Alex en Gaspésie – « Arrêter de faire comme on a toujours fait »

Yves Cotton et Geneviève Myles sont deux acteurs importants d'un projet environnemental inédit au Québec. Crédit Alexandre Couture
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Yves Cotton et Geneviève Myles sont deux acteurs importants d'un projet environnemental inédit au Québec. ©Alexandre Couture

SUR LA ROUTE 3/3 – Unpointcinq m’a fait confiance et envoyé en Gaspésie, à quelque 900 km de nos bureaux du centre-ville de Montréal. J’ai pu y rencontrer des Gaspésiennes et de Gaspésiens inspirants, qui ont décidé d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Troisième et dernière étape du voyage : l’industrie de la pêche à l’ère de l’écoresponsabilité.

Le soleil se lève sur le village de Mont-Louis. Comme dans plusieurs localités de la région, les gens préparent la grande saison touristique. Tout le monde s’active avant l’arrivée en masse des touristes en juin.

La Gaspésie se vit vraiment en deux temps. L’hiver, elle est un sanctuaire de paix, aux abords d’un fleuve silencieux et majestueux. Les touristes se font rares, beaucoup de commerces sont fermés. Il suffit d’aller se promener lors d’une belle journée de février pour comprendre le sens du mot paisible. À cette période de l’année, on croise surtout les adeptes de plein air qui viennent profiter de la beauté sauvage des Chic-Chocs, notamment à la coopérative RAC City, que j’ai visitée hier.

L’été, c’est une tout autre histoire. Les merveilleux casse-croûte installés en bord de route sortent de leur hibernation et les petites boutiques rouvrent leurs portes. De la Haute-Gaspésie à la Baie-des-Chaleurs, en passant par la charmante Gaspé, la vie est plus foisonnante que jamais. Sur la 132, l’axe routier qui fait le tour de la région, se succèdent roulottes et caravanes, voitures immatriculées en Ontario et cyclistes intrépides.

À travers cette dualité saisonnière, l’industrie de la pêche se pose comme un véritable pilier économique. Pour plusieurs familles, c’est la principale – et souvent la seule – source de revenus depuis plusieurs générations. Les pêches commerciales du crabe des neiges, de la crevette et du homard commencent au printemps. Les ports sont de vraies fourmilières, les capitaines souhaitent maximiser le plus possible chaque sortie en mer.

Bien qu’essentielle à l’économie locale, c’est une industrie fragile, touchée de plein fouet par les changements climatiques. Je me suis rendu à Rivière-au-Renard, le plus grand port de pêche du Québec, pour y rencontrer une représentante de l’Association des Capitaines Propriétaires de la Gaspésie (ACPG). Cette organisation a décidé de faire partie de la solution.

Les bateaux sont « au repos » après une longue journée en mer. Crédit Alexandre Couture.
Les bateaux sont « au repos » après une longue journée en mer. ©Alexandre Couture

Intermède caribou

Après un arrêt à la Cantine du Pêcheur de Cloridorme, où la copropriétaire Johanne m’attendait avec un sourire radieux et une guédille au homard à tomber par terre, je prends le temps de relancer le ministère de l’Environnement pour ma demande de visite à l’enclos des caribous.

Parce que les heures commencent à manquer, je me vois obligé d’insister un peu pour obtenir une réponse claire. Pour celles et ceux qui auraient raté le début de cette histoire, je tente de faire un article sur les caribous mis en enclos dans le parc de la Gaspésie, une stratégie du gouvernement pour assurer la pérennité de l’espèce dans la région.

Je dois avouer qu’à ce moment précis de mon périple, je vois le Saint-Graal s’éloigner. Les communications avec les responsables du ministère, bien que cordiales, sont aussi chargées d’une méfiance qui augure mal.

J’en profite pour interroger ma voisine de table à pique-nique à propos des caribous. Je suis curieux de l’entendre, vu que tout le monde dans la région semble avoir une opinion sur le sujet. En écoutant sa réponse, d’une franchise déconcertante, je m’étouffe quasiment avec une frite.

« Ah! Parle-moi z’en pas, ça fâche tellement le monde ici. »

Quand je lui demande de préciser sa pensée, elle me confirme que la gestion du dossier par Québec suscite beaucoup de frustration en Gaspésie. Ladite frite avalée et le message bien reçu, je boucle les derniers kilomètres vers ma destination finale.

Située à quelques mètres du port, la Cantine du Pêcheur est réputée pour son service chaleureux. Crédit Alexandre Couture.
Située à quelques mètres du port, la Cantine du Pêcheur est réputée pour son service chaleureux. ©Alexandre Couture

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Rivière-au-Renard est un village qui fait partie de l’agglomération de Gaspé. René Lévesque, qui a lui-même grandi en Gaspésie, lui avait donné le titre de Capitale des pêches du Québec à la fin des années 1970, alors qu’il était premier ministre.

