Depuis l’été dernier, Drummondville collecte les matières organiques des industries, commerces et institutions – ou ICI, de leur p’tit nom. Une initiative qui a permis de rallier plusieurs employés autour d’un objectif commun : réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Juin 2013. Le gouvernement québécois refuse en partie une demande d’agrandissement déposée trois ans plus tôt par Waste Management, une entreprise exploitant un site d’enfouissement à Drummondville. Le principe : l’enfouissement des matières organiques produit du méthane, un gaz au pouvoir de réchauffement 25 fois supérieur à celui du CO2, alors que la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles vise justement à réduire ces émissions.
Pour le maire et le conseil municipal, le message est clair : c’est le temps de repenser les modes d’élimination des déchets de la Ville. Début 2016, une commission consultative dépose son rapport sur l’élimination des déchets « ultimes », soit ceux qui ne peuvent être réutilisés, recyclés ou compostés. Sa principale recommandation est simple : le seul déchet qui devrait être éliminé est celui qu’on ne peut pas valoriser.
Autrement dit, trognons de pommes et carcasses de poulet n’ont pas leur place dans les poubelles des chaumières, pas plus que dans celles des restaurants, des usines ou des hôpitaux. Mais à l’inverse des résidences drummondvilloises, munies de bacs bruns depuis 2011, les industries, commerces et institutions (ICI) n’avaient pas droit aux leurs.
« À partir de là, on a travaillé sur un plan pour optimiser la gestion des matières résiduelles. D’une part, on a décidé de s’attaquer à l’organique et, ensuite, d’intervenir auprès des industries, des commerces et des institutions », explique Roger Leblanc, directeur du Service du développement durable et de l’environnement de la Ville de Drummondville.
Composter au lieu d’enfouir
Dès mai 2016, un projet pilote pour la collecte des matières organiques a donc été mis en place dans 11 ICI faisant partie de la trentaine de « grands générateurs de matières organiques » ciblés par la Ville.
Le centre commercial des Promenades Drummondville est l’un de ceux qui ont accepté de jouer les cobayes. Et pas qu’à moitié : du jour au lendemain, toutes les poubelles et les bacs de recyclage de la zone de restauration ont été retirés! Les clients ont plutôt été invités à déposer leur plateau sur un chariot, tandis qu’un employé s’occupe d’en trier le contenu dans une pièce aménagée à cet effet, précise la directrice générale, Céline Burdet.
Mais voilà, des clients se sont plaints de la disparition des poubelles. Au cours des premières semaines, les employés ont dû redoubler d’efforts, le temps de trouver de nouvelles façons de faire. Une nouvelle personne responsable du tri des déchets de la zone de restauration a finalement été embauchée à raison de 70 heures par mois.
L’adaptation a nécessité des investissements considérables en argent et en temps pour les Promenades Drummondville, dont les matières compostables représentent « seulement » 5 % de l’ensemble des déchets produits (65 % pour le recyclage), ajoute Céline Burdet. Mais elle est loin de regretter sa décision. « Au final, ça coûte plus cher, mais ça vaut la peine, soutient-elle. C’est comme de changer une recette de grand-mère pour la mettre au goût de Ricardo : ça coûte plus cher, mais c’est meilleur pour la santé. »
Un succès bœuf
La direction de l’hôpital Sainte-Croix, un autre cobaye volontaire, a aussi vu le projet pilote de la Ville comme une occasion de réduire davantage les déchets du secteur du service alimentaire. En effet, quelque 825 repas sont servis chaque jour à l’hôpital. Désormais, les employés recueillent les matières compostables lors de la préparation des repas. Une station de tri avec trois poubelles a aussi été aménagée dans la cafétéria afin d’aider les clients à mieux disposer de leurs restes de table.
Au départ, l’hôpital a reçu 18 bacs bruns résidentiels avec l’objectif d’en remplir neuf à la fois par semaine. Mais la direction a vite réalisé qu’elle avait sous-estimé son potentiel de récupération des matières organiques. Aujourd’hui, c’est un conteneur de trois mètres cubes qui trône dans le stationnement de l’hôpital!
Matières organiques : enfouissement ou compostage?
- Enfouissement : lorsque les matières organiques se décomposent sans oxygène, elles émettent du méthane, un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement de la planète est 25 fois supérieur à celui du CO2.
- Compostage : les matières organiques se décomposent avec de l’oxygène et n’émettent pas de méthane, mais du CO2, ce qui permet de réduire substantiellement les émissions de GES.
Source : Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
« On a procédé par essais et erreurs », admet François Jacques, conseiller-cadre en développement durable pour le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. La gestion du bac brun a représenté plusieurs défis logistiques, poursuit-il, comme les odeurs nauséabondes et la prolifération d’insectