Dossier spécial : (In)justice climatique , partie 2

Les feux de forêt : accélérateurs d’inégalités pour les communautés autochtones

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80 % des communautés autochtones au Canada sont situées dans des zones présentant un risque de feux de forêt ©Émilie Parent-Bouchard

En 2023, les conséquences des feux de forêt sur les campements autochtones – qui contribuent au maintien du mode de vie traditionnel – sont passées sous le radar, faisant ressortir les inégalités subies par les communautés face aux catastrophes naturelles.

Depuis le début des années 1980, le nombre d’évacuations attribuables aux feux de forêt ne cesse d’augmenter au pays. Sans surprise, les communautés autochtones sont plus vulnérables : le gouvernement du Canada évalue que 80 % d’entre elles sont situées dans des zones présentant un risque de feux de forêt.

Pour la biologiste et chargée de cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) Eliane Grant, la vulnérabilité des autochtones face aux feux de forêt est désormais bien plus qu’une statistique. Originaire de la communauté crie de Waswanipi, elle était aux premières loges de la saison historique de 2023 : elle a fait partie des quelque 230 000 personnes au pays qui n’ont eu que quelques heures pour fuir les flammes qui ont ravagé plus de 18 millions d’hectares de forêt – en comparaison, la moyenne des 10 dernières années se chiffrait à moins de 3 millions d’hectares par année.

Mais c’est surtout après l’urgence qu’elle a pris la mesure de la blessure infligée au territoire. Et par ricochet, au mode de vie traditionnel. Car si le gouvernement québécois s’est félicité d’avoir réussi à épargner toutes les vies humaines et les infrastructures, le bilan a été beaucoup plus désastreux pour les communautés.

Durant l'été 2023, les flammes ont léché ce camp situé dans le secteur du Lac Roméo en Eeyou Istchee Baie-James. Tous les campements cris n'ont pas eu cette chance. ©Marshall Icebound

Une vision distincte de la forêt

 
Eliane Grant pense en premier lieu aux personnes inscrites au Programme de sécurité économique pour les chasseurs cris, un programme qui assure un revenu aux membres des communautés qui optent pour le mode de vie traditionnel basé sur la chasse, la pêche et le piégeage. « Eux, ils ont plus que tout perdu, lance-t-elle, en référence aux pertes de territoire et de campements “sans adresse” – parfois situés à quelques centaines de mètres de chalets et de résidences secondaires sauvés des flammes –, non comptabilisés dans le bilan du gouvernement. Ça a causé beaucoup de colère dans les communautés, comme si eux n’étaient pas importants comparativement aux allochtones. »

Eliane Grant, diplômée en biologie et chargée de cours à l'école d'études autochtones de l'UQAT. ©Gracieuseté : Eliane Grant

Pour les Québécois et Québécoises, et en particulier pour les décisionnaires, croit-elle, il est difficile de concevoir cette intimité, cette relation de dépendance qu’entretiennent les Premières Nations non seulement avec le territoire, mais aussi avec la faune et la flore qui s’y trouvent. « Les familles ont plusieurs campements, beaucoup d’équipement, des bateaux, des moteurs, des cannes à pêche, des pièges, des trappes. On va se déplacer en fonction de la saison », fait valoir celle qui se voit comme une « traductrice » des savoirs ancestraux liés au territoire auprès des décisionnaires responsables de la gestion de la forêt.

Vers un observatoire de la forêt?

Alors qu’il a assisté l’automne dernier à la conférence d’Eliane Grant sur les conséquences des feux de forêt pour la nation crie, le titulaire de la Chaire de recherche UQAT-UQAM en aménagement forestier durable (AFD), Pierre Drapeau, insiste pour préciser que, malgré le passage inexorable des feux de forêt, il est impératif, dans une perspective de justice climatique et environnementale, de prendre en compte les autres usages de la forêt plutôt que la seule récolte de bois d’œuvre.

Comme Eliane Grant, le chercheur croit par exemple que les Premières Nations devraient être conviées à la table des décisionnaires, non pas être consultées une fois les plans de coupes forestières établis. Il note que ce changement de paradigme espéré dans la foulée du changement de nom de la Loi sur les forêts au début des années 2010 ne s’est pas pleinement réalisé.

 
« Le titre même de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier reconnaît qu’on aménage le territoire. Ça devient très sensible quand on aborde la question des communautés qui vivent sur le territoire, plus particulièrement celles des Premières Nations, parce que ça interpelle toute la dimension des droits d’utilisation du territoire et des ressources », fait-il valoir, précisant que le « changement de paradigme » que la communauté scientifique espérait incluait aussi le recours accru à la science pour favoriser la régénération de la forêt comme matière première, mais surtout comme habitat.

Pierre Drapeau, professeur du Département des sciences biologiques de l'UQAT et cotitulaire de la Chaire institutionnelle UQAT-UQAM en aménagement durable des forêts. ©Gracieuseté : Pierre Drapeau

Celui qui milite depuis plusieurs années pour la création d’un Observatoire de la forêt croit d’ailleurs que ce « centre de mobilisation de la connaissance » pourrait prendre en compte les connaissances ancestrales dont parle Eliane Grant. « Ça fait 40 ans que l’économie a le haut du pavé et qu’on ne regarde pas trop l’écologie ni les enjeux de société. Avant de parler de justice climatique avec les Premières Nations, peut-on simplement parler de justice? » s’interroge Pierre Drapeau.

 L’été passé, on était dans une situation où de nombreuses municipalités et communautés étaient affectées par les feux de forêt. Et il n’y avait pas une structure en place pour qu’on soit capables d’avoir des canaux de communication optimaux. On a pris la mesure de la nécessité d’avoir une meilleure liaison avec nos partenaires.
Stéphane Caron, coordonnateur à la prévention et aux communications de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU)

À quoi s’attendre cet été?

Alors qu’elle concède que l’ampleur des feux a occasionné certains problèmes de communication avec ses partenaires – les localités jamésiennes mais aussi les communautés cries et autres représentants et représentantes de la sécurité civile –, notamment quant à l’évacuation des communautés autochtones, la SOPFEU assure déjà être en action pour corriger le tir. Le coordonnateur à la prévention et aux communications, Stéphane Caron, mentionne la mise en place d’agents et agentes de liaison avec les communautés, qu’elles soient autochtones ou non.

« L’été passé, on était dans une situation où de nombreuses municipalités et communautés étaient affectées par les feux de forêt. Et il n’y avait pas une structure en place pour qu’on soit capables d’avoir des canaux de communication optimaux. On a pris la mesure de la nécessité d’avoir une meilleure liaison avec nos partenaires », explique-t-il.

Eliane Grant, elle, appréhende tout de même la période estivale : « On est déjà sur un pied de guerre, dit-elle. On ne se fera pas avoir deux fois, on va être beaucoup plus prudents. Les changements climatiques vont avoir un impact majeur sur plusieurs générations. Ça va être de réapprendre à vivre sur un territoire qu’on ne connaît pas, qui va changer à vue d’œil. Dans notre histoire, heureusement ou malheureusement, on a appris à être résilients. Mais ça va être un défi », conclut-elle.

Alors que s’achève la démarche de réflexion sur l’avenir de la forêt menée par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts, qui doit notamment aboutir à l’identification de stratégies d’adaptation aux changements climatiques, les Premières Nations les et scientifiques espèrent qu’une bonne dose de volonté politique pourra aussi réduire les inégalités par rapport aux feux de forêt.

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