LES ENTREVUES DE DIANE BÉRARD
Et si la mission santé des pharmacies se reflétait aussi dans leur offre de produits, leur service de livraison et leurs modes de gestion? C’est l’objectif que s’est donné le pharmacien Marc-André Mailhot, fondateur de Maillon Vert, un organisme qui depuis 2012 aide ces commerces essentiels à devenir écoresponsables.
Diane Bérard : Quelle est la mission de Maillon Vert et d’où est venue l’idée de sa création?
Marc-André Mailhot : Nous voulons améliorer la performance sociale, environnementale et économique des entreprises. Il est essentiel de travailler sur ces trois piliers à la fois afin de respecter l’esprit du développement durable, soit une croissance qui se soucie de maximiser ses impacts positifs et de limiter ses impacts négatifs. Pour l’instant, nous nous concentrons sur les pharmacies, mais nous commençons à travailler avec d’autres secteurs.
Le premier déclic s’est opéré à l’époque où j’étais pharmacien volant. J’effectuais alors des remplacements dans 150 pharmacies partout au Québec. Dans les hôtels où je séjournais, le gaspillage m’a choqué : petits flacons de produits, contenants à usage unique, bouteilles d’eau dans les chambres, absence de bacs à recyclage, etc. J’ai aussi fait ces constats dans l’univers de la pharmacie, un type de commerce qui, lui aussi, gaspille beaucoup. Or, le pharmacien a une vocation sociale. Il soigne les gens. Il pourrait faire tellement plus et incarner sa vocation santé à travers son offre de produits, ses modes de livraison et sa gestion en général.
Pourquoi estimais-tu que ton idée serait utile?
Le secteur de la pharmacie est très conservateur, en magasin comme dans ses pratiques de gestion. En développement durable, la stratégie la plus efficace consiste à faire bouger ceux qui se trouvent le plus loin. C’est là que les gains sont les plus appréciables.
Maillon Vert existe depuis huit ans. Comment vos interventions ont-elles évolué au fil du temps?
J’ai lancé ce projet en m’appuyant sur une approche théorique du développement durable. Je voulais implanter « les bonnes pratiques ». Aujourd’hui, nous sommes moins puristes, et nous cherchons plus l’impact que la perfection. Je travaille en collaboration avec mes clients selon ce qu’ils sont capables de faire. Si moi ou un membre de l’équipe donne une recommandation à une pharmacie, on s’assure qu’elle va pouvoir l’implanter. Dans le doute, on s’abstient.
Comment se déroulent concrètement vos interventions?
Nous évaluons quinze comportements du pharmacien, qui sont répartis en quatre volets : la gestion des déchets et l’utilisation des fournitures; l’implication sociale (gestion des ressources humaines, implication communautaire et philanthropie); l’offre écoresponsable (est-elle suffisante et suffisamment communiquée?); l’énergie et le transport (y compris la livraison des commandes et les gaz à effet de serre (GES) émis par les employés lorsqu’ils se rendent au travail).
Pour chaque volet, nous évaluons la situation actuelle et proposons des pistes d’amélioration. Prenons le transport : d’abord, nous optimisons les déplacements et le kilométrage. Ensuite, nous étudions avec notre client la possibilité d’acquérir un véhicule électrique pour ses livraisons.
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Les pharmacies offrent beaucoup de produits qui ne sont pas tous bons pour notre santé et celle de la planète. Certains, par exemple, ont une faible valeur nutritive ou sont suremballés. Que penses-tu de ce paradoxe?
Je n’éprouve aucun malaise avec le modèle nord-américain de la pharmacie qui combine une offre commerciale et un comptoir clinique. En revanche, il serait possible de mieux harmoniser ces deux éléments. Le pharmacien, qui veille à la santé et au bien-être de la population, peut mieux influencer ses choix de consommation grâce à son offre de produits. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à lancer Maillon Vert.
On dit que la pression pour s’attaquer à la crise climatique viendra du consommateur. Mais ce consommateur, le trouves-tu parfois mal éclairé?
En effet. En 2019, on a assisté à des mouvements de pression mal guidés. On a par exemple célébré le fait que certains détaillants offrent désormais des sacs de papier au lieu des sacs de plastique. Or, une analyse réalisée en 2017 par le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) pour le compte de Recyc-Québec démontre que les sacs de plastique minces sont moins dommageables pour l’environnement que les sacs de papier.
Quatre types d’impacts ont été analysés : les impacts sur la santé humaine, la qualité des écosystèmes, l’utilisation des ressources fossiles de même que ceux associés à l’abandon des produits dans l’environnement. Le sac de plastique mince affiche une meilleure performance que le sac de papier dans trois des quatre catégories; seul l’abandon dans l’environnement s’avère plus nocif. Pourtant, grâce à la pression citoyenne, les autorités ont élaboré des politiques pour diminuer l’utilisation des objets de plastique à usage unique. Mais pourquoi ne pas s’en être tenu aux objets « à usage unique », qu’ils soient faits de plastique, de papier, d’amidon de maïs, de bioplastique… Du coup, on génère une foule d’options de remplacement qui génèrent des conséquences environnementales bien pires.
