S’il est un domaine où l’économie circulaire s’applique à merveille, c’est bien celui des boissons alcoolisées : plusieurs microbrasseries et microdistilleries ont conclu des partenariats avec d’autres entreprises afin que les déchets des uns trouvent une seconde vie chez les autres. Une lutte au gaspillage qui en est aussi une aux gaz à effet de serre (GES).
Il y a quatre ans, Loop a fait le pari de lancer une gamme de jus à partir de surplus de fruits et de légumes provenant d’importateurs et de distributeurs. « L’engouement a été instantané! », se souvient le cofondateur de cette entreprise montréalaise, David Côté. Le secret de cette réussite? « Les fruits qu’on reçoit sont parfaitement mûrs, juteux, plein de saveurs, mais les grandes bannières d’épiceries ne les achètent pas parce qu’elles veulent des produits qui ont une durée de vie de trois semaines. »
Depuis, Loop a bien grandi et s’est mise à produire plusieurs bières sures dans lesquelles une partie du grain est remplacée par du pain invendu d’une grosse boulangerie industrielle. Ce dernier contient des sucres qui sont transformés en alcool. Plus récemment, l’entreprise a lancé une série de Milkshake IPA aux fruits, des bières houblonnées dont l’aspect onctueux est rehaussé grâce au lactose. Celui-ci prend la forme de perméat de lait, qui est acheté à Agropur. Il s’agit du liquide qui reste après l’extraction des protéines de lait et des matières grasses nécessaires à la fabrication du fromage.
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Loop récupère aussi des retailles des pommes de terre utilisées pour produire les croustilles Yum Yum afin d’en faire un alcool à 80 %. « Ça goûte quand même fort la patate! », affirme David Côté. C’est pourquoi le liquide est mélangé avec de l’alcool neutre de grain, aromatisé à la lime et au gingembre. Le produit est ensuite dilué dans l’eau pour donner un gin contenant 40 % d’alcool.
Dans le commerce, fruits et légumes sont livrés dans des boîtes, parfois en sacs (raisins) ou dans un emballage papier individuel (poires), souvent avec des séparateurs de plastique. Tout cela n’est pas trié avant d’être jeté et part donc à l’enfouissement plutôt qu’au compostage. À l’été 2020, les initiatives de récupération de Loop ont permis à 4231 tonnes de fruits et de légumes et à quelque 1,1 million de tranches de pain d’échapper à l’enfouissement. Cela correspond à 3412 tonnes de GES, calcule l’autre fondatrice de Loop, Julie Poitras-Saulnier. En pleine croissance, l’entreprise aspire maintenant à percer les marchés australien et américain, puis à s’établir partout dans le monde. Car comme le dit David Côté, « il y a du gaspillage partout »…
Un modèle qui s’impose tranquillement
Si certaines entreprises ne font pas de la récupération leur spécialité, elles ont cependant bien compris que celle-ci pouvait leur être utile. Ainsi, à Tingwick, dans le Centre-du-Québec, la microbrasserie Multi-Brasses a créé la bière Toast, préparée à partir du pain rassis que la banque alimentaire régionale ne peut plus distribuer. Dans chaque litre de cette broue, 100 grammes de pain remplacent 50 grammes d’orge. On vous en parlait d’ailleurs il y a deux ans.
À Salaberry-de-Valleyfield, la distillerie 3 Lacs récupère pour sa part le tourteau de tournesol des fermes Longprés situées dans la municipalité voisine, Les Cèdres. Il s’agit d’une pâte séchée qui résulte du pressage à froid des graines de tournesol bio pour en extraire l’huile. Sa macération dans l’alcool pendant 24 heures donne au gin un subtil arôme de noisette, explique le cofondateur de l’entreprise, Nicolas Bériault. « Il reste aussi une petite charge en huile dans le tourteau qui nous permet de donner de la texture à notre produit. » Un petit côté huileux que les amateurs de spiritueux apprécient!
Cette distillerie produit deux gins, le citron-tournesol et le pamplemousse-romarin, conçus à base de fruits biologiques récoltés auprès d’importateurs montréalais. « Ils nous envoient des textos quand ils ont des agrumes qui commencent à devenir un peu moches et qui ne pourraient pas rester plus de quelques jours sur les tablettes des supermarchés, poursuit Nicolas Bériault. On va les chercher directement à l’entrepôt. »
Brasseurs et distillateurs produisent aussi de précieux déchets
Les principes de l’économie circulaire peuvent aussi s’appliquer à la fin du processus de brassage de bière ou de distillation de spiritueux. Partout au Québec, des agriculteurs récupèrent la drêche, c’est-à-dire les restants de céréales trempées desquelles a été extrait le sucre nécessaire à la fermentation. Le tout devient alors un aliment riche en protéines pour les animaux d’élevage, ou encore de l’engrais lorsque composté.
Une étude européenne estime que l’économie circulaire permettrait une réduction de 2 à 4 % des émissions totales de gaz à effet de serre en Europe si on l’appliquait au secteur agroalimentaire ainsi qu’aux secteurs de la métallurgie, de l’hôtellerie et de la restauration.
À Baie-Comeau, pour produire son gin Norkotié, la distillerie Vent du Nord utilise un mélange d’aromates – baie de genévrier, groseille noire, baie d’aronia, camerise, airelle, thé du Labrador et peuplier. Le processus de distillation génère un liquide coloré qui est récupéré en partie par une autre entreprise de la région, Cadelli, spécialisée dans la fabrication de produits pour le corps.
« Comme les fruits ont macéré longtemps dans le liquide, ce dernier est plein d’antioxydants, affirme la fondatrice de Cadelli, Cynthia Lebel. Je m’en sers pour faire des shampooings en barre zéro déchet, qui sont vraiment bons pour les cheveux colorés. » Les restants de macération de Vent du Nord représentent de 10 à 15 % des produits utilisés pour la fabrication du shampooing, parmi lesquels figurent aussi du beurre de mangue, des poudres de plantes et des agents moussants naturels, entre autres.
Enfin, il arrive (et c’est bien triste!) que la bière elle-même devienne un déchet. C’est ce qui est arrivé au printemps 2020 à la brasserie Trou du diable. Confinement oblige, son broue-pub situé à Shawinigan a dû fermer et 5000 litres de bière se sont retrouvés sans clients pour les boire… Pour éviter le gaspillage, la bière a été envoyée à la distillerie Mariana de Louiseville, qui en a extrait 200 litres d’alcool pur par distillation auxquels ont été ajoutés 800 litres d’alcool de patate qu’elle avait en stock. Par la suite, l’entreprise Breuvages Trybec a transformé ces 1000 litres d’alcool en gel désinfectant pour les mains qui a été distribué gratuitement dans les CPE de la Mauricie lorsque ces derniers ont rouvert en mai. Une bonne idée qu’on espère toutefois ne plus jamais avoir à mettre en œuvre!
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