Que ce soit en production maraîchère, laitière ou bovine, des entreprises agricoles passent à l’action pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et leur empreinte écologique. Voici le portrait de quatre d’entre elles.
Des concombres locaux et écolos à l’année
Qui aurait pu croire que le Lac-Saint-Jean fournirait le Québec en concombres à longueur d’année? C’est pourtant la réalité depuis 2016, grâce aux Serres Toundra, établies à Saint-Félicien. Cette entreprise produira bientôt 100 millions de concombres par an, de pair avec sa voisine et partenaire d’affaires à 49 %, l’entreprise Produits forestiers Résolu.
Ensemble, elles réduisent leur empreinte carbone. Par exemple, l’eau qui sert à refroidir les turbines électriques de Résolu trouve une deuxième vie. Une fois réchauffée par les turbines, elle chauffe les serres voisines. « Ceci diminue beaucoup notre utilisation de gaz naturel », explique le président-directeur général, Éric Dubé.
Serres Toundra contribue également à réduire l’empreinte carbone de sa voisine Résolu en utilisant les rejets de CO2 de cette dernière dans ses serres. Le gaz carbonique, essentiel à la production serricole, favorise la croissance et la vigueur des plants. Cette synergie avec Résolu évite à Serres Toundra de devoir brûler du gaz naturel pour introduire du CO2 dans ses serres.
Les Serres Toundra produisent actuellement des concombres sur une superficie de 8,5 hectares qui atteindra 19 hectares d’ici la fin 2020, soit un peu plus de 120 fois la superficie de la patinoire du Centre Bell. Malgré tout, pas une goutte d’eau n’est puisée dans la nappe phréatique pour arroser les plants. « D’immenses bassins récupèrent l’eau de pluie et de la fonte des neiges. On a une réserve de 100 millions de litres d’eau », décrit fièrement Éric Dubé.
Malgré ces mesures très bienveillantes pour le climat, l’entrepreneur est conscient que l’emballage de plastique qui entoure ses concombres anglais et ses concombres nordiques dérange les consommateurs.
« C’est un point qu’on veut améliorer mais, présentement, il n’y a pas d’alternative pour assurer une bonne conservation. Il faudrait que le concombre soit rendu la journée même chez le consommateur! » répond l’entrepreneur, qui est toujours à la recherche d’une solution plus écologique.
Néanmoins, Serres Toundra utilise des barquettes compostables et recyclables pour emballer ses mini-concombres et a remplacé 80 millions d’attaches de plastique, qui tenaient ses plants dans les serres, par des attaches en métal biodégradable. Un autre apport non négligeable!
Moins de travail au champ, moins de GES
Depuis 2003, fini la charrue à la ferme Vachalê de Sainte-Anne-des-Plaines, dans les Laurentides. Cette ferme laitière familiale, qui fait aussi la culture du blé, du maïs, du soya, de la luzerne et de l’herbe soudan, a plutôt adopté la culture en semis direct, une technique qui ne nécessite aucun labour du sol.
Ainsi, depuis 17 ans, cette ferme a évité de brûler quelque 81 000 litres de diesel. « Pour nos 200 hectares, il fallait de 100 à 120 heures de préparation de sol. Les tracteurs fonctionnaient au diesel avec 40 à 45 litres à l’heure », raconte Luc Charbonneau, qui est copropriétaire de l’exploitation avec sa sœur Julie et son frère Mathieu depuis 2008. La fratrie a pris la relève du père et des oncles, qui dirigeaient la ferme depuis 1972. « L’engouement pour l’agroenvironnement existe depuis plusieurs années dans notre famille. Ils avaient déjà commencé avant nous », témoigne l’agriculteur, qui ajoute que la ferme prend aussi des mesures pour limiter l’érosion des sols et l’infiltration d’herbicides dans ses sols et les cours d’eau avoisinants. « La plus ancienne haie brise-vent avait été plantée en 1991 », cite-t-il en exemple.