Tu proposes d’outiller les détaillants afin qu’ils offrent des produits plus écologiques. Comment?
Au cours des huit dernières années, on a évalué une centaine de produits dans des catégories aussi diverses que l’hygiène personnelle, l’entretien ménager et les cosmétiques. Nos critères sont basés sur certaines normes, comme Ecocert et Fairtrade, mais aussi sur des discussions avec des lobbys et des organismes scientifiques. Nous communiquons ces informations à nos clients pour leur permettre de mettre les meilleurs produits sur les tablettes ‒ ceux qui ne sont pas suremballés, par exemple.
Maillon Vert suggère aux pharmacies de créer des espaces zéro déchet. Pourquoi?
On souhaite démocratiser le mode de vie zéro déchet. Pour l’instant, c’est une niche surtout connue des écolos. Si je parle de zéro déchet dans un party de famille, je t’assure que 9 personnes sur 10 ne comprennent pas de quoi je parle. Installer un espace zéro déchet dans les pharmacies, un lieu que tout le monde fréquente, constitue une introduction en douceur à ce concept.
On a donc repéré des produits et des accessoires d’usage courant de type zéro déchet (shampoing sec, shampoing en barre, pailles et sacs à lunch réutilisables) que l’on a regroupés dans un îlot en veillant à ce que les consommateurs puissent les repérer facilement grâce à un affichage approprié. Cette initiative a été réalisée en collaboration avec l’Association québécoise Zéro Déchet.
Il me semble que le geste zéro déchet le plus simple et accessible serait de réhabiliter le bon vieux pain de savon, non?
Sûrement, mais on n’y parviendra pas sans d’abord comprendre pourquoi le gel douche en bouteille est si populaire. Il l’est, entre autres, pour ses propriétés hydratantes. Les fabricants s’adaptent à cette réalité. On trouve maintenant des pains de savon très hydratants.
Parlons des bouteilles d’eau… Depuis janvier 2020, la chaîne Familiprix n’en vend plus en format caisse, mais offre toujours des bouteilles à l’unité. Peux-tu expliquer le raisonnement qui a guidé cette décision à laquelle tu as contribué?
Quand tu achètes une bouteille d’eau à l’unité, c’est pour répondre à un besoin ponctuel. Les caisses d’eau, quant à elles, venaient créer un besoin récurrent. Dans un souci d’efficacité, c’est donc leur retrait qu’il faut viser. Je le répète : il faut intervenir là où l’action porte le plus. La décision de Familiprix permettra de retirer plus de 10 millions de bouteilles d’eau du marché au Québec.
Quand l’hiver se termine et que je rapporte mes comprimés périmés contre le rhume par exemple, est-ce utile?
Oui, 100 % des pharmacies au Québec reprennent les médicaments périmés. C’est dans notre code de déontologie. Les pharmacies écoresponsables vont cependant plus loin. Maillon Vert les aide à améliorer leur processus de tri afin que si ce n’est pas requis, les contenant ne soient pas jetés aux poubelles. C’est le cas pour les solutions salines, par exemple. On peut recycler leur contenant.
Il faut savoir que le traitement des fioles de médicaments par les pharmaciens est très variable. Certains les jettent. D’autres les recyclent. D’autres les réutilisent. Toutefois, les réutiliser exige des processus rigoureux. Car chaque type de fiole est assortie d’un nombre maximal d’utilisations avant qu’elle ne soit plus suffisamment hermétique pour demeurer à l’épreuve des enfants.
Comment peut-on se comporter en client écoresponsable en pharmacie?
Parlez de vos attentes au pharmacien. Formulez votre commentaire sous forme d’une suggestion ou d’un souhait, pas d’une plainte. « J’aimerais que vous proposiez davantage de produits écoresponsables. Je ne trouve rien au rayon des shampoings » « Réutilisez-vous les fioles? » Observez le véhicule utilisé pour la livraison de médicaments, est-il électrique? Et assurez-vous de formuler vos commentaires à un gestionnaire, pas au commis de plancher!
À quoi ressembleront les prochaines interventions de Maillon Vert?
On applique déjà notre vision économique, sociale et environnementale à d’autres secteurs : des cafés et des cliniques vétérinaires par exemple. De plus, on veut raffiner notre expertise pour outiller les commerces de proximité de manière à ce qu’ils puissent dire aux consommateurs à quel point un produit a un impact environnemental moindre qu’un autre. Ainsi, le consommateur saura dans quel produit investir ses 50 cents supplémentaires. C’est un dossier qui me tient à cœur, mais qui est super complexe. Et on souhaite travailler avec les chaîne, les pharmacies mais aussi les autres détaillants, car leurs décisions ont une incidence sur tous leurs points de vente. C’est notre approche pragmatique : viser la portée avant la pureté.