Avec son parc à bateaux gigantesque, le plus gros de la province, le village vit principalement des activités de la pêche. Sur place m’attend Geneviève Myles, chargée de projets à l’ACPG. Sans trop de formalités, elle m’invite à embarquer dans sa camionnette pour visiter le parc, une sorte de stationnement à ciel ouvert.

« Ça sera bien mieux de te montrer ça en vrai et Yves pourra t’expliquer », me dit-elle comme si je connaissais bien Yves. J’adore la familiarité gaspésienne.

L’endroit est assez impressionnant, encore plus pour un néo-Montréalais comme moi qui n’a jamais vraiment eu le pied marin. D’immenses navires sont déposés aux quatre coins du terrain. Certains semblent presque neufs, d’autres sont pas mal éprouvés par le temps et plusieurs sont tout simplement en fin de vie.

Ces bateaux peuvent passer des années dans ce cimetière si les propriétaires continuent de payer pour la location. Éventuellement, les bateaux seront démantelés. C’est justement l’étape qui nous intéresse aujourd’hui.

En Gaspésie, il n'est pas rare de voir des bateaux le long de la route. Crédit Alexandre Couture.
En Gaspésie, il n'est pas rare de voir des bateaux le long de la route. ©Alexandre Couture.

Un besoin criant de changer les choses

Le démantèlement des bateaux peut avoir un impact environnemental important s’il n’est pas réalisé de manière appropriée. Ces bâtiments peuvent contenir divers matériaux dangereux comme des résidus de carburant, de l’amiante, du plomb, des huiles usagées et d’autres substances toxiques. Si ces matériaux ne sont pas correctement gérés, ils peuvent contaminer l’environnement, les sols et les cours d’eau avoisinants.

De nombreux matériaux utilisés dans la fabrication d’un bateau peuvent en outre être recyclés, notamment l’acier, l’aluminium et le bois. Cependant, si l’opération n’est pas réalisée dans les règles de l’art, ces matières précieuses peuvent être perdues et gaspillées.

C’est avec ce constat en tête que l’Association des Capitaines Propriétaires a mis sur pied un projet-pilote de démantèlement écoresponsable, le premier du genre au Québec. Et les résultats sont prometteurs.

« Avec l’aide du Fonds Écoleader, on a réalisé des études et analyses pour mettre en place un procédé écoresponsable de démantèlement et de valorisation des composantes », me raconte Geneviève Myles. La firme Cotnoir Consultation a accompagné l’ACPG dans ce projet.

À la suite de ce travail de recherche, la réalisation du projet a été confiée au coordinateur du parc, Yves Cotton, et de sa vaillante équipe.

« Pour le projet, on a utilisé un des bateaux qui nous appartenait, le Myrana, un bateau en bois hors d’usage de 59 pieds, me décrit Geneviève. Il était au même endroit depuis 12 ans, c’était parfait comme cobaye. »

Nous retrouvons Yves alors qu’il termine la mise à l’eau d’un immense bateau. Cet homme au sourire contagieux est le genre de personne à qui on fait tout de suite confiance. Il prend le temps de m’expliquer toutes les étapes de l’opération, que je vous résume ici :

  1. Sécurisation des lieux : l’infrastructure a été inspectée par le coordonnateur du parc de bateaux.
  2. Récupération des matières dangereuses (huiles, carburant, batteries) : 105 L de liquide et 272 kg (600 lb) de batteries ont été récupérés au total.
  3. Récupération du câblage, des matériaux électriques et électroniques : environ 100 kg (220 lb) de filage ont été retirés du Myrana.
  4. Déplacement du navire : le bateau a été déplacé avec un chariot cavalier d’une capacité de 272 tonnes métriques, et ce, pour assurer la sécurité de la main-d’œuvre lors des opérations de démantèlement.
  5. Démantèlement des installations, de la cale et de la chambre des moteurs : 3810 kg (8400 lb) de matières ont été récupérés de la salle des moteurs seulement.
  6. Démantèlement de la coque : la dernière étape.

Le démantèlement pourrait permettre à la Coopérative de générer de nouvelles retombées financières en libérant de l’espace dans son parc à bateaux. Elle pourrait offrir ce service à des propriétaires de bateaux en fin de vie, afin qu’ils bénéficient du même procédé au cours des prochaines années.Geneviève Myles, chargée de projets à l’Association des Capitaines Propriétaires de la Gaspésie

Un succès inspirant

L’opération de démantèlement s’est faite sans anicroche ou mauvaise surprise. C’est avec fierté que Geneviève et Yves m’ont annoncé les chiffres finaux.

