Des scientifiques des quatre coins de la francophonie ont convergé, en personne ou en ligne, au plus récent congrès de l’Acfas. Au menu de leurs échanges? Avancements de la recherche, innovations et enjeux touchant tous les champs de connaissance, avec une place de choix pour le climat.
Saviez-vous que l’étable de demain serait en mesure, grâce à des filtres biologiques sophistiqués, de capter 100 % du méthane des rots et des pets des vaches? ou que l’intelligence artificielle permettrait de prédire les fluctuations du rayonnement solaire, ouvrant ainsi la porte à une meilleure estimation de la quantité d’électricité qu’on peut tirer de cette source d’énergie renouvelable? ou encore que différents types de fosses d’arbres – ouvertes, surélevées, sous les trottoirs – sont actuellement comparés les uns aux autres sur l’avenue Maguire, à Québec, de manière à déterminer ceux qui offrent les meilleures conditions de vie à ces végétaux?
Voilà un aperçu des présentations auxquelles Unpointcinq a assisté du 8 au 12 mai dernier, au 90e Congrès de l’Acfas, tenu à l’Université de Montréal, à HEC Montréal et à Polytechnique Montréal. Pendant cinq jours, l’auteur de ces lignes a couru (parfois littéralement) d’un colloque à l’autre pour y entendre des scientifiques de tous les horizons réfléchir aux mesures à prendre pour lutter contre les changements climatiques et s’y adapter. Nous avions l’embarras du choix, remarquez : le climat était omniprésent dans le programme de ce rendez-vous qui a lieu chaque année depuis 1933.
« Cela traduit que nous sommes face à l’enjeu du 21e siècle par excellence », pense Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais, croisé lors d’un colloque multisectoriel sur les parcs urbains et la biodiversité. Selon le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique – et bassiste des Cowboys Fringants –, c’est parce que la société s’en préoccupe plus que jamais que ce thème s’impose. « J’évolue dans le domaine universitaire depuis une quinzaine d’années et je constate que cette question prend de plus en plus de place. »
Une impression que confirme Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas. « Ce n’est pas pour rien que les universités hôtes ont placé l’événement sous le thème “100 ans de savoirs pour un monde durable”. Il y a une réelle volonté de trouver des solutions à des enjeux complexes, comme les changements climatiques », fait-elle valoir. Avec près de 10 000 congressistes provenant d’une soixantaine de pays, ce congrès représente le plus grand de tous les congrès tenus par l’organisation, qui souffle d’ailleurs ses 100 bougies cette année.
Cette rencontre des chercheurs et chercheuses avec des parties prenantes est une façon assez récente de faire de la recherche. Pendant que les premiers avancent des hypothèses, les secondes sont en mode solutions, avec les deux pieds dans la réalité.
Recherches participatives
N’allez toutefois pas croire que l’organisation avait convié aux célébrations seulement des scientifiques et quelques journalistes un peu nerds (coucou!). Nous avons assisté à des communications faites par du « vrai » monde, comme des représentants et représentantes de la société civile, des fonctionnaires de municipalités et des propriétaires d’entreprises variées. Lors d’un colloque sur la santé des érablières et la durabilité des activités acéricoles, il y avait même dans la salle autant, sinon plus, de personnes travaillant dans l’industrie des produits de l’érable que de chercheurs et chercheuses!
Manifestement, la recherche partenariale, la recherche collaborative, la recherche en coconstruction, voire en coproduction, ne sont pas que des concepts à la mode. Il s’agit de donner une plus grande place aux gens sur le terrain et à leurs savoirs dans le but de construire une meilleure connaissance. « Cette volonté d’impliquer le public dans la recherche s’explique entre autres par le fait que c’est lui qui la finance en bonne partie, analyse Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, attrapé à la sortie d’un colloque sur la transition juste. Cela a pour effet de susciter l’engagement du citoyen. »
De quoi reléguer pour de bon aux oubliettes l’image d’Épinal du scientifique enfermé dans sa tour d’ivoire. « Cette rencontre des chercheurs et chercheuses avec des parties prenantes est une façon assez récente de faire de la recherche. Pendant que les premiers avancent des hypothèses, les secondes sont en mode solutions, avec les deux pieds dans la réalité », se réjouit Sophie Montreuil. Un dialogue entre deux mondes qui lui donne espoir quant à l’avenir du bien commun. « On peut y voir un signe de bonne santé de la recherche! »
Les recherches participatives demandent cependant de l’humilité de la part des scientifiques. Devant cette complexité tous azimuts, certains et certaines vont même jusqu’à parler de science post-normale. « La science est importante dans la prise de décision, mais la prise de décision ne se résume pas à la science. Autrement dit, elle est une des vérités qu’il faut prendre en compte, et non LA vérité », résume Jérôme Dupras. Comme quoi la notion d’acceptabilité sociale a droit de cité dès lors qu’on s’aventure en dehors des murs des universités.
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Un congrès hybride
La question climatique s’est frayée un chemin non seulement dans le contenu du 90e Congrès de l’Acfas, mais aussi dans son contenant. En plus des engagements écoresponsables pris par les établissements hôtes, ce congrès a été le premier de l’Acfas à être offert en formule hybride. Des scientifiques d’un peu partout ont donc pu se joindre aux différents colloques – et parfois y prendre la parole – par l’entremise de visioconférences. Un legs notable de la COVID-19, puisqu’il est fort probable que cette option soit préférable d’un point de vue climatique pour les scientifiques venant de loin.
Sophie Montreuil confirme d’ores et déjà le retour de cette option pour le 91e Congrès de l’Acfas, qui aura lieu à l’Université d’Ottawa en 2024. « Les personnes qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas se rendre sur place ont quand même eu accès à l’ensemble des 334 colloques du Congrès. C’est le meilleur des deux mondes! » s’enthousiasme-t-elle. Même les congressistes en présentiel en ont bénéficié. En effet, Zoom nous a évité quelques sprints endiablés entre des bâtiments éloignés les uns des autres, et ce, à bien plus d’une reprise durant la semaine.