Une Abitibienne prête à tout pour préserver sa forêt

Stéphanie Rouillard, alias la Coureuse des Bois, s’adonne à diverses cueillettes dans sa petite forêt, dont celle du thé du Labrador qu’elle aime faire découvrir à ses hôtes.
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Stéphanie Rouillard, alias la Coureuse des Bois, s’adonne à diverses cueillettes dans sa petite forêt, dont celle du thé du Labrador qu’elle aime faire découvrir à ses hôtes. ©Émilie Parent-Bouchard
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17 septembre 2024 - Émilie Parent-Bouchard, Journaliste de l'Initiative de journalisme local

À Rouyn-Noranda, la propriétaire du gîte la Coureuse des Bois compte ne ménager aucun effort. Elle entend renouveler l’entente d’harmonisation qui protège des coupes forestières le petit écrin de forêt publique dans lequel elle offre son « expérience de ressourcement ». Récit.

Stéphanie Rouillard est gonflée à bloc. Il n’est pas question qu’elle abandonne le petit kilomètre carré de pins gris à la machinerie forestière. « Moi, je suis comme la Gaule, je mets des petits piquets autour de la forêt et je repousse les envahisseurs parce qu’ils la veulent, la forêt », illustre-t-elle.

Car tout autour du site où elle tient ses retraites de ressourcement pour les familles, les groupes de femmes et autres adeptes de la nature, la machinerie forestière est passée. Des photos aériennes montrent le territoire sablonneux dépouillé par les coupes. Et après avoir réussi à obtenir une première entente d’harmonisation en 2015 pour soustraire ce périmètre des calculs de possibilités forestières, voilà qu’un nouveau bras de fer se dessine avec le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) en vue de son renouvellement.

On voit bien l’impact de l’industrie forestière de l’autre côté de la route où des coupes ont été réalisées au cours des dernières années. Stéphanie Rouillard craint que la forêt qui héberge ses infrastructures récréotouristiques ne subisse le même sort si l’entente d’harmonisation n’est pas reconduite dans son intégralité.
On voit bien l’impact de l’industrie forestière de l’autre côté de la route où des coupes ont été réalisées au cours des dernières années. Stéphanie Rouillard craint que la forêt qui héberge ses infrastructures récréotouristiques ne subisse le même sort si l’entente d’harmonisation n’est pas reconduite dans son intégralité. ©Guy Darby

L’entente d’harmonisation conclue en 2015 par le MRNF et la Coureuse des Bois encadrait surtout le maintien de la qualité visuelle du paysage qu’on aperçoit depuis la route et les infrastructures. Elle balisait aussi l’horaire des opérations forestières pour éviter de nuire aux activités de l’entreprise. Mais avec l’arrivée à échéance de cette première entente l’année prochaine, Stéphanie Rouillard s’inquiète de devoir recommencer ces démarches de longue haleine.

« Je n’avais aucune expérience là-dedans. Si j’avais su comment ça allait être rough, je ne sais pas si j’aurais choisi de le faire », fait valoir celle qui craint aussi que les nouvelles négociations se traduisent par des pertes de bouts de territoire.

Les ententes d’harmonisation en bref

Plus de la moitié du Québec est couverte de forêts. La quasi-totalité (92 %) de ces 900 000 km2 est située sur des terres publiques. Le gouvernement a la responsabilité de gérer ce vaste domaine et d’attribuer des zones de coupes à l’industrie, mais la population québécoise peut y circuler librement pour pratiquer différentes activités : chasse, pêche, piégeage, cueillette, randonnée, villégiature, activités traditionnelles et culturelles des Premières Nations, etc.

