S’émerveiller, une clé pour l’action climatique

Laurie Gagnon-Bouchard
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Laurie Gagnon-Bouchard ©Hamza Abouelouafaa
Created with Lunacy 3 min

Pour l’écoféministe Laurie Gagnon-Bouchard, le sens de l’émerveillement et la vulnérabilité sont deux pièces cruciales du casse-tête que représente la lutte contre les changements climatiques. Portrait d’une chercheuse qui a décidé d’étudier la crise écologique sous la loupe de la philosophie.

Comme plusieurs générations d’enfants, Laurie Gagnon-Bouchard a passé ses étés au camp Minogami. Ce camp de vacances bien ancré dans la forêt mauricienne accueille des jeunes de 7 à 18 ans depuis 1963.

Les expéditions à Mino, comme le surnomment les intimes, incluant de longues nuits à observer les étoiles et la lune autour d’un feu, ont à tout jamais changé son regard sur la nature. Un rite de passage qui aura été déterminant.

« Mino a été une manière de me connecter à la nature, de cultiver mon sens de l’émerveillement, se souvient la chercheuse de 31 ans. On a aussi fait de la survie en forêt et des expéditions en canot, on n’avait pas le choix de développer des liens particuliers avec la nature. Je ne l’ai jamais plus vue (la nature) de la même manière. »

Ce sens de l’émerveillement, combiné à une sensibilité particulière aux injustices sociales depuis sa tendre enfance, a été la pierre d’assise de son parcours universitaire. Après un baccalauréat en sciences politiques, Laurie Gagnon-Bouchard a entrepris une maîtrise en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est là qu’elle a eu un « déclic intellectuel ».

« Lors d’un cours sur l’extractivisme [exploitation massive des ressources de la nature ou de la biosphère], les hommes dans la classe s’intéressaient beaucoup à la gestion des ressources, de l’énergie, explique-t-elle. De mon côté, je me demandais surtout ce que ça disait de notre rapport au monde. C’est là que je suis tombée sur des textes écoféministes qui mettaient de l’avant comment l’exploitation environnementale était liée à l’exploitation humaine, notamment des femmes. Le déclic s’est fait. » Cette prise de conscience a ouvert la voie à ses études au doctorat en philosophie où elle s’est spécialisée en éthique environnementale et féministe.

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Convergence des luttes

Dans sa définition la plus simplifiée, l’écoféminisme est un mouvement qui souligne le lien qui existe entre l’exploitation des femmes et la destruction de l’environnement. Né dans les années 1970, le terme regroupe un ensemble de visions qui veut mettre en lumière les conséquences des systèmes d’oppression sur la nature et les femmes.

« L’écoféminisme, c’est aussi une appellation théorique qui traduit plein de pratiques qui peuvent être aussi militantes que distantes, dit-elle en faisant référence au domaine de la recherche. L’écoféminisme est pluriel. »

Une des interprétations de l’écoféminisme veut que la société patriarcale soit basée sur des valeurs de conquête et d’exploitation qui ont pour effet d’exacerber les inégalités sociales. Pour la chargée de cours qui enseigne Introduction aux écoféminismes à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM, ce lien problématique entre l’homme et le monde est documenté depuis longtemps.

« En philosophie, il y a des écrits qui remontent au XVIe siècle, aux débuts de la pensée moderne, qui confirment cette idée. Les hommes, en excluant les femmes et les personnes racisées, sont considérés comme plus grands que nature, rappelle-t-elle.Il y a un devoir pour les hommes de dominer, maîtriser et exploiter l’environnement qui l’entoure. »

Être dans le déni, c’est choisir l’ignorance, dit-elle en faisant référence au concept philosophique de willful ignorance (ignorance volontaire). Le déni, ça ne change rien, ça ne fait que geler les émotions. Ça revient à la vulnérabilité, il faut faire de la place à ces émotions pour ensuite agir.

Laurie Gagnon-Bouchard

La vulnérabilité, planche de salut

Pour repenser le rapport entre l’homme et la nature, Laurie Gagnon-Bouchard propose plusieurs pistes de solution. Pour elle, adopter une posture de vulnérabilité aiderait à retrouver une certaine forme d’humilité et permettrait d’aborder la question des changements climatiques sous un nouvel angle.

« Je pense qu’il faut qu’on accepte notre vulnérabilité face à la nature, qu’on ne sait pas tout, qu’on ne sera pas capables de tout régler avec la technologie, avance la doctorante en pensée politique à l’Université d’Ottawa. On ne sera pas capables de tout maîtriser, il y a quelque chose de plus grand que nous. »

L’écoféministe donne comme exemple les savoirs autochtones, qui ont été, historiquement, mis de côté parce qu’ils n’avaient pas de « valeur scientifique ». Réintégrer ces savoirs pourrait faire partie d’une « démarche d’humilité ».

« Dans les cosmologies autochtones [ensemble des savoirs physiques et métaphysiques], il y a l’idée que la nature et les personnes forment un tout, poursuit-elle. Cette manière de voir les choses permet de sortir du cadre existant, soit celui que nous devons profiter, maîtriser et exploiter les ressources naturelles qui nous entourent. Il y a aussi une place importante pour le sens de l’émerveillement et l’amour que nous avons pour la nature. »

Questionnée sur la place de l’écoanxiété dans sa vie, la chercheuse mentionne qu’elle a appris à vivre avec celle-ci. Selon elle, cette anxiété est signe d’une connexion avec l’environnement qui l’entoure, aux antipodes du déni, qu’elle qualifie de « dérangeant ».

« Être dans le déni, c’est choisir l’ignorance, dit-elle en faisant référence au concept philosophique de willful ignorance (ignorance volontaire). Le déni, ça ne change rien, ça ne fait que geler les émotions. Ça revient à la vulnérabilité, il faut faire de la place à ces émotions pour ensuite agir. »

Les étés au camp Minogami ont permis à Laurie Gagnon-Bouchard de développer un amour sincère pour la nature qui l’entoure. Consciente de la chance qu’elle a eue de développer ce lien, elle espère que l’humain sera capable de réinventer son rapport au monde qui l’entoure pour relever le défi climatique.

Cet article provient d’un cahier spécial “Recherche : enjeux climatiques” publié par le quotidien Le Devoir.

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