Alors que les effets du réchauffement climatique sur les personnes en situation d’itinérance restent encore peu étudiés, un projet de recherche tente de mettre cette réalité en lumière. Il est le fruit d’un partenariat entre l’Observatoire québécois des inégalités (OQI) et le consortium sur la climatologie Ouranos.
Si le Québec reconnaît de plus en plus les effets des changements climatiques et met sur pied des mesures en vue d’y faire face, certaines populations marginalisées demeurent dans l’angle mort de la réflexion. Mais le nouveau projet de l’OQI et d’Ouranos, consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques, vise à analyser les vulnérabilités des sans-abri, en contexte urbain québécois, relativement aux changements climatiques et les manières dont elles peuvent être impactées différemment par les solutions d’adaptation.
Ce préprojet découle d’un premier rapport produit par les deux organisations, écrit par Emily Després et paru en 2021. Cette dernière se penchait sur l’état des connaissances en matière d’inégalités associées aux solutions d’adaptation aux changements climatiques. Parmi les personnes à risque, celles en situation d’itinérance restaient peu étudiées, explique Ariane Préfontaine, chercheuse en résidence à l’Observatoire québécois des inégalités. Cette dernière mène ses travaux en compagnie de Marianne-Sarah Saulnier, spécialiste des inégalités causées par les changements climatiques.
« On sait à quel point les changements climatiques vont continuer à entraîner des répercussions sur les systèmes naturels. Mais de plus en plus, on veut s’intéresser aux conséquences sur les systèmes sociaux et sur les individus, ajoute celle qui est candidate à la maîtrise en environnement et développement durable, avec spécialisation sur les enjeux sociaux et la gouvernance, à l’Université de Montréal. Il y a un besoin de mieux connaître la réalité des personnes en situation d’itinérance et leurs interrelations avec le réchauffement de la planète. Et ce, pour ensuite pouvoir avancer vers des mesures qui vont être plus justes et équitables et qui vont les prendre en considération. »
De premiers constats
De nombreuses études ont déjà conclu que les groupes les moins responsables des changements climatiques étaient généralement les plus touchés. « Souvent, on va voir ces inégalités entre les pays », observe Ariane Préfontaine. Or, son projet vise à mieux identifier les injustices climatiques à l’intérieur même des États. Elle souligne que les personnes en situation d’itinérance sont « sur la première ligne de la crise climatique ».
En octobre 2022, le nombre de sans-abri dans la province a connu une hausse de 44 % par rapport à 4 ans plus tôt, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux.
La chercheuse en résidence ajoute que le réchauffement de la planète exacerbe les inégalités déjà existantes, notamment en matière de santé. « Si on ne prend pas de mesures qui ont intrinsèquement des visées de justice sociale ou environnementale, ces inégalités vont continuer à se creuser avec les changements climatiques », croit-elle.
Elle donne en exemple l’hiver, qui était auparavant le moment de l’année le plus crucial pour les sans-abri, alors que l’été était plutôt considéré comme une période de répit. Mais des entretiens avec des gens du milieu communautaire au cours de ses recherches démontrent que l’augmentation et l’intensification des canicules posent désormais problème.
Les personnes en situation d’itinérance risquent donc de souffrir davantage de la chaleur. « Elles n’ont pas nécessairement accès à des lieux pour se refroidir, à des points d’eau potable. Et le fait d’aller simplement se rafraîchir dans une piscine publique, ça entraîne des enjeux de cohabitation sociale », illustre-t-elle. Elle cite également l’exemple des personnes âgées moins aisées, plus portées à rester dans des logements inadaptés aux changements climatiques, entre autres sans climatisation.
Et si les hivers sont désormais moins rudes, ils continuent tout de même à poser problème aux personnes en situation d’itinérance. « Quand quelqu’un se rend à une halte-chaleur, cet endroit n’est pas nécessairement ouvert parce que le seuil de froid n’est pas atteint. Et la hausse des températures amène aussi davantage de pluie. Après un tel épisode, il peut y avoir le retour du froid. Tout gèle. Ton sleeping bag gelé, ça ne vaut plus grand-chose pour rester au chaud », fait remarquer la chercheuse.
Elle ajoute que les personnes en situation d’itinérance n’ont pas systématiquement accès à un téléphone et ne sont donc pas toujours mises au courant lorsque les gouvernements lancent des alertes à la population.
Ces réalités font en sorte qu’il est primordial de tenir compte de la diversité des vécus de tous types de gens dans l’établissement de mesures d’adaptation aux changements climatiques, plaide Ariane Préfontaine. « Il faut essayer de trouver des solutions ensemble, avec ces personnes, pour pouvoir répondre à leurs besoins », dit-elle.
Avec une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes, on ne peut plus nier le besoin d’avoir un lieu sûr où vivre en toute dignité.
Des pistes de solution inclusive
Afin de concevoir des mesures d’adaptation aux changements climatiques, il est déterminant de considérer aussi la justice sociale, estime Ariane Préfontaine. « Malheureusement, quand on ne le fait pas en apportant une solution à un enjeu, on peut créer de nouveaux problèmes. On peut involontairement contribuer à l’exacerbation de certaines inégalités », met-elle en garde. Ainsi, certaines mesures de verdissement ou d’aménagement contre les îlots de chaleur peuvent involontairement contribuer à l’effet d’embourgeoisement d’un secteur. Certains ménages moins nantis se voient donc contraints de déménager en raison de la hausse des loyers dans des secteurs encore plus défavorisés, donc plus vulnérables aux changements climatiques.
La chercheuse en résidence spécifie l’importance de la question du logement et la nécessité de construire des appartements abordables et adaptés au réchauffement de la planète. Ces appartements doivent donc être bien isolés, étanches, salubres, tout en n’étant pas surpeuplés. « Avec une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes, on ne peut plus nier le besoin d’avoir un lieu sûr où vivre en toute dignité », plaide-t-elle.
Ariane Préfontaine travaille actuellement à la rédaction d’un premier rapport, qui sera publié ce printemps. « Ça va mettre la table et encourager [la communauté scientifique] à faire plus de recherches sur ce défi, espère-t-elle. C’est sous-étudié, et il faut faire émerger des données qui sont intersectionnelles, qui prennent en considération la diversité des visages des personnes en situation d’itinérance. C’est vraiment un enjeu fondamental et encore trop souvent invisibilisé. »