Comme certaines de ces activités peuvent être incompatibles, celles et ceux qui les pratiquent (personnes utilisatrices de la forêt, entreprises récréotouristiques, organismes environnementaux et industrie forestière) se regroupent pour discuter en vue d’atteindre un certain équilibre. On parle alors de processus d’harmonisation. L’entente qui en découle résume les préoccupations, les devoirs et les responsabilités de chacune des parties. Source

Shinrin-yoku, bain scandinave et yourte de Mongolie

Juste à l’arrière du terrain et de la résidence qui lui appartiennent en bordure de route, l’entrepreneuse a aménagé des sentiers de cueillette ainsi qu’un chalet pièce sur pièce, une yourte importée de Mongolie, un tipi où cuisiner sur feu de bois, ainsi qu’un sauna – le tout aménagé au bord d’un ancien bassin de pisciculture alimenté par un esker, une source d’eau froide idéale pour un bain scandinave. Elle utilise aussi ce boisé pour des « bains de forêt », une pratique connue au Japon comme le shinrin-yoku, selon laquelle le fait de se trouver en forêt ou à proximité d’arbres a des effets bénéfiques sur la santé et le bien-être.

« À moins que ce soit [la reconduction de la même entente], c’est sûr que je ne baisserai pas les bras. Je l’ai eue une fois, je vais l’avoir deux fois! Ce n’est pas vrai [qu’ils vont] rentrer ici pour aller chercher des mini patches de bois qui ne rapporteront quasiment rien », soutient fermement Stéphanie Rouillard.

La Coureuse des Bois a aménagé un tipi, « l’habitation la plus intelligente en forêt », selon elle, précisant qu’elle permet de se mettre à l’abri des intempéries, mais aussi de cuisiner sur un feu de bois.
La Coureuse des Bois a aménagé un tipi, « l’habitation la plus intelligente en forêt », selon elle, précisant qu’elle permet de se mettre à l’abri des intempéries, mais aussi de cuisiner sur un feu de bois. ©Émilie Parent-Bouchard

À la recherche d’appuis

La directrice générale du Conseil régional de l’environnement en Abitibi-Témiscamingue (CREAT) croit que la Coureuse des Bois a de bonnes chances. Bianca Bédard note d’ailleurs que les regroupements de bénévoles et autres OBNL qui gèrent des clubs de ski de fond ou des sentiers pédestres gagneraient à mieux connaître le mécanisme d’entente d’harmonisation afin de pouvoir l’utiliser. « Le processus peut être assez ardu pour une courte durée, reconnaît-elle. Par contre, j’ai bonne foi que les fonctionnaires sont là pour accompagner les personnes qui voudraient le faire. »

Bianca Bédard note cependant que l’actuel appel de projets du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs pour la création d’aires protégées offre peut-être une occasion d’éviter de répéter ces lourdes démarches au fil des ans.

« C’est beaucoup plus intéressant de déposer un projet d’aire protégée, surtout que dans l’appel actuel, le processus est étonnamment beaucoup plus simple. Toute personne [peut le faire, elle] n’a qu’à indiquer le secteur, pourquoi [on devrait le protéger], quels en seraient les impacts, les particularités que l’on [y]retrouve. Ça permettrait d’obtenir un statut de conservation à long terme », fait-elle valoir, précisant du même souffle que le CREAT déposera une « vingtaine de propositions » partout en Abitibi-Témiscamingue.

Stéphanie Rouillard, elle, ne baisse pas les bras. Pour sensibiliser la population à sa cause, elle multiplie les journées portes ouvertes, les activités de cueillette et d’interprétation de la nature ainsi que les ateliers créatifs. Fin juin 2024, elle a aussi mis en ligne une pétition afin de recueillir les encouragements des gens aux quatre coins de la province. Elle espère ainsi amener de l’eau au moulin pour l’obtention d’une protection « permanente » de son petit bout de forêt.

« La pétition va se rendre au ministère, aux élus, partout. Nous demandons que la protection de la forêt soit prolongée indéfiniment. Il s’agit de sauvegarder notre environnement, notre climat et notre héritage pour les générations futures », plaide-t-elle. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 950 personnes, dont certaines hors du Québec, avaient signé la pétition de la Coureuse des Bois.

Ce qu’en dit le ministère

Interpellé au sujet du renouvellement de l’entente d’harmonisation de la Coureuse des Bois, le MRNF s’est montré laconique, se contentant de mentionner que le dossier est encore en cours d’analyse. Selon Stéphanie Rouillard, une première rencontre à ce sujet devait avoir lieu le 12 septembre 2024.

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