Une distillerie de l’Estrie a eu l’idée originale de produire une vodka avec des restes alimentaires. Rencontre avec ses cofondateurs.
À Bedford, en Estrie, Vanessa Cliche et Samuel Gaudette ont créé la distillerie Comont en 2020. Cette dernière se cache dans un ancien bâtiment industriel, aux abords de la rivière aux Brochets.
C’est là que je retrouve Samuel, le maître distillateur de l’endroit. Il m’invite à entrer et m’explique les origines d’un des produits de l’entreprise : la vodka V.ZERO. « L’idée était farfelue au départ : j’étais à l’épicerie avec ma blonde, Vanessa, et on marchait dans l’allée des gâteaux. Je me suis questionné sur les restes de gâteaux Barbie et Spiderman qui n’étaient pas tous mangés. »
Devant le constat qu’une partie de ce qui n’était pas consommé pouvait être réutilisée, le couple se lance le défi de faire une vodka à base de restes alimentaires.
Plusieurs produits font dès lors l’objet de tests de faisabilité : des pains naans, des gâteaux, des tartes au sucre, etc. « Au début, on allait dans les supermarchés pour voir ce qui était “passé de date” et faire nos tests de fermentation et de distillation », se remémore le cofondateur. Ces produits contiennent tous la quantité d’amidon et de sucre nécessaire à la fabrication de cette boisson.
Finalement, l’entreprise a trouvé trois partenaires qui la fournissent en matière organique : Arctic Gardens, Nutrifrance et le Groupe St-Hubert, ce qui simplifie la récupération des aliments en question, qui devaient finir à la poubelle.
Le processus de transformation
La distillerie ne contrôle pas tous les ingrédients qu’elle reçoit. Par exemple, l’entreprise Arctic Gardens lui envoie tantôt des carottes congelées, tantôt des pommes de terre ou des petits pois. Côté « desserts », Comont reçoit des retailles de pâte à tarte du Groupe St-Hubert et des résidus de pâte à biscuits ou à muffins de Nutrifrance.
« On envoie des récipients, nos partenaires les remplissent de tartes au sucre, une pour moi, le reste pour Nicole, c’est le nom de la cuve d’empâtage! » explique le maître distillateur en riant.
La visite se poursuit et Samuel me montre le processus de transformation de pommes de terre surgelées, de pâte à biscuits et à tarte au sucre en vodka. « Toute cette matière est envoyée dans Nicole, qui va convertir les sucres complexes en sucre simple pour que notre levure puisse nous donner de l’alcool », dit-il, perché sur un tabouret qui lui permet de me montrer la cuve.
Cette grande marmite en argent cuit les aliments avant qu’ils soient envoyés dans les cuves Yvette, Denise et Cécile, qui vont faire de l’alcool par la fermentation. « Comme la bière ou le vin, la fermentation permet de faire une boisson qui passe de 0 % à environ 15 % d’alcool », résume le maître distillateur.
Par la suite, Alfred, l’alambic, va distiller et concentrer les vapeurs d’alcool, ce qui procurera « une vodka à 94 % d’alcool, que l’on va abaisser à 40 % avec de l’eau pour en faire la vodka finale ».
Tous ces noms-là (Nicole, Yvette, Denise et Cécile) ont une histoire touchante. « Ce sont toutes nos grands-mamans! » me révèle Samuel avec un grand sourire. Et Alfred, l’alambic qui distille? « Le nom que je voulais donner à mon futur garçon. Mais Vanessa n’était pas capable de le dire sans rire. » Une belle manière de régler le problème!
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Les deux pieds dans l’économie circulaire
Tout est ainsi fermenté, distillé et embouteillé sur place à Bedford. « On vient sauver ces matières organiques et on leur donne une seconde vie en poussant plus loin l’économie circulaire », m’explique le cofondateur de la distillerie. Parce que ces matières organiques ont un point commun : elles sont toutes destinées à la poubelle, dans certains cas parce qu’elles ont des défauts de fabrication.
Avec 4 tonnes de matières organiques ainsi sauvées des sites d’enfouissement, 1200 bouteilles de vodka sont produites.
« Partir d’une matière première organique, la transformer de A à Z et la réutiliser fait partie de nos valeurs, témoigne Samuel. On voulait réduire notre empreinte sur l’environnement. Et en se demandant comment amener notre démarche plus loin, on voulait aussi innover, ce qui nous a menés aux invendus [alimentaires]. »
Pour arriver à un produit fini, tout ce développement a pris du temps – entre un an et demi et deux ans. Grâce au soutien financier du Fonds Écoleader et à l’expertise du Centre de développement bioalimentaire du Québec, la Distillerie Comont a obtenu entre autres des études pour évaluer la possibilité d’intégrer des résidus alimentaires comme intrants pour certains de ses produits.
Il a par ailleurs fallu convaincre les partenaires de la distillerie de lui faire parvenir leur stock, car, selon Samuel, il est plus facile pour une entreprise de tout envoyer dans les sites d’enfouissement que de mettre sur pause la chaîne de production.
De l’innovation, de la créativité et du savoir-faire : voilà la recette qui mène à une vodka que l’on trouve aujourd’hui sur les tablettes de la SAQ.
De la cueillette à la poubelle : courte vie pour les déchets alimentaires
Chaque année, ce sont 3,1 millions de tonnes de résidus alimentaires qui finissent à la poubelle tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire au Québec, selon Recyc-Québec. Une bonne partie (61 %) de ces déchets est constituée d’éléments non comestibles, comme des os ou des coquilles d’œuf, mais il en reste 1,2 million de tonnes qui auraient dû être mangées. Cela représente 3,6 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, soit l’équivalent de 4 % des émissions totales de la province.