De précieux renforts viennent prêter main-forte aux municipalités québécoises pour faire face aux défis climatiques : les conseillers et conseillères scientifiques.
La Ville de Longueuil compte depuis peu une nouvelle employée dans ses rangs. Julie-Maude Normandin agit depuis la fin juin comme conseillère scientifique en chef au sein des équipes de la cinquième ville la plus populeuse du Québec. Longueuil devient ainsi la première municipalité de la province à créer un tel poste officiel et rémunéré, pour lequel elle a d’ailleurs reçu et analysé plus d’une centaine de candidatures.
« Je rêve d’exercer cette fonction dans une ville depuis des années, mais ça n’existait pas!, lance la principale intéressée en entrevue. Vous imaginez ma joie de voir la Ville de Longueuil recourir à ce genre d’expertise. » Julie-Maude Normandin a, il faut le dire, un CV taillé sur mesure pour tenir ce rôle. Elle travaillait jusqu’à tout récemment au Cité-ID Living Lab, qui se consacre à la recherche-action en gouvernance de la résilience urbaine. Comme chercheuse, elle est notamment spécialisée en gestion des risques et des crises ainsi qu’en processus de prise de décision dans les administrations publiques sur la base de données probantes, peut-on lire sur le site de l’Acfas.
Ça tombe bien : les changements climatiques n’épargnent pas la Rive-Sud de Montréal. En septembre 2022, Longueuil a par exemple reçu en deux heures la quantité de précipitations qui y tombe normalement en un mois à ce temps de l’année. La gestion des eaux pluviales fait d’ailleurs partie des dossiers hautement prioritaires de la nouvelle conseillère scientifique en chef, dont le mandat sera de trois ans. « Les élus et la direction générale en identifieront d’autres, c’est sûr, souligne-t-elle. Les employés municipaux que je rencontre ne cessent de me répéter que j’étais attendue. »
Paver la voie
La Ville de Victoriaville s’est elle aussi adjoint les services d’un conseiller scientifique en chef en janvier dernier. Contrairement à Longueuil, toutefois, cette municipalité du Centre-du-Québec ne s’acquitte pas du salaire de Simon Barnabé, qui continue plutôt de recevoir ses chèques de paie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, où il est professeur au Département de chimie, biochimie et physique. « Ce mandat s’inscrit dans les services à la collectivité que je dois rendre de toute façon », précise celui qui gravite « depuis plus de 15 ans » autour du berceau du développement durable au Québec.
Ce modèle a ses forces. Comme il est étranger aux tractations qui se déroulent dans les coulisses de l’hôtel de ville, Simon Barnabé est à l’abri des apparences de conflits d’intérêts qui pourraient entacher la neutralité de ses recommandations. « Je suis un conseiller et non un décideur, nuance le titulaire de la Chaire de recherche municipale pour les villes durables. Un conseiller scientifique ne devrait pas se retrouver à faire de la politique par la bande. » Il en va aussi de la capacité des municipalités à engager – ou non – ce type de spécialiste. « Ce modèle est avantageux pour une ville de taille moyenne comme Victoriaville. En officialisant ma fonction, elle pave en quelque sorte la voie à ses semblables. »
D’autant plus que cette « gouvernance à valeur ajoutée » constitue, selon Simon Barnabé, un atout certain pour mieux faire face aux inondations, feux de forêt et autres phénomènes attribuables au dérèglement du climat. À l’heure actuelle, plusieurs municipalités québécoises ont en main un plan d’adaptation aux changements climatiques qui prévoit des solutions à mettre en œuvre. Par son accompagnement, le conseiller ou la conseillère scientifique pousse plus loin cette démarche, contribuant ainsi à en améliorer l’efficacité. « Sa principale compétence est son réseau, estime le chercheur. [Le conseiller] doit être en mesure de mobiliser les bonnes expertises au bon moment afin de jeter un regard neuf sur une situation. »
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Un engouement
Si on en croit le bruit qui court dans le milieu municipal, Simon Barnabé et Julie-Maude Normandin feraient partie d’une espèce en voie d’apparition au Québec. Lors des dernières assises annuelles de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), un panel intitulé Le potentiel du conseil scientifique pour le milieu municipal animé par Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, a fait salle comble. L’auditoire, composé d’élues et d’élus ainsi que de fonctionnaires du milieu municipal, buvait, semble-t-il, les paroles de celui qui préside l’antenne nord-américaine du Réseau international en conseil scientifique gouvernemental.
En mai dernier, la tête dirigeante des Fonds de recherche du Québec (FRQ) et la Ville de Laval ont par ailleurs dévoilé un nouveau programme de scientifique en résidence dans les administrations municipales. Deux mois plus tard, c’était au tour de la Ville de Sherbrooke de faire une annonce similaire. Les attentes envers la ou le scientifique en résidence sont élevées. La reine des Cantons-de-l’Est espère que la personne retenue aidera à « avoir accès aux plus récentes connaissances scientifiques dans le domaine de la fiscalité municipale », précise un communiqué. « Les innovations et bonnes pratiques en termes d’écofiscalité feront également partie du mandat de recherche. »
Pour Évelyne Beaudin, mairesse de Sherbrooke, il ne fait aucun doute que ce sang neuf sera un plus pour sa municipalité. « Les opérations quotidiennes sont accaparantes; il y a toujours des urgences à gérer! Cela nous permettra de prendre un précieux pas de recul », indique-t-elle. Il en va de la santé des finances publiques de Sherbrooke qui, comme tant d’autres, dépend des taxes foncières. « On n’y arrive pas avec l’argent dont on dispose actuellement. Imaginez quand les changements climatiques vont se déchaîner!, s’exclame-t-elle. C’est pourquoi je pense qu’investir dans le conseil scientifique municipal est porteur d’avenir. »