Solutions Will vend des crédits de carbone provenant de centaines d’organisations québécoises ayant réussi à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Portrait d’une entreprise unique au monde qui monétise l’action climatique aux quatre coins de la province.
Depuis 2016, BMO Groupe financier achète environ 200 000 crédits de carbone à l’entreprise québécoise Solutions Will pour compenser une partie de ses émissions annuelles de GES découlant de ses activités directes. Et cette banque n’est pas seule. « Nos clients, des acheteurs de crédits de carbone voulant demeurer discrets, sont de grandes organisations qui, pour des raisons de valeurs ou de concurrence, s’engagent sur la voie de la carboneutralité. Nous les aidons à atteindre leurs objectifs de compensation », explique Martin Clermont, PDG et fondateur de Solutions Will, qui approvisionne notamment deux grands fonds de pension nord-américains et qui travaille à séduire des géants comme Microsoft, Google et Starbucks, dont l’appétit pour les crédits de carbone est énorme.
« On prévoit qu’il y aura une grande demande pour la compensation carbone dans les prochaines années, que ce soit de la part d’usines, de partenariats public-privé (PPP) ou de l’industrie de l’aviation civile, par exemple », souligne-t-il.
Comment ça marche
Solutions Will s’adresse aux petits émetteurs commerciaux ou industriels, soit ceux qui émettent moins de 25 000 tonnes de CO2 par an ou qui ne sont pas assujettis aux marchés du carbone réglementés. Ainsi, les crédits de carbone qu’elle commercialise proviennent des trois millions de crédits récupérés grâce à l’effort de réduction de GES de centaines de microprojets menés par 148 municipalités, petites et moyennes entreprises (PME) et organismes à but non lucratif (OBNL) au Québec entre 2010 à 2016. Ces efforts se traduisent par des projets de conversion énergétique, d’efficacité énergétique et de détournement des matières résiduelles de la filière de l’enfouissement.
Sur le marché volontaire du carbone, une tonne de CO2 vaut environ 50 $.
D’abord recrutées par l’entremise des Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) et des Centres d’aide aux entreprises (CAE), ces organisations ont été invitées à soumettre leurs projets de réduction de GES à Solutions Will, qui les a ensuite audités un par un. Ensemble, elles ont formé la troisième et la plus récente cohorte de petits émetteurs de GES accompagnée par Solutions Will entre janvier 2017 et juillet 2019. Ce n’est qu’une fois les projets validés, quantifiés et contre-vérifiés par une tierce partie indépendante que la monétisation des crédits peut commencer sur le marché volontaire du carbone sous la forme de VCU (pour verified carbon unit, soit unité carbone vérifiée).
Rien à perdre, tout à gagner
L’UPA Mauricie fait partie de la troisième cohorte accompagnée par Solutions Will. Cette organisation syndicale professionnelle s’occupe depuis dix ans de la gestion de matières résiduelles vertes, comme des feuilles mortes, sur son territoire. Au lieu de prendre le chemin de l’enfouissement, environ 1000 tonnes de résidus sont plutôt apportées annuellement à une vingtaine de producteurs agricoles de la région qui les utilisent comme compost. « Solutions Will nous a demandé de documenter cet effort avec des pièces justificatives, ce qui a demandé environ une journée de travail pour rassembler la documentation », estime Josée Tardif, conseillère aux syndicats spécialisés de l’UPA Mauricie.
L’effort en vaut la chandelle. Parlez-en à Émilien Morin, directeur général de Compost Ste-Anne, une entreprise d’économie sociale de la Rive-Nord de Montréal qui fait aussi partie de la troisième cohorte. Grâce à elle, les municipalités de Sainte-Anne-des-Plaines, de Lorraine et de Bois-des-Filion réduisent la quantité de leurs déchets organiques destinés à l’enfouissement. Solutions Will a chiffré cette réduction à 15 400 tonnes, soit l’équivalent de ce qu’un Québécois émettrait pendant 1500 ans! Comme le prix moyen d’un crédit de carbone sur le marché volontaire est d’environ 50 $, cet effort de réduction a généré la coquette somme de 770 000 $.
