Alex dans le Bas-Saint-Laurent – Discorde au pays de l’Estran

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©Shutterstock/SLIZO
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SUR LA ROUTE 3/3 – Aux quatre coins de la province, des gens s’activent pour faire une véritable différence dans la crise écologique. Pour ce troisième dossier régional, nous avons décidé de poser notre regard sur le Bas-Saint-Laurent, une magnifique région dont le destin est étroitement lié aux aléas climatiques. Troisième étape du voyage : Rimouski et la grande question de la consommation d’eau.

Mon arrêt au parc national du Bic hier m’a beaucoup fait réfléchir. De plus en plus, je me rends compte que l’éducation environnementale, et particulièrement la connexion à la nature, fait partie des ingrédients d’une véritable mobilisation collective.

Pour la troisième étape de ce voyage, je me suis arrêté à Rimouski. C’est dans cette petite ville située sur le bord du fleuve que j’ai passé une grande partie de mon adolescence. L’an dernier, un fait divers dans le journal local avait piqué ma curiosité.

En février 2023, la Ville a adopté un règlement interdisant l’arrosage des entrées avec de l’eau potable. Cette réglementation, l’une des plus sévères au Québec, a déclenché une petite avalanche de réactions sur les réseaux sociaux et même une pétition. Plusieurs citoyens et citoyennes sont montés aux barricades ; pour ces gens, le règlement allait trop loin.

L’arrosage des entrées fait presque partie du folklore québécois. Dans ma jeunesse, les voisines et voisins « nettoyaient » leur asphalte au printemps (il y en avait aussi qui arrosaient leur banc de neige pour le faire fondre plus vite, mais ça, c’est une autre histoire). Comme bien d’autres choses qu’on ne remettait pas en question à l’époque, c’était une pratique courante et assez banale. J’ai même retrouvé une chronique de Patrick Lagacé de 2009 intitulée « Le droit inaliénable d’arroser son asphalte ». Autre temps, autres mœurs, comme on dit.

Pour mieux comprendre le processus qui a mené à la décision de la Ville, ainsi que l’étonnante levée de boucliers qui en a découlé, j’ai rencontré le conseiller municipal responsable du dossier et une sociologue de l’environnement.

©Shutterstock/The Toidi

Aux grands maux, les grands remèdes

Jocelyn Pelletier est une figure bien connue à Rimouski. Conseiller municipal depuis 2017, il est impliqué dans la vie communautaire et artistique depuis près de 20 ans. Je le retrouve au Cégep de Rimouski, où il chapeaute le club entrepreneurial étudiant.

Lorsque je lui demande de se remémorer la tempête qui a suivi l’annonce du règlement, il me regarde avec un sourire qui en dit long.

« L’intensité de la réaction m’a surpris, lance-t-il d’emblée. Certaines personnes sont même allées chercher des photos de mon entrée sur Google Maps : il semble qu’on peut voir des pissenlits pousser à travers mon asphalte (rires). Je n’aurais jamais cru qu’une décision comme ça allait soulever autant les passions. »

Ce sont les années de sécheresse qu’a connues la région dans la dernière décennie qui ont forcé Jocelyn et ses collègues de la Ville à agir une fois pour toutes afin de contrer le gaspillage d’eau potable. L’arrosage est maintenant interdit toute l’année, et le règlement prévoit des amendes de 175 $ pour les particuliers et de 350 $ pour les compagnies.

« En 2020 et 2021, nos réservoirs étaient à leur plus bas niveau, nous étions proches d’un problème majeur d’alimentation d’eau, se souvient-il. On voyait encore les gens arroser leur asphalte et leur pelouse la nuit. Pour nous c’était inacceptable! Il fallait faire quelque chose. »

Une chose me frappe en lui parlant, son discours envers lesdits contestataires est dénué de jugement et même rempli d’empathie.

« Sur les réseaux sociaux, on nous a comparés à des régimes dictatoriaux, ajoute-t-il avec un petit rire. Mais au fond, je sais que ce sont seulement des citoyens et citoyennes qui veulent être impliqués dans la vie municipale. Je ne leur en veux pas, la liberté d’expression est un droit central de notre société. »

Jocelyn Pelletier, conseiller municipal du district de Saint-Robert ©Alexandre Couture

Jamais assez ou toujours trop

La politique municipale est remplie de défis. Les mécanicismes décisionnels peuvent être lourds et lents, et les conclusions font rarement l’unanimité. Jocelyn Pelletier en sait quelque chose. Longtemps, il a été du côté militant et, depuis son passage de l’autre côté, il est lui-même confronté aux réalités du milieu politique.

