Sensible au sort de la planète depuis sa tendre enfance, Rhodnie Désir évoque les changements climatiques dans ses spectacles. Rencontre avec une chorégraphe qui croit au pouvoir transformateur des arts.
Enfant, Rhodnie Désir essayait déjà de conscientiser son voisinage lavallois à la protection de l’environnement. De son plus lointain souvenir, cet intérêt a toujours été en elle, alors qu’elle lisait les revues scientifiques auxquelles sa mère était abonnée. « Ça fait juste partie de moi. J’avais sept ans et j’allais dire aux gens d’arrêter de jeter leurs déchets n’importe où. Je distribuais des flyers », se souvient la créatrice du spectacle MWON’D, présenté en décembre dernier à l’Agora de la danse, à Montréal.
L’œuvre aborde la question de l’accélération des changements climatiques par la lenteur, explique la chorégraphe. « C’était vraiment pour tenter de renverser cette tendance humaine d’aller vite pour essayer de trouver des solutions. La nature, elle, elle va lentement. »
C’est à l’âge de trois ans que Rhodnie commence la danse classique à l’école Carol Behnan, à Montréal-Nord. Neuf ans plus tard, elle intègre le programme intensif de l’école secondaire Pierre-Laporte, pour ensuite poursuivre sa formation classique au Conservatoire de danse de Montréal. Diplômée en communication et en marketing de l’Université de Montréal et de HEC Montréal, la danseuse a aujourd’hui une quinzaine de spectacles à son actif en tant que chorégraphe. En 2017, elle fonde sa propre compagnie de danse, RD Créations. Depuis, les succès se multiplient : le Dance Magazine de New York l’a choisie parmi les 25 danseurs et danseuses à surveiller en 2021. L’année dernière, elle a remporté le prix de la danseuse de l’année au Gala Dynastie. Elle est aussi devenue la toute première artiste associée de la Place des Arts, à Montréal, pour un projet pilote de trois ans.
Une démarche documentaire
Les sujets qui inspirent la chorégraphe émergent de différentes source « Les œuvres, je ne sais jamais pourquoi elles viennent vers moi. Des fois, c’est une couleur que je vois, une chanson que j’entends, un regard que je croise… Et après, la thématique me submerge », raconte-t-elle.
Si elle ne se rappelle pas avec exactitude l’élément déclencheur pour MWON’D, c’est dans tous les cas en Martinique qu’elle a été inspirée pour la première fois. « C’était en regardant l’eau. J’étais en vacances, je n’étais pas devant une scène catastrophique. Au contraire, c’était magique, c’était beau », se souvient-elle.
Celle qui crée grâce à une démarche s’apparentant au documentaire a été guidée vers le thème de l’accélération des changements climatiques lorsqu’elle s’est entretenue avec des spécialistes comme des volcanologues et des mycologues. « Quand je leur ai demandé, c’était quoi, le réel problème, le danger, ils m’ont répondu qu’un des défis de l’être humain, c’est sa compréhension de la proportion des choses. Par exemple, s’il y a un déversement dans un océan, on se dit “ce n’est pas grave, c’est juste dans ce coin-là, le reste de l’océan va bien”. L’impact est difficile à projeter pour l’être humain », illustre-t-elle.
Consciente, mais pas écoanxieuse
Pour Rhodnie Désir, la danse est un art propice aux conversations sur les changements climatiques, car les deux sont liés au corps. « Quand les températures vont monter, c’est le corps qui ne sera plus en mesure de supporter les chaleurs extrêmes. Si ta maison brûle, c’est une chose. Mais si ton corps brûle, c’est autre chose », dit-elle.
Cette idée la rend-elle écoanxieuse? « Pas du tout! répond-elle en éclatant de rire. On vit des changements climatiques depuis bien longtemps. Si on se réveille aujourd’hui, c’est une bonne chose », dit celle qui parle plutôt de « conscience » de la situation que d’anxiété. « Il y a vraiment une différence entre quelqu’un qui est conscient, qui agit, et quelqu’un qui subit. Je ne suis pas portée par la peur, pour créer mon œuvre, mais par la nécessité de le faire », précise la chorégraphe.
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La vulgarisation par le mouvement
Le 3 mars prochain, Rhodnie Désir présentera TÈ BIC, qui aborde la question du territoire du Bas-Saint-Laurent, au Musée régional de Rimouski. « Ce n’est pas parce que je ne mets pas les mots “changement climatique” sur un spectacle que ça veut dire que je ne parle pas de l’environnement », précise-t-elle.
Rhodnie Désir estime qu’aujourd’hui, son rôle est de vulgariser par la danse les témoignages des experts et des expertes avec lesquels elle s’entretient. « Je ne demanderai pas aux gens de faire une liste de gestes à poser parce que je sais que la moitié des gens ne vont pas s’y tenir. S’ils viennent s’asseoir dans la salle, ils ne comprendront peut-être pas le langage tout de suite. Mais, quelque part à l’intérieur d’eux, il y a quelque chose qui va peut-être bouger. L’art a le pouvoir de transformer de l’intérieur les plus sceptiques », croit-elle.