Adapter l’architecture et la planification territoriale

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L’ancien maire de Quaqtaq désormais gestionnaire de projet à la municipalité, Johnny Oovaut. Photo: Aurélia Crémoux
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Retombées positives générales

Partie 2/3. Au Nunavik, alors que le dégel du pergélisol provoque l’affaissement des sols, comment adapter l’architecture et la planification du territoire en conséquence?

Dans le Grand Nord québécois, le dégel du pergélisol provoque l’affaissement des sols, déformant les routes et fragilisant les bâtiments, des enjeux majeurs pour lesquels les administrations locales doivent trouver des solutions. « Dans mon objectif de maintien [du parc de logements sociaux], je me dois d’essayer de faire quelque chose, témoigne Lupin Daignault, le directeur général de l’Office d’habitation du Nunavik (OHN), mais ça arrive qu’en essayant de soulever un bâtiment, ce ne soit pas le bâtiment qui lève… mais le sol qui descend. »

Les remblais granulaires, une solution bancale

Dans ce contexte, le recours aux remblais granulaires pour stabiliser les constructions déposées sur le pergélisol sans fondations ne garantit plus l’équilibre des bâtiments. Leur utilisation peut, en fait, aggraver le problème. « C’est important qu’il y ait un bon espace entre le bâtiment et le sol pour que l’air circule et que la chaleur du bâtiment n’ait pas d’impact [sur le pergélisol], explique Lupin Daignault. Mais oui, après ça, le [remblai granulaire] peut aussi contribuer au dégel. » 

« Si les pratiques de construction sont respectées, que le remblai est bien posé et qu’on attend un an pour qu’il se stabilise et se compacte, ce n’est pas une mauvaise option en soi, ajoute Sarah Gauthier, autrice d’une thèse sur la géomorphologie appliquée du pergélisol. Souvent, le problème tient plus dans le non-respect des bonnes pratiques : attendre assez longtemps qu’il se compacte, prendre du matériel de qualité, etc. » À cet enjeu s’ajoute la difficulté croissante de l’approvisionnement en matériaux granulaires.

Faire face à la pénurie de matériaux granulaires

L’approvisionnement en gravier, nécessaire à la construction des remblais granulaires, pose un défi croissant dans les villages nordiques. En effet, les ressources naturelles locales, appelées « bancs d’emprunt », s’épuisent à force d’exploitation. Les communautés doivent donc produire leur propre gravier dans des carrières, ce qui engendre des coûts importants. Si certains villages, à l’image de Salluit, s’équipent d’une foreuse et d’un concasseur pour assurer leur autonomie, tous ne peuvent pas envisager cette solution. Toutefois, même avec ces équipements, la qualité des roches disponibles localement n’est pas toujours optimale, ce qui peut entraîner des problèmes techniques dans les projets de construction.

Des exemples de construction sur pieux existent au Nunavik, comme ce prototype réalisé à Quaqtaq en 2015. Photo: Aurélia Crémoux

Construire sur pieux comme au Nunavut

Face aux problèmes engendrés par le recours aux remblais granulaires, une solution utilisée au Nunavut commence à faire son chemin : la construction sur des pieux plantés dans le roc. En plus de permettre une bonne circulation du vent sous les bâtiments pour prévenir l’accumulation de neige qui cause des problèmes de drainage, l’impact de cette méthode sur l’environnement naturel est bien plus faible que celui d’un remblai qui recouvre le sol.

« Au Nunavut, ça fait déjà une trentaine d’années, si ce n’est pas plus, qu’ils n’utilisent que des pieux, explique Alain Fournier, architecte associé chez EVOQ Architecture, firme spécialisée dans les infrastructures nordiques. Chaque village a sa réserve de pieux et les équipements [pour les installer]. Il y a actuellement une entreprise qui fait ce travail-là, alors qu’au Nunavik, ça commence [à peine]. »

C’est une très bonne idée, pour nous, de miser sur les pieux. C’est moins destructeur pour la végétation et ça nous permet aussi de nous aligner avec notre territoire. 

Adamie O. Alaku, président de la corporation foncière de Salluit

 

« Nous sommes prêts à faire le nécessaire », assure Adamie O. Alaku au sujet des innovations à apporter dans les constructions. Photo: Aurélia Crémoux

 

Michel Allard, professeur émérite de l’Université Laval et spécialiste des milieux nordiques, a d’ailleurs participé à une étude sur la construction durable dans le Grand Nord, dont l’une des recommandations est que le gouvernement dote les communautés du Nunavik de foreuses et d’équipements de carrière pour planter des pieux dans le roc. Certains villages prennent toutefois les devants et s’équipent de leur propre initiative. « Nous avons acheté une foreuse dans ce but. Elle arrivera par bateau cet été, mais le processus pour obtenir tous les permis nécessaires n’est pas encore terminé, explique M. Alaku. Nous avons donc approché la Société Makivvik, car c’est elle qui [réalise] les projets de logements. Et à ce jour, il ne semble pas qu’elle soit prête à adopter cette technologie. »

Sollicitée à ce sujet, la division construction de la Société Makivvik n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

Bien que le recours aux pieux permette de stabiliser les constructions, il soulève de nouveaux enjeux, qui freinent son adoption. « Ça fait exploser les coûts dans les projets parce que l’utilisation de pieux demande des expertises géotechniques un petit peu plus poussées et détaillées pour savoir exactement ce qu’il y a au niveau des sols sur toute la superficie du bâtiment, précise l’architecte associé principal et directeur chez EVOQ, Eric Moutquin. Alors que le remblai répartit la charge un peu partout, peu importe que le sol porte un peu plus ou un peu moins, qu’il y ait du roc ou qu’il y en ait moins. C’est une question de coûts et de capacité à vouloir investir dans cette technologie. »

Ça arrive qu’en essayant de soulever un bâtiment, ce n’est pas le bâtiment qui lève mais le sol qui descend.

Lupin Daignault, directeur général de l’OHN

Selon Construction d’habitations au Nunavik – Guide de bonnes pratiques, publié par la Société d’habitation du Québec (SHQ) en 2018, l’épaisseur du remblai granulaire doit être 1,5 fois supérieure. Photo: Alexia Boyer

D’autres dossiers régionaux pour voyager au Québec 

Revoir l’aménagement du territoire

« Il y a deux volets pour assurer l’adaptation : il y a les fondations elles-mêmes, si on veut, bâtiment par bâtiment, et il y a l’aménagement du territoire », explique le géographe Michel Allard, dont l’équipe de recherche a d’ailleurs réalisé un travail de cartographie du pergélisol dans les communautés du Nunavik. Selon lui, ces deux volets sont indissociables.

« Notre principale recommandation, c’est d’utiliser davantage les affleurements rocheux et les sols grossiers [pauvres en glace], de telle sorte que les terrains demeureront stables quand le réchauffement va s’accentuer », ajoute Michel Allard. Le village d’Inukjuak a d’ailleurs commencé à construire sur le roc.

Dans un contexte de crise du logement, le manque de place représente toutefois un autre défi. Pour cela, les municipalités doivent modifier les règlements de zonage établis pour adapter la planification urbaine aux réalités des villages du Nunavik, bien différentes de celles du sud de la province. « J’ai recommandé de ne plus construire de maisons dans une certaine partie de la communauté parce que l’eau sort du sol même en hiver et crée de la glace épaisse autour des maisons », explique Johnny Oovout, gestionnaire de projet à la Municipalité de Quaqtaq.

 « Il y a des communautés [autochtones] aux États-Unis qui commencent à se doter de codes de construction tribaux », suggère à ce propos Grégory Brais-Sioui, doctorant en architecture et membre de la nation huronne-wendat.

S’adapter à cette réalité, aussi bien en matière de zonage que de construction, présente toutefois certaines difficultés pour les communautés. Johnny Oovout rappelle que les formes d’administration du territoire actuellement en vigueur au Québec sont très éloignées des rapports que le peuple inuit entretient culturellement avec son environnement. « Même dans les municipalités, on essaye de faire fonctionner la communauté, mais il y a beaucoup de règlements, c’est très compliqué pour nous, car ce n’est pas notre système », confie-t-il. Adapter les métiers de l’aménagement à la réalité inuite et former des professionnels inuits font partie des solutions. On en parle dans la 3e partie de ce reportage.

De nombreuses parties prenantes

S’il s’occupe de l’entretien et de la gestion des logements sociaux, l’Office d’habitation du Nunavik (OHN) n’est toutefois pas responsable de leur construction. C’est le mandat de Makivvik Construction, une branche à but non lucratif de la Société Makivvik, qui lègue ensuite les logements à l’OHN pour la somme symbolique d’un dollar.

La Société Makivvik indique ainsi, dans sa Stratégie d’adaptation aux changements climatiques du Nunavik, que « de nombreuses organisations sont impliquées dans divers aspects du développement des infrastructures communautaires ». En plus de l’OHN, de Makivvik Construction et de l’ARK, les municipalités participent elles aussi aux décisions concernant les réponses à adopter face aux changements climatiques. Cette multiplication des parties prenantes complexifie la coordination et a pour effet de ralentir la prise de décision.

Reportage produit dans le cadre des bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

POUR LIRE LA PARTIE 3

Par et pour les Inuits

Adapter les métiers de l’aménagement à la réalité inuite, cocréer et soutenir les initiatives locales… les solutions existent pour s’adapter à la réalité des changements climatiques au Nunavik.