Depuis l’été dernier, en Gaspésie, la communauté mi’gmaq fait sa part pour contrer le dérèglement climatique en détournant des tonnes de matières organiques du dépotoir.
En ce qui concerne les programmes de compostage, chaque communauté doit relever ses propres défis. À Listuguj, collectivité mi’gmaq située à un jet de pierre de la baie des Chaleurs, en Gaspésie, c’est la saison du homard qui s’avère délicate. Preuve de l’importance du cardinal des mers dans cette région, même le guide de tri distribué aux quelque 3000 habitants de l’endroit en fait mention!
Lorsque les carcasses du délicieux crustacé affluent en masse au nouveau site de compostage érigé près du garage municipal, « il nous faut ajuster nos manières de faire, comme on le ferait avec une recette », affirme Marie-Christine Roussel-Gray, coordonnatrice en environnement et développement durable à Listuguj.
En effet, une modification soudaine des matières organiques traitées – une avalanche de carcasses de homards ou un amas de citrouilles à l’Halloween, par exemple – peut changer considérablement la température, le taux d’humidité et la texture à l’intérieur du composteur. Ces variations ont une incidence énorme sur la qualité du compost qui en ressort. Depuis le lancement du service, en juin 2022, c’est le genre de problèmes avec lesquels composent les opérateurs des installations, James Martin et Erica Gideon.
« Nous sommes encore dans la phase essais et erreurs. Pour l’instant, nous respectons un ratio de 70 % de matières organiques et de 30 % de copeaux de bois », explique Marie-Christine Roussel-Gray.
Le jeu en vaut la chandelle. Pour Listuguj, on estime que le compostage pourrait détourner, chaque année, jusqu’à 274 tonnes de matières organiques de la décharge située à Saint-Alphonse-de-Caplan, à plus de 100 km de là. « Comme le transport et le ramassage des déchets sont à nos frais, nous faisons des économies significatives », souligne l’intervenante. Sans parler des gaz à effet de serre, tels que le CO2 et le méthane, qu’on évite ainsi d’émettre dans l’atmosphère.
Autre avantage : l’été prochain, le compost produit sera réutilisé pour enrichir les sols du jardin communautaire de Listuguj ainsi que pour des travaux publics effectués par les employés municipaux. « Cela suscite l’enthousiasme et rallie les plus réticents », se réjouit Marie-Christine Roussel-Gray.
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Microorganismes à l’œuvre
Ce projet ne date pas d’hier. La réflexion avait été amorcée en 2017, lors de l’élaboration du Plan de gestion des matières résiduelles de Listuguj en collaboration avec l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador. À l’époque, des études préliminaires démontraient que la communauté pouvait détourner environ 30 % de ses matières organiques de l’enfouissement. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le conseil de la nation de Listuguj et son chef d’alors, Darcy Gray, d’aller de l’avant. Après des années de planification et une pandémie, la construction du bâtiment de toile en forme de dôme qui abrite les équipements de compostage a débuté en 2021.
Listuguj a fait le choix de se tourner vers un composteur thermophile de Brome Compost. Travis Ahearn, technicien en compostage pour cette entreprise de Cowansville, explique les subtilités de cette technologie, qui fonctionne bien lorsque les températures à l’intérieur du composteur sont maintenues à 55 °C et plus. « Le métabolisme des bactéries responsables de la digestion des matières organiques est alors optimal. Pour cela, il faut s’assurer de respecter les bonnes proportions d’eau, d’azote, de carbone et d’oxygène », énumère-t-il. C’est pourquoi le cylindre de compostage est rotatif et ventilé : il permet de mélanger la matière tout en l’exposant à l’air dans son entièreté.
Le site est d’ailleurs aménagé en rangées, de manière à créer des baies de maturation où les différents lots de compost peuvent vieillir après avoir passé environ neuf jours dans le composteur. « C’est astucieux: le compost a ainsi toutes les chances d’atteindre les normes du Bureau de normalisation du Québec en matière d’amendements de sols », indique Travis Ahearn, en référence à ces substances ajoutées au sol afin d’en améliorer les propriétés physiques, chimiques et biologiques.
Un début à tout
Listuguj n’est pas la seule Première Nation du Québec à se lancer dans le compostage. C’est le cas aussi de la communauté algonquine de Pikogan, des Innus de Mingan et de la collectivité inuite d’Inukjuak, entre autres.
« Les Premières Nations doivent redoubler d’efforts pour concrétiser ces initiatives. L’information relative à la mise en place de programmes de compostage est rarement cadrée pour leurs réalités, fait valoir Marie-Christine Roussel-Gray. À Listuguj, il a par exemple fallu surmonter la barrière de la langue [on y parle l’anglais plutôt que le français]. »
Et comme partout ailleurs, on doit sensibiliser et éduquer la population au compostage dans le contexte de la lutte au réchauffement planétaire. « Notre prochain objectif est d’augmenter le taux de participation, qui est actuellement de 16 %, incluant les secteurs institutionnel et commercial. Par la suite, nous n’excluons pas d’offrir le service à d’autres communautés environnantes. » Que les habitants du village voisin de Pointe-à-la-Croix se le tiennent pour dit!
De la poste au compost
Les bacs de compost remis aux Mi’gmaq de Listuguj sont munis d’un petit drapeau rouge. À la suite de la collecte, il est mis en position verticale pour indiquer aux propriétaires qu’ils peuvent récupérer leur seau vide. Un rappel de la levée du courrier par boîte aux lettres!