à Montréal. Il était organisé en collaboration avec la maison d’édition québécoise Alto, qui publiera les courts textes sur son site Web dans les prochains mois.
« Nous avions préalablement suggéré des pistes de sujets aux participants. L’une d’entre elles a particulièrement retenu l’attention : mettre en scène un personnage non humain qui aurait un poids narratif considérable », raconte Catherine Leroux, qui coanimait le parcours littéraire avec Simon Dansereau-Laberge, écrivain et doctorant en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. L’écrivaine, traductrice et éditrice est aussi l’autrice de L’avenir, une uchronie « qui conjugue avec brio écoanxiété et solidarité », rapportait La Presse au moment de la parution du roman, en 2020.
Ce « plaidoyer pour une humanité renouvelée » qui se déroule « dans une version imaginée du Détroit que l’on connaît », dixit la quatrième de couverture, est considéré comme un titre représentatif du genre littéraire de l’écofiction. « Je n’avais pas conscience, au moment de la rédaction du manuscrit, de m’inscrire dans ce courant », indique la principale intéressée, qui canalise aujourd’hui son angoisse face à la crise climatique de manière différente. « Si L’avenir est bel et bien né d’un élan écoanxieux, j’ai maintenant envie d’aller au-delà de ce constat d’impuissance. »
L’espoir et l’inquiétude se sont d’ailleurs côtoyés de près lors du parcours littéraire de l’INM. Ces deux extrêmes du continuum de l’écofiction ont notamment été explorés par les conférenciers invités, Christian Guay-Poliquin (Les ombres filantes) et Lula Carballo (Créatures du hasard). « Le vrai défi, c’est de situer son œuvre entre ces deux pôles, sur la mince ligne de l’ambiguïté face au devenir de l’humanité. J’ai tenté de le faire dans L’avenir; face à la catastrophe, plusieurs de mes personnages s’entraident au lieu de devenir des barbares dénués de morale », souligne Catherine Leroux.
Les littératures de l’imaginaire nous forcent à faire l’effort de se projeter en dehors de notre système, qu’on sait condamné à plus ou moins brève échéance.
Science-fiction sociale
La fiction climatique a beau être relativement jeune – le terme « cli-fi » aurait été inventé au tournant des années 2010 –, elle s’inscrit dans la filiation de la science-fiction. Ses origines, toutefois, remontent aux premiers écrivains de la nature du 19e siècle, le plus connu étant l’Américain Henry David Thoreau (Walden ou la vie dans les bois). La question de l’environnement se taille petit à petit une place dans la littérature au cours du 20e siècle, par exemple dans Les raisins de la colère de John Steinbeck (1939) et Dune de Frank Herbert (1965).
« La production des 30 dernières années en est essentiellement une de dystopies. Le constat est implacable : ça va mal et ça n’ira pas mieux », explique Geneviève Blouin, écrivaine, directrice de la collection VLB Imaginaire et coautrice du guide pratique Écrire et publier au Québec : les littératures de l’imaginaire. « On ne s’en rend pas toujours compte, mais les ouvrages de science-fiction sont pour la plupart collés sur des réflexions actuelles. Ce sont des exercices de pensée qui ont pour objectif d’imaginer une autre société, un autre monde. »
L’écofiction ne constitue toutefois pas un genre littéraire monolithique. On peut le diviser en plusieurs sous-genres tels que le Hopepunk, que le magazine Lettres québécoises définit comme « une réponse à la dystopie présentée en tant qu’état naturel du monde ». « Le Hopepunk essaie d’imaginer des systèmes alternatifs où l’humanité évite la catastrophe ou surfe sur cette dernière pour survivre », décrit Geneviève Blouin. Ces récits de bonté et d’espoir constituent en ce sens un antidote contre les récits cyniques de fin du monde.
« Cette littérature a quelque chose de libérateur pour l’auteur, insiste-t-elle. Au lieu de coucher ses pires peurs par écrit, on considère un dénouement heureux qui s’inspire souvent de solutions qui existent déjà. » Diminution des inégalités sociales, transition vers une économie 100 % circulaire et adoption de sources d’énergie durables sont autant de thèmes contemporains qui se fraient un chemin jusque dans l’écofiction. « Ça peut être aussi simple que de partir du principe qu’on ne détruit plus de zones inondables. Qu’est-ce qui se passe à partir de là? Construit-on des maisons sur pilotis? Densifie-t-on? » illustre la directrice littéraire.
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Contrer le déficit d’imagination
Attention à ne pas trop se coller sur la réalité, met cependant en garde Geneviève Blouin. Selon elle, tomber dans ce piège pourrait susciter le désintérêt des lecteurs plus rébarbatifs à voir leur propre mode de vie remis en question. Après tout, n’écrit-on pas pour être lu? « Le défi est de contourner les réflexes naturels de défense afin de permettre de réfléchir librement à une autre vision du monde. Si j’écris un récit d’anticipation où les véhicules à essence et les voyages par avion sont interdits, je viens d’en perdre une méchante gang qui est attachée à son VUS et ses séjours dans le Sud! » s’exclame-t-elle.
C’est là, dans cet espace entre fiction et réalité, que l’imagination a le pouvoir de servir l’action climatique. Dans son roman L’avenir, Catherine Leroux ne s’est justement pas privée de teinter son univers d’accents de réalisme magique. « La romancière canadienne Joan Thomas a déjà dit que notre échec face à la crise actuelle en est un de manque d’imagination. C’est la force des littératures de l’imaginaire : elles nous forcent à faire l’effort de se projeter en dehors de notre système, qu’on sait condamné à plus ou moins brève échéance », conclut l’écrivaine.
Autres suggestions de lectures « cli-fi »
D’ici
Faunes, Christiane Vadnais (Alto)
Sans terre, Marie-Ève Sévigny (Héliotrope)
Mirage, Josée Lepire (Alire)
Indice des feux, Antoine Desjardins (La Peuplade)
Le livre ardent, Andréa Renaud-Simard (VLB éditeur)
À l’est de l’Apocalypse, Collectif (Les Six Brumes)
D’ailleurs
The Annual Migration of Clouds, Premee Mohamed (ECW Press)
Record of a Spaceborn Few, Becky Chambers (Harper Voyager)
Impact, Olivier Norek (Michel Lafon)