La Terre se réchauffe et la cause principale en est l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les humains. La question qui se pose aujourd’hui est : jusqu’à quel point pouvons-nous encore en émettre pour que le réchauffement reste en deçà d’une certaine limite?
Utilisons une analogie : supposons que l’atmosphère terrestre est une baignoire qui se remplit par le robinet et se vide par le drain. L’eau qui coule du robinet représente les émissions de GES. Simplifions en n’utilisant que le dioxyde de carbone (CO2) pour représenter l’ensemble des GES. Si le débit du robinet est plus important que celui du drain, le niveau d’eau monte dans la baignoire et elle risque de déborder. Ce débordement, c’est notre limite : s’il y a trop de CO2 dans l’atmosphère, celle-ci se réchauffera au-delà d’une valeur sécuritaire.
Une partie du CO2 émis par les activités humaines est séquestrée naturellement par les océans et la végétation. On les appelle des « puits de carbone », et ils correspondent au drain. Actuellement, la quantité de CO2 émis dépasse celle absorbée par les puits de carbone. Résultat, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, ce qui entraîne un déséquilibre énergétique de la Terre.
Pour que l’équilibre énergétique de la planète se rétablisse, il faudrait que la concentration de CO2 dans l’atmosphère soit de 350 ppm, ce qui était sa valeur en 1980 (le ppm représente une molécule de CO2 par million de molécules d’air). Or, la concentration moyenne de CO2 en 2020 a été de 416 ppm et continue d’augmenter chaque année. C’est une augmentation de 48 % par rapport à l’époque préindustrielle, époque où la concentration de CO2 n’était que de 280 ppm.
Si les émissions de CO2 cessaient complètement en 2050, comme le recommande le GIEC, la concentration dans l’atmosphère ne reviendrait à une valeur de 350 ppm qu’après plusieurs centaines d’années. Cela est dû au fait que le CO2 demeure longtemps dans l’atmosphère avant d’être absorbé. De son côté la chaleur accumulée prend beaucoup de temps à se diffuser dans l’énorme masse des océans. Ces phénomènes feront en sorte que la température continuera d’augmenter pendant un certain temps, même après que les émissions de CO2 auront cessé. Il est donc essentiel d’en tenir compte dans le calcul des émissions futures.
Stopper le réchauffement planétaire impose ainsi de limiter la concentration de CO2 accumulé dans l’atmosphère. Le « budget carbone restant » est défini comme la quantité restante de CO2 que l’humanité peut encore émettre sans dépasser une certaine élévation de la température terrestre. Prenons ici une augmentation maximale de 1,5 °C, comme le recommande le GIEC.
Selon les estimations de ce groupe de scientifiques, à la fin de l’année 2017, le cumul des émissions anthropiques (produites par l’humain) de CO2 depuis l’époque préindustrielle a été de 2200 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2). De plus, le budget carbone restant est réduit par les émissions de chaque nouvelle année; en 2018, elles se chiffraient à 42 GtCO2. Ainsi, le budget carbone restant était estimé en 2017 à 580 GtCO2, si l’on accepte la probabilité d’avoir une chance sur deux de parvenir à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C et à 420 GtCO2, si l’on préfère avoir deux chances sur trois d’y parvenir.
Plusieurs trajectoires sont possibles pour l’avenir, car de nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Néanmoins, la différence entre les trajectoires extrêmes n’est pas si grande si on considère le nombre d’années pendant lesquelles il est possible de ne pas agir. Si la cible d’augmentation de la température était fixée à 2 °C, alors le budget carbone serait plus élevé, mais les conséquences néfastes pour l’humanité le seraient aussi.
À quel rythme faut-il réduire nos émissions de GES pour demeurer dans des limites climatiques sécuritaires? Les trajectoires modélisées par le GIEC montrent que, pour contenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C, les émissions anthropiques mondiales nettes de CO2 devraient avoir diminué d’environ 45 % d’ici 2030, par rapport à 2010, et être nulles vers 2050. C’est la seule façon d’éviter le débordement de notre baignoire.
* Bruno Detuncq est un professeur à la retraite de Polytechnique Montréal, spécialiste en combustion et membre du groupe Des Universitaires.