« Le procédé a permis de recycler ou réutiliser jusqu’à 95 % des matériaux du Myrana, m’explique avec bonheur la chargée de projets. Les morceaux de bois ont notamment été transformés en paillis, qui ont été utilisés ailleurs dans la région. »

Ce projet pilote a atteint un double objectif, soit de prouver que le démantèlement écoresponsable était possible et de générer de nouveaux revenus.

« Le démantèlement pourrait aussi permettre à la Coopérative de générer de nouvelles retombées financières en libérant de l’espace dans son parc à bateaux, me dit Geneviève. L’ACPG pourrait offrir ce service à des propriétaires de bateaux en fin de vie, afin qu’ils bénéficient du même procédé au cours des prochaines années. »

Quand je lui demande si des propriétaires vont accepter de payer pour ce service « vert », Geneviève Myles me sert une réponse très honnête : « C’est certain que c’est un gros défi, les propriétaires ne sont peut-être pas encore rendus là, mais j’ai espoir que les mentalités vont évoluer dans les prochaines années. Un projet de ce type est une manière de changer les choses… les choses qu’on a toujours faites de la même manière. »

Geneviève et Yves échangent un regard rempli de sous-entendus. Visiblement, les deux savent que la partie n’est pas gagnée d’avance.

Voyez-vous, bien que les Gaspésiens et les Gaspésiennes soient en amour avec leur région et la nature qui les entoure, ils et elles peuvent également être réfractaires aux changements. En particulier quand ceux-ci peuvent menacer leur gagne-pain. Mais il serait malhonnête de juger cette méfiance, surtout lorsqu’on comprend les réalités économiques de la région.

L’industrie de la pêche ne changera pas du jour au lendemain, mais grâce à des projets comme celui de l’ACPG, les choses avancent. Lentement, mais sûrement.

Yves et Geneviève sont fiers du travail accompli et veulent répéter l'expérience dans le futur. Crédit Alexandre Couture.
Yves et Geneviève sont fiers du travail accompli et veulent répéter l'expérience dans le futur. ©Alexandre Couture.

La fin pour moi, mais pas pour les caribous (j’espère)

Le soleil se couche sur Rivière-au-Renard, j’en profite pour faire un petit détour vers le parc Forillon, un des joyaux naturels du Québec. Sur le chemin, je croise une famille d’ours qui traverse prudemment la route. Ça me rappelle mon objectif de départ : les caribous!

Je m’arrête un instant pour vérifier mes courriels. J’ai enfin reçu une réponse officielle du ministère, qui se lit comme suit : « Le caribou est une espèce reconnue très sensible au dérangement humain. Les visites des lieux seront strictement limitées au personnel autorisé afin de limiter toute source de dérangement, favoriser l’adaptation des caribous à leur nouveau milieu et conserver autant que possible leur comportement sauvage. »

Je ne peux pas cacher ma déception après plusieurs jours de communications et de plaidoyer pour prouver mes bonnes intentions. Je reviendrai donc bredouille à Montréal. Il ne me reste qu’à espérer que la stratégie du gouvernement fonctionne. Ce serait un immense drame de voir s’éteindre une espèce aussi majestueuse.

Cette semaine aura été des plus enrichissantes. Comme journaliste environnemental qui lit constamment sur les changements climatiques, il m’arrive parfois (OK, régulièrement) d’être un peu démotivé, voire découragé. Mais cette semaine, j’ai croisé des personnes inspirantes.

Qu’il s’agisse du Sea Shack qui va à l’encontre des dogmes capitalistes, de la coopérative RAC City qui veut construire un monde vert, ou de l’ACPG qui souhaite changer les mentalités au sein même de son industrie, toutes les personnes que j’ai rencontrées ont en commun une relation profonde avec leur environnement et ont fait le choix conscient de passer à l’action pour le protéger. Des exemples concrets qui, j’en suis convaincu, peuvent servir de catalyseurs pour une action climatique collective.

POUR LIRE LA PARTIE 1

Premier arrêt sur la route : l’auberge festive qui vise la décroissance

La première étape de ce reportage en Gaspésie m’amène à l’auberge festive Le Sea Shack, un des lieux emblématiques de la région. J’y ai rencontré Alexis Poirier, copropriétaire de l’endroit, qui m’explique que malgré l’immense sucs de son projet, ses associés et lui veulent maintenant ralentir leurs activités, notamment pour mieux gérer l‘impact environnemental de l’auberge. Un premier arrêt qui donne espoir pour la suite! 

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