Bien que Vachalê n’emploie ni insecticides ni fongicides, tout n’est pas parfait. Une bête noire vient avec la culture en semis direct : le fameux glyphosate, un herbicide controversé pour ses possibles effets néfastes sur la santé. « Moins on s’en sert, mieux c’est, fait valoir Luc Charbonneau. Reste qu’il permet d’éliminer beaucoup de travail du sol qui génère énormément d’émissions de CO2. Ce qui va aider le plus, ce sont les bonnes pratiques, comme les bandes végétales riveraines et des haies brise-vent, pour éviter que l’herbicide se ramasse dans les cours d’eau », avance-t-il.
Quand le lin décarbone le lait
Propriétaire de la ferme laitière Larosco à Sainte-Flavie, la porte de la Gaspésie, Marco Ross paraissait bien marginal lorsqu’il s’est lancé dans la culture du lin il y a 30 ans. Mais voilà que la science lui donne raison. Le lin qu’il donne à manger à ses vaches réduit les émissions de méthane causées par leur digestion.
« Ce n’était pas du tout l’intention. C’est par après que j’ai découvert ça », confesse-t-il. Pourtant, depuis qu’il a pris la relève de la ferme familiale, en 1996, Marco Ross a toujours voulu diminuer (et même éliminer) les émissions de GES découlant du transport de grains vers sa ferme. « J’essaie d’être autosuffisant dans tout. C’est pour ça que j’ai commencé le lin. C’est une protéine qu’on peut faire pousser ici », explique-t-il.
À la ferme Larosco, les vaches en lactation reçoivent une ration quotidienne de 750 grammes de graines de lin. Des chercheurs du projet Vacco 2, de l’Université Laval, ont démontré que cette quantité permet de diminuer de près de 10 % les émissions de méthane pour chaque litre de lait produit. « Mes vaches ont de plus belles chaleurs, elles ont un plus beau poil et cette alimentation a amélioré la santé globale de mon troupeau », renchérit Marco Ross. En effet, l’ajout de gras à la ration de la vache laitière favorise un retour plus rapide en chaleur après le vêlage, augmente la conception et fait grimper le taux de survie des embryons.
Le lin exige aussi peu de fertilisants et il est adapté aux nuits fraîches du Bas-Saint-Laurent. L’entreprise-conseil en environnement Écosphère y voit d’ailleurs un potentiel. Elle vient d’obtenir du financement du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries, et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) pour un projet qui vise la réduction des GES grâce à la consommation de lin par les animaux de ferme.
« On espère recruter entre 10 et 20 producteurs pour les accompagner dans l’introduction du lin dans les rations alimentaires de leurs animaux », indique l’agronome et propriétaire de la firme Écosphère, Hugues Groleau.
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Déplacer les vaches pour capter plus de carbone
Propriétaire de la ferme Patch Farm au Lac-Brome, en Estrie, Megan Patch fait partie de la sixième génération à élever des bovins sur la terre familiale. C’est le soudain décès de son père, en 2012, qui l’a amenée à prendre la relève à la ferme où elle a depuis adopté des pratiques pour réduire les émissions de GES.
« En 2013, j’ai commencé la transition vers des pratiques plus écologiques, comme la rotation intensive des pâturages », raconte celle qui déplace son troupeau d’une vingtaine de vaches au moins deux fois par jour. « Je les concentre sur une petite surface et je surveille leur façon de brouter pour éviter qu’elles mangent trop. Il faut laisser la moitié de la plante pour qu’elle puisse repousser assez vite », explique-t-elle.
Son troupeau ne reviendra au même endroit que quelques jours plus tard. Cette méthode permet aux plantes de se « reposer » plus longtemps et de stocker plus de carbone. « La plante met plus d’énergie dans ses racines. Et c’est un avantage de stocker plus de carbone dans le système racinaire », explique Vincent Poirier, professeur en science du sol et stockage du carbone à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). « Le carbone des racines dure à peu près deux fois plus longtemps dans le sol que le carbone des feuilles, par exemple », précise-t-il.
Nourrir les bovins uniquement d’herbe diminue également la quantité de GES, ajoute Megan Patch. « Comme on ne laboure pas, on utilise beaucoup moins le tracteur. Ça évite aussi de supplémenter les animaux avec des grains dont la production génère beaucoup de GES. »