Comment se débarrasser de ses encombrants quand on n’a pas de voiture? Au sein de la MRC de La Rivière-du-Nord, on a mis sur pied un service de transport qui rend la gestion des déchets accessibles à tout le monde.
Jeudi matin : le stationnement de l’écocentre régional de Saint-Jérôme est plein. Cette grande bâtisse est le cœur battant d’un réseau d’écocentres qui comprend aussi ceux de Prévost, de Saint-Hippolyte et de Sainte-Sophie. Ensemble, les quatre villes ont confié la gestion de leurs matières résiduelles à Développement durable Rivière-du-Nord, un organisme sans but lucratif (OSBL) paramunicipal qui ne manque pas d’initiative.
Les citoyens paient des taxes pour qu’on gère les déchets. En offrant le réemploi, on donne de la belle matière aux personnes démunies.
Objectif réemploi
Si l’écocentre de Saint-Jérôme est le plus fréquenté du réseau – 150 000 visites en 2023 –, c’est notamment pour sa gigantesque boutique consacrée au réemploi. Dans les allées, on trouve de tout : meubles, vaisselle, jouets, livres, et jusqu’aux plus petites vis et autres pièces de machinerie. Sans compter des objets insolites tels que d’énormes plaques de quartz ou des cartouches audio huit pistes qui raviront les collectionneurs. Une véritable « caverne d’Ali Baba », comme se plaît à l’appeler Pierre Bruyère, le directeur général de l’OBNL.
Si ce trésor a pu être constitué, c’est grâce au processus de priorisation que le centre a adopté dans le traitement des matières résiduelles. Celui-ci se base sur une application stricte du principe des 3 RV, qui stipule de gérer la fin de vie des objets et matières dans l’ordre suivant : réduire à la source, réutiliser, recycler, valoriser. « Tout le monde parle des 3 RV en environnement, mais [priorise] le recyclage, le [traitement des] déchets. Le réemploi, il est où?, s’interroge Pierre Bruyère. On est à l’inverse : avant de penser à recycler, il faut penser à réemployer. »
On le fait d’abord pour des raisons environnementales : en rallongeant la durée de vie des objets, on diminue le volume de matières envoyées à l’enfouissement – et donc les émissions de GES. Mais le gain est aussi économique : en 2023, le coût de l’enfouissement était de 150 $ la tonne pour l’OBNL, mais celle-ci récoltait 2 200 $ pour une tonne de matière revendue. La formule s’est donc révélée doublement gagnante pour les quatre villes partenaires.
Et pour la clientèle aussi, car elle peut magasiner à moindre prix. « Les citoyens paient des taxes pour qu’on gère les déchets. En offrant le réemploi, on donne de la belle matière aux personnes démunies. »
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Mutualiser la livraison et la collecte
C’est pour répondre pleinement aux besoins de cette clientèle que l’OBNL a récemment décidé de pousser le système plus loin. Certaines personnes qui fréquentent la boutique sont en effet limitées dans leurs achats parce qu’elles n’ont pas de voiture. « Ce qu’on essaye de faire, c’est d’aider la personne qui veut un beau fauteuil à 25 $ à ne pas devoir assumer des frais de livraison de 60 $. »
Comment? En mettant en place un système de transport mutualisé pour diminuer les coûts de la livraison à domicile. Ce service permettra, par ricochet, d’atteindre l’objectif du projet : profiter de la livraison pour collecter toutes les matières résiduelles que la personne n’est pas en mesure d’apporter elle-même à l’écocentre.
Ce transport, dont le tarif sera le plus bas possible, offre en sus la garantie d’un traitement optimal de la matière, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on laisse ses objets sur le bord du trottoir pour les ferrailleurs. « La beauté de l’écocentre, c’est que si on prend n’importe quel objet qui arrive ici, on va le traiter adéquatement », assure Pierre Bruyère.
Transport mutualisé des déchets, qu’est-ce que c’est?
Actuellement, le transport est assuré par le camion cube de Développement durable Rivière-du-Nord. L’OSBL cherche à maximiser les trajets. Petit exemple : plutôt que d’envoyer le camion faire un aller-retour pour livrer un meuble, on lui assignera un plus long circuit dont cette livraison ne sera qu’une étape. De plus, aux livraisons et collectes des objets et matières s’ajouteront des déplacements qui répondent aux besoins de plusieurs organismes locaux désireux de s’associer au projet : réception et livraison de nourriture, de livres, etc. « Toute cette mutualisation du camion permettra de mobiliser un chauffeur pour la journée plutôt que pour un voyage » et par-là même de diminuer les coûts, explique Pierre Bruyère.
Outre le poste de chauffeur ou de chauffeuse, le système nécessite une personne chargée d’évaluer le potentiel de réemploi des objets proposés à la cueillette avant chaque déplacement du camion. Car selon qu’ils sont destinés au réemploi, au recyclage ou à l’enfouissement, ils ne vont pas tous au même endroit. Pour solutionner les maux de tête que cette logistique ne manquera pas de causer, une autre personne sera responsable de la répartition et de la coordination des trajets.
Le système est d’ailleurs déjà en place à l’échelle de Saint-Jérôme pour faire la récupération des frigos usagés, mais l’OBNL espère l’élargir dès septembre à Prévost, Saint-Hippolyte et Sainte-Sophie en incluant toutes sortes d’objets encombrants. « Tout ce qui ne peut pas tenir dans une auto, on pourra aller le chercher. Mais pas les petits colis, on ne fait pas du Amazon », prévient le directeur.
À terme, le système de transport sera coordonné avec l’aide d’un logiciel et intégrera possiblement d’autres camions et partenaires.
Une question de courage
Pour soutenir ce projet et renforcer l’efficacité de ses écocentres, Développement durable Rivière-du-Nord a pu compter sur des subventions de Recyc-Québec et de Centraide ainsi que sur une communauté tissée serrée d’organismes communautaires et de bénévoles.
L’organisation est aussi allée chercher une bonne grosse dose de « courage managérial », de l’aveu de Pierre Bruyère. « C’est ce que ça prend pour démocratiser la gestion appropriée des déchets », affirme le directeur, qui aimerait voir cette qualité mieux portée par les municipalités.
Enfouir les déchets, ça pèse lourd
En 2021, le secteur des matières résiduelles a produit 5,2 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) de la province, soit 4,0 Mt éq. CO2. La majorité de ces émissions, soit plus de 80 %, provient de l’enfouissement des déchets municipaux, soit 3,3 Mt éq. CO2.
À noter que cela représente une diminution de plus de 40 % en 30 ans, principalement due à la capture des gaz émis lors de la décomposition des déchets dans certains sites d’enfouissement.
Source : Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2021 et leur évolution depuis 1990.