« C’est difficile d’avoir des consensus; on est soit trop progressistes pour certains ou pas assez pour d’autres, mentionne-t-il. Mais les décisions sont prises pour le bien commun de la population, c’est certain que les compromis sont nombreux. Cela étant dit, je sais que ça peut être frustrant de l’extérieur, surtout avec les enjeux écologiques. »

Selon le Rimouskois, le vent de contestation face au règlement sur l’arrosage vient surtout du fait que nous avons, comme population, une perception faussée de la ressource qu’est l’eau. Pour utiliser ses mots, « on croit encore que l’eau apparaît par magie du robinet ».

« Je pense que c’est le nœud du problème, on ne peut pas croire qu’une région comme le Bas-Saint-Laurent puisse manquer d’eau, alors que les enjeux sont bien réels. C’est pourquoi il faut redoubler d’efforts avec de la sensibilisation et de l’éducation sur la consommation d’eau. Dans un monde idéal, des décisions comme ça [l’arrosage d’asphalte] deviendront des no-brainers [évidences] dans le futur. »

Le grand paradoxe du fleuve

Cette perception de l’eau me fascine depuis longtemps. Les Québécois et Québécoises ont grandi en se faisant dire que l’eau était leur plus grande richesse. C’est vrai, mais avec plusieurs nuances qui se sont souvent perdues dans le discours collectif. Il faut aussi dire que les enjeux reliés à l’eau sont assez complexes.

Pour en discuter, j’ai rencontré Nathalie Lewis à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). J’ai tout de suite compris que cette sociologue en environnement était la personne tout indiquée pour discuter de notre rapport à l’or bleu. Pour elle, les enjeux hydriques sont « parfois masqués par un mirage d’abondance », en particulier dans les régions côtières.

« Prenons l’exemple du Bas-Saint-Laurent, la splendeur et la grandeur du fleuve nous fait face chaque jour, décrit-elle. Mais il faut faire la différence entre l’eau douce et l’eau salée. Nous avons beaucoup d’eau au Québec, mais pas nécessairement beaucoup d’eau potable. »

Pour la professeure, qui a grandi à Montréal-Nord, cette perception peut expliquer la perpétuation de certains comportements, comme l’arrosage des entrées d’asphalte pour reprendre le cas de Rimouski.

« Je pense que ces habitudes, un peu dépassées disons-le, sont symptomatiques de cette non-valeur qu’on accorde à l’eau, dit-elle. On a l’impression que la ressource est infinie, on la tient pour acquise. Cependant, je pense que cette perception est en train de changer, les sécheresses qu’on a connues ont au moins eu ça de positif, elles donnent des munitions pour un changement de mentalité. »

Nathalie Lewis lors d'une entrevue à la radio ©Jean-Pierre Perouma

Changement de paradigme nécessaire

Nathalie Lewis a fait ses études de doctorat en France, où la relation à l’eau est bien différente. Les grands épisodes de stress hydriques, la France en a connu son lot, et les compteurs d’eau pour surveiller la consommation sont communs là-bas. Est-ce que c’est une piste de solution pour le Québec?

« Ce genre de mesure peut aider à la sensibilisation, mais elle a aussi un contrecoup social important, avertit la sociologue. Voulons-nous vraiment mettre un prix sur une ressource universelle? Le danger de stigmatiser les moins nantis est bien présent. »

« D’ailleurs, ajoute-t-elle, je ne crois pas que pointer du doigt les individus soit la bonne avenue à prendre, nous avons surtout besoin de grands gestes collectifs. Individuellement, les gens ont fait du chemin, mais collectivement on fait encore du surplace. »

Je dois l’avouer, en voyant le tollé provoqué par le règlement, je trouvais les réactions un peu archaïques, voire ridicules. Mais en fouillant le sujet (et en me déplaçant sur le terrain), je me rends compte que la cause a des racines beaucoup plus profondes que je ne l’aurais cru. Une belle leçon que je retiendrai pour la suite de mon travail à Unpointcinq.

Pour le Bas-Saint-Laurent, ce dossier aura montré que les défis sont grands. Les enjeux sont nombreux et évoluent rapidement. En revanche, ma visite m’aura aussi convaincu que la population a la capacité et la volonté de s’adapter aux changements climatiques, que ce soit par nécessité ou par amour pour sa région.

POUR LIRE LA PARTIE 1

Les défis du Kamouraska

Porte d’entrée du Bas-Saint-Laurent, le Kamouraska subjugue les touristes avec ses monadnocks et ses couchers de soleil. Au-delà de ses allures de carte postale, la région connaît toutefois de grands enjeux de disponibilité et de qualité de l’eau. Les grandes sécheresses prépandémiques ont sonné l’alarme, en particulier dans le milieu agricole. Changements climatiques obligent, celui-ci doit se réinventer et miser sur la solidarité pour assurer sa pérennité.

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