Qu’advient-il de cet argent? C’est simple : 40 % des revenus bruts de la vente de VCU sont reversés aux PME, municipalités et OBNL participants les ayant générés. Certaines organisations choisissent de réinvestir cet argent dans d’autres actions favorables au climat. Une autre tranche de 40 % des revenus est versée à Solutions Will afin de couvrir ses frais d’audit – pour la troisième cohorte, une dizaine de milliers de documents, des bons de commande d’équipement aux factures d’énergie, ont dû être analysés par l’entreprise. Enfin, les 20 % restants lui reviennent aussi, à titre de marge de profit.
« Lorsque nous intégrons un nouvel émetteur à une cohorte, il n’a pas à débourser un seul dollar, précise Martin Clermont. Nous assumons le risque financier en nous payant à la toute fin, ce qui permet au client de se concentrer sur ses actions climatiques. » Les organisations accompagnées ont donc peu à perdre – et Solutions Will beaucoup à gagner.
Réglementé ou volontaire, qu’est-ce que ça change?
Le marché du carbone réglementé et le marché volontaire du carbone cohabitent et ont la même finalité : encourager la réduction des émissions de GES et permettre leur compensation par l’acquisition de crédits carbone. Le marché est dit « réglementé » quand ses acteurs sont obligés d’y participer. Au Québec, par exemple, les entreprises qui émettent plus 25 000 tonnes d’équivalent CO2 sont soumises à la bourse du carbone conjointe avec la Californie et doivent respecter des plafonds d’émission. Si elles les respectent, elles peuvent revendre leurs droits d’émission. Dans le cas contraire, elles doivent en acheter. Quant au marché du carbone volontaire, il réunit des entreprises, des municipalités, des organismes et des particuliers qui veulent librement compenser leurs émissions de GES et d’autres qui ont des crédits carbone à vendre.
Contre vents et marées
Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis le démarrage de Solutions Will en 2007. L’entreprise entamait alors un long processus de développement et de validation de sa méthodologie pour l’agrégation de réductions d’émissions de GES par de petits émetteurs. Celle-ci prend en compte aussi bien les projets de conversion et d’efficacité énergétique que ceux liés à la réduction de l’enfouissement des déchets, ce qui la rend unique en son genre dans le monde.
« Nous avons dû faire valider notre méthodologie par le programme de certification VCS (Verified Carbon Standard), considéré comme le meilleur standard dans le milieu du marché de la réduction volontaire du carbone. En tout, il a fallu 30 rondes de modifications de notre méthodologie et [un investissement de] près de 500 000 $ en recherche et développement avant d’obtenir le feu vert de VCS en 2013 », raconte Martin Clermont.
Ensuite, alors que le projet de bourse nationale du carbone aux États-Unis venait d’échouer et que l’Accord de Paris n’était pas encore signé, Solutions Will a dû recruter de petits émetteurs pour constituer sa première cohorte. Tout un défi! « À nos débuts, nous faisions figure de témoins de Jéhovah en cognant à toutes les portes. Heureusement, le hasard a mis des gens du Réseau des SADC et CAE sur notre chemin », raconte le PDG. De fil en aiguille, cette rencontre a mené à une collaboration avec une, puis avec plusieurs, SADC du Québec. En tout, 14 SADC ont été sollicitées pour constituer la troisième cohorte accompagnée par Solutions Will, la plus importante à ce jour.
Voir venir la vague
Solutions Will planche maintenant sur la formation d’une quatrième cohorte, dont le cycle de vie sera réduit à 12 mois. « Des technologies d’Internet des objets, d’intelligence artificielle et de block chain [chaîne de blocs] seront intégrées à notre démarche d’audit afin de la rendre plus rapide, plus efficace et plus transparente. Nous allons aussi actualiser notre plateforme de traçabilité carbone en y intégrant les réductions de GES liées au transport [NDLR : ces projets n’étaient pas acceptés avant par Solutions Will] », explique Martin Clermont. Selon lui, la demande de compensation d’empreinte carbone des entreprises explosera dans les prochaines années et « d’ici cinq à dix ans, les crédits de carbone seront considérés comme des actifs financiers intangibles ».