Le lin, c’est malin

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© Rémy Bourdillon
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Dans le Bas-Saint-Laurent, la MRC de La Mitis est devenue le royaume du lin. Non seulement cette plante permet de diminuer les émissions de méthane produites par les rots et les pets du bétail – un puissant gaz à effet de serre! –, mais elle promet aussi de nouveaux débouchés économiques pour la région.

Si vous empruntez l’autoroute 20 Est jusqu’à Mont-Joli par un beau matin de juillet, vous aurez peut-être la chance d’apercevoir les champs bleu lavande du producteur laitier Marco Ross. Cette mer d’azur, c’est du lin, une plante herbacée qu’il a été l’un des premiers fermiers de la MRC de La Mitis à cultiver afin de l’intégrer dans l’alimentation de son bétail, il y a une quinzaine d’années. Ce solide gaillard n’a que du bien à dire de cette plante, dont il parle avec le langage fleuri des gens du Bas-du-Fleuve. « Le gros avantage, c’est au niveau de la reproduction : les chaleurs sont plus belles, les vaches “collent” plus [traduction : font moins de fausses couches]. Leur poil est aussi plus lustré. Avec le lin, ça “file” mieux! »

Grâce au lin, ses vaches dégagent également moins de méthane dans l’atmosphère. Ce n’est pas lui qui le dit : selon le projet Vacco2, mené par des chercheurs de l’Université Laval, l’ajout de 0,7 kg de lin dans la ration quotidienne d’une vache permet de diminuer de près de 10 % les émissions de méthane pour chaque litre de lait produit. Cela permet aussi d’augmenter la production de 3 %.

Un des champs de lin de Marco Ross. © Jonathan Ferté

« Quand on nourrit un ruminant avec du fourrage, ce sont les microbes [bactéries] qui sont dans son rumen [l’une des quatre parties du système digestif de la vache] que l’on nourrit », explique Rachel Gervais, professeure au Département des sciences animales de l’Université Laval. « Ils font fermenter cette matière organique pour la transformer en protéines microbiennes que la vache consomme. D’autres micro-organismes, les archées, vont éliminer l’hydrogène produit par cette fermentation en produisant du méthane qui peut être éructé par l’animal. » C’est pour ça qu’on appelle la digestion des vaches la « fermentation entérique ».

Au temps des changements climatiques, les rots et pets de vache ont mauvaise presse : puissant gaz à effet de serre (GES), le méthane issu de la digestion des bovins représente à lui seul 41 % des émissions du secteur agricole au Canada! Et son potentiel de réchauffement est 25 fois supérieur à celui du CO2.

Les rots de vaches, ça pèse lourd au Canada

En 2016, les émissions rejetées par le bétail canadien pendant le processus de digestion (ou fermentation entérique), c’est 25 mégatonnes d’équivalent CO2, soit l’équivalent de ce qu’émettent environ huit millions de voitures au Québec chaque année.

« Le lin vient en quelque sorte changer les bibittes qui sont dans le rumen, et les bactéries productrices de méthane sont moins favorisées », résume la spécialiste. Cela a tout de même ses limites : trop de lin pourrait faire diminuer la teneur en gras du lait, voire nuire à la santé de l’animal. Avec le temps, Marco Ross a trouvé la quantité qui sied à son troupeau : 750 g par tête, par jour, pour « 30 à 40 kg de matière sèche ».

Du champ à l’usine

Les alentours de Mont-Joli regroupent une quinzaine de producteurs de lin, soit la plus grosse concentration au Québec. Pour Jonathan Ferté, conseiller au développement agroalimentaire de la MRC de La Mitis, la culture du lin – 250 hectares en 2018 – permet en quelque sorte de corriger une erreur historique. « La plante était très présente dans la région avant les années 1950, car les gens utilisaient la fibre de lin pour le tissu. Mais avec l’arrivée des fibres synthétiques, elle a été abandonnée. »

On cultive deux variétés de lin : l’une pour la graine, utilisée en boulangerie ou en alimentation animale, et l’autre pour la fibre, qu’on commence à utiliser pour fabriquer des matériaux isolants, en plus du textile. En 2009, la MRC a décidé d’exploiter le potentiel agro-industriel de la petite fleur bleue. En ligne de mire, un projet un peu fou : une usine de transformation de la fibre qui pourrait servir à fournir les fabricants de matériaux de construction biosourcés.

Marco Ross (et son chien) devant son étable. © Rémy Bourdillon

Trop fou, peut-être, pour Marco Ross. « La fibre, c’est bien beau, mais pour une usine, ça va prendre du tonnage… Les gars ne feront pas de la fibre pour ne pas la vendre, en attendant que l’usine soit construite! »

Jonathan Ferté lui concède ce point. « Rapidement, on a dû se poser la question : serait-on capables d’utiliser une variété oléagineuse, donc pour la graine, tout en valorisant la fibre? Car même si le marché de la graine de lin est peu développé, il existe, et les producteurs peuvent donc en tirer un revenu. » Depuis, tous ses efforts sont allés en ce sens. La MRC a progressivement sensibilisé les fermiers aux potentielles applications. Avec un certain succès, il faut croire, puisque le nombre de convertis n’a cessé d’augmenter, ajoute-t-il.

« C’est une culture qui demande très peu d’intrants, notamment d’engrais, souligne le sympathique agronome, et qui s’intègre bien dans la rotation qu’on fait ici : quatre ou cinq ans de foin et un ou deux ans de céréales. Certains donnent du lin à leur bétail. À l’échelle locale, la coopérative Purdel – qui regroupe des producteurs agricoles de la région – en achète aussi. Et cette année, pour la première fois, le lin est admissible à l’assurance récolte », qui protège les agriculteurs contre les aléas climatiques et naturels.

Jonathan Ferté, le Monsieur lin de de la MRC de La Mitis. © Rémy Bourdillon

Sur le papier, le pari de la MRC semble gagnant : tout en réduisant les émissions de GES, la région parviendra à générer un revenu agricole supplémentaire. En prime, elle s’assure que la production sera suffisante le jour l’usine sera construite! Des demandes de financement ont d’ailleurs récemment été lancées pour construire une installation-pilote de production de fibre, qui permettra notamment de tester le potentiel de ce matériau en écoconstruction. Histoire de maximiser les retombées pour la région, le centre d’études SEREX, d’Amqui, ainsi que le Créneau ACCORD en écoconstruction, un réseau d’entreprises bas-laurentiennes actives dans le domaine, seront mis à contribution.

Plus rien ne semble entraver le développement de la filière lin dans le Bas-Saint-Laurent. À tel point que Jonathan Ferté pense qu’à terme, jusqu’à 2000 hectares pourraient être cultivés chaque année dans la région, débordant des limites de la MRC de La Mitis. Pour le plus grand bonheur des vaches… et le nôtre.

Du lait pas si blanc

Sachant que la production d’un litre de lait au Québec émet environ 1 kg d’équivalent CO2, les quelques 350 000 vaches laitières québécoises, qui produisent chacune autour de 35 litres de lait par jour, rejettent environ 12 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit l’équivalent des émissions d’environ quatre millions de voitures chaque année.