Placer la gestion des eaux de pluie au cœur d’un projet de quartier. Sur le papier, ça ne fait pas nécessairement rêver. Sauf qu’au final, ça donne une ruelle « bleue-verte », un espace de convivialité entre voisins sous le signe de l’adaptation aux changements climatiques. Photoreportage.
Joliment nommé « Ruelle Turquoise » par ses habitants, le site « transitoire » de la première ruelle bleue-verte de Montréal a été inauguré mercredi dernier dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à hauteur du parc linéaire Antenne-Longue-Pointe. Une célébration sous une pluie battante, comme un rappel humide de l’utilité de l’initiative.
Ce projet porté par l’Alliance Ruelles bleues-vertes consiste à déconnecter les drains des toitures pour conduire l’eau de pluie vers la ruelle plutôt que de l’envoyer se perdre dans le réseau d’égouts municipal. Retenir l’eau de la rue aurait un effet positif sur la qualité de vie des habitants : utilisation de l’eau pour le lavage, irrigation de zones vertes, amélioration de la biodiversité, adaptation aux fortes chaleurs…
… et permettrait, du même coup, d’éviter le débordement des égouts : « Il suffit de décaler de 15 minutes le temps entre une pluie intense et l’acheminement des eaux vers l’égout pour éviter un débordement. Les changements climatiques avancent vite […] et ce genre d’initiative règle en partie la gestion des eaux de pluie, tout en améliorant l’espace vert », explique Sylvain Ouellet, responsable de l’eau et des infrastructures de l’eau à la Ville de Montréal (à gauche sur la photo).
Selon les concepteurs de la ruelle Turquoise, son aménagement permettrait de récupérer annuellement l’équivalent de l’eau contenue dans 2,5 piscines olympiques!
Égouts, égouts
On retrouve deux types de réseaux d’égouts dans l’île de Montréal : les réseaux unitaires et les réseaux séparatifs. Contrairement aux réseaux séparatifs, les réseaux unitaires n’ont qu’une seule conduite qui reçoit à la fois les eaux usées et l’eau de pluie. Leur débit peut donc augmenter rapidement en cas de pluie intense, ce qui présente des risques de débordement. Ces réseaux couvrent les deux tiers du territoire de l’île, surtout au centre et à l’est, selon la Ville de Montréal.
La ruelle Turquoise, c’est un espace commun aux riverains qui vivent dans des condos, des logements sociaux, des duplex ou des triplex. Mobilisés depuis 2015 autour d’un projet de verdissement, ils ont pensé y ajouter du bleu il y a deux ans, à la suite d’une proposition de l’Alliance Ruelles bleues-vertes. De sondages en réunions, de réunions en ateliers, les habitants s’approprient progressivement le projet.
Le mobilier inauguré mercredi dernier fait l’objet d’une expérimentation. À cheval entre l’espace privé et public, les bacs de plantation côtoient des bancs aux allures de navire. Si ces constructions sont provisoires, leurs emplacements pourraient être ceux des futures infrastructures de gestion de l’eau. « On veut [évaluer] l’intérêt des citoyens avec du concret, même s’il est transitoire », explique Pascale Rouillé, urbaniste et directrice des ateliers UBLO, qui est aussi membre de l’Alliance.
Et cet intérêt est solide, si l’on en croit le discours de la riveraine Hélène Nadeau, qui a procédé avec enthousiasme à l’inauguration du site aux côtés des élus et des concepteurs du projet. Elle a travaillé d’arrache-pied pour que les copropriétaires de son condo rejoignent l’aventure. « Plus on en fait pour l’environnement, mieux c’est, confie-t-elle. J’ai des petits-enfants et je me demande dans quel monde ils vont vivre. »
Les plus jeunes riverains ont également apporté leurs couleurs au nouvel aménagement. Avec l’aide de voisins artisans, les enfants du quartier ont peint la soixantaine d’œuvres murales qui sont attachées le long des clôtures de la ruelle.
Ces installations en bois sont la première contribution visible à un projet imaginé il y a dix ans, mais dont le montage a été laborieux. C’est finalement grâce à l’association d’entreprises privées et d’organismes locaux – formant aujourd’hui l’Alliance Ruelles bleues-vertes – que deux premiers sites ont été trouvés pour les accueillir, après cinq ans de recherche. Le premier site est situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest, tandis que l’autre se trouve dans Mercier‒Hochelaga-Maisonneuve.
Le début des travaux est prévu pour 2020, si le financement nécessaire à leur réalisation – évalué à 1 million de dollars – est obtenu. Car la recherche de fonds se poursuit malgré le soutien des partenaires municipaux et provinciaux. « Le montage de l’Alliance et de son modèle de gouvernance a nécessité beaucoup de temps et d’investissement, confie Pascale Rouillé. Pour que le projet soit rentable sur le plan de l’environnement, il faudrait qu’il se répète. »
En attendant, les enfants de la ruelle Turquoise jouent et s’approprient déjà leur nouveau mobilier. Un aménagement transitoire, donc, qui donnera le ton à d’autres initiatives et incitera les riverains à transformer complètement leur ruelle… entre bleu et vert.
Quessé ça ?
L’Alliance Ruelles bleues-vertes est issue d’un partenariat entre deux entreprises privées d’ingénierie et d’urbanisme et trois organismes locaux : le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), les ateliers UBLO, Vinci Consultants, le Collectif 7 à Nous et la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal (SHAPEM). Organisées sans mandat politique, ces entités forment le comité de pilotage du projet de Ruelles bleues-vertes. Elles sont soutenues par une vingtaine de partenaires et de comités citoyens (un par ruelle).
Le projet est financé par le Fonds vert dans le cadre d’Action-Climat Québec, un programme découlant du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. Il a été rendu possible grâce à la contribution du Fonds d’action québécois pour le développement durable (FAQDD) et du gouvernement du Québec.