Pailles comestibles à base d’algues, cuillères qui goûtent le bonbon, assiettes composées d’eau et de blé : même s’ils sont encore peu connus, les emballages alimentaires imaginés par les designers d’ici et d’ailleurs ont le bon goût de générer peu de gaz à effet de serre. Incursion dans une profession en mode solutions.
Quand son prof de design d’emballage lui a lancé le défi de concevoir un produit destiné aux camions de bouffe de rue qui sillonnent les rues de Montréal, Caroline Banville n’a pas voulu générer un énième emballage en plastique. Pourquoi ne pas imaginer un habillage comestible? s’est demandé l’étudiante en design de l’UQAM. Résultat : elle a eu l’idée de créer un bol à crème glacée fait d’un biscuit comestible, un dessert qui a aussi l’avantage de mettre à profit la pulpe perdue du soya, sa matière première.
« C’était vraiment de l’expérimentation, car je n’avais aucune recette! », raconte cette étudiante créative qui a mélangé avec succès la pulpe avec de la farine et de l’huile de coco pour créer un emballage hermétique et comestible en forme de fève de soya. « Je voulais réduire l’impact environnemental du produit. Et si le client n’a pas envie de manger le biscuit, il peut le composter. »
L’idée est loin d’être folle. D’autant que, dans la métropole, la bouffe sur le pouce contribue à remplir les poubelles de montagnes d’ustensiles et de récipients jetables. À tel point que la restauration rapide ou à emporter est responsable à elle seule de près des deux tiers des déchets récoltés sur le domaine public à Montréal, révèle une étude sur la collecte hors foyer réalisée pour la Ville par la coopérative Les Valoristes.
Réduire les emballages
Mais l’espoir est permis. Comme Caroline, des designers québécois sont en mode solutions afin de réduire le suremballage et les gaz à effet de serre que génère leur production, explique Sylvain Allard, professeur à l’École de design de l’UQAM. Il a d’ailleurs été charmé par le projet de Caroline Banville, l’une des étudiantes à qui il avait lancé le fameux défi d’écoconception.
« Les écoles de design sont là pour explorer de nouvelles avenues », dit le spécialiste, également coauteur de Avons-nous besoin d’un autre emballage?. Il invite d’ailleurs les designers de demain à se questionner sur l’utilité même des emballages qu’ils conçoivent. « Personne n’est insensible à un bel emballage. Notre défi est de séduire, mais avec des matières plus responsables. Il faut intégrer l’écoconception à la base du produit », précise-t-il, plutôt qu’à la toute fin comme c’est trop souvent le cas, selon lui.
« Les designers sont dans l’action et cherchent des solutions. »
Chantre des emballages bioalimentaires novateurs, Sylvain Allard croit que c’est surtout dans le domaine de la restauration rapide que les professionnels du design ont le potentiel de faire pencher la balance. Par exemple, bien qu’adapté aux camions de rue, le prototype imaginé par Caroline Banville pourrait avoir de la difficulté à s’implanter dans les épiceries, qui cherchent à prolonger la durée de vie des aliments.
« C’est un enjeu complexe, car on veut réduire l’emballage sans augmenter le gaspillage alimentaire. On ne veut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : si le bilan carbone n’est pas meilleur avec un emballage comestible, on n’est pas plus avancé », précise le professeur, qui mentionne le faible de coût de production du plastique comme un autre facteur d’inertie.
Beau, bon et nutritif
Mais il n’y a pas que les écoles de design qui bouillonnent d’idées pour faire échec au suremballage des aliments. La designer industrielle Diane Leclair Bisson, une pionnière dans le domaine au Québec, travaille sans relâche pour donner vie à l’emballage alimentaire parfait, c’est-à-dire celui « qui serait trop beau, trop bon et trop nutritif pour ne pas être mangé ».
Farines de châtaigne et de quinoa noir, agar-agar (une gélatine végétale), fruits et légumes : depuis une vingtaine d’années, Diane Leclair Bisson a eu le génie de voir l’aliment comme un matériau de fabrication. En 2001, elle réalise des prototypes d’assiettes mangeables en partenariat avec la boulangerie Première Moisson. Une dizaine d’années plus tard, elle publie le livre Comestible, l’aliment comme matériau et conçoit des « bulles de dégustation », des capsules de gel comestibles qui peuvent contenir toutes sortes de liquides, comme des alcools ou des jus.
Le brevet est déposé, mais l’entreprise derrière le projet manque finalement de financement. Malgré tout, la créatrice de bols comestibles en gelée croit qu’il est possible de commercialiser ce type de produits pour réduire la production de déchets.
« Ça demande une expertise qui n’est pas encore très développée, car on devient en quelque sorte des scientifiques alimentaires. Et ça implique des investissements importants », avance la designer pour expliquer le faible engouement au Québec pour les contenants du genre. Ses recherches gustatives suscitent peu d’intérêt chez nous, déplore-t-elle, tout en ajoutant recevoir fréquemment des appels d’Europe pour développer des créations.
Local, ça m’emballe
Pour stimuler l’appétit pour de tels produits, Sylvain Allard pense qu’il faut éduquer les consommateurs et les producteurs afin qu’ils comprennent que « les règles d’hygiène ont un coût environnemental ». Selon lui, l’achat local peut contribuer à réduire l’emballage : généralement, plus un aliment vient de loin, plus il est emballé. Dans plusieurs pays, les produits frais sont souvent présentés sans emballage, note-t-il.
« Les designers sont dans l’action et cherchent des solutions. Le problème n’est pas l’innovation, mais bien la mise en marché », résume l’enseignant, qui a lancé en 2014 un concours international de design étudiant pour donner une vitrine aux avancées en matière d’emballage.
En attendant une petite révolution dans nos habitudes alimentaires, Diane Leclair Bisson ne baisse pas les bras et continue de s’investir dans ce projet « extrêmement important pour notre société ». Confiante du potentiel de ses paniers croustillants à la tomate, faits de farine biologique et adaptables à toutes sortes de formes et de besoins, elle développe aussi une collection de contenants comestibles pour l’industrie des traiteurs, qui sera lancée en 2019.
Bref, si la tendance se maintient, nous pourrons bientôt dire à nos enfants : « Finis ton assiette… et mange-la! »
Ras-le-bol
70 % de tous les emballages mis sur le marché au Québec proviennent du secteur alimentaire, révèle une étude réalisée en 2015 par le Baromètre de la consommation responsable en collaboration avec l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Cette étude nous apprend également que c’est pour les aliments que les Québécois sont les plus sensibles aux efforts visant à réduire le suremballage au profit de solutions écoresponsables, loin devant les médicaments et les produits d’entretien ménager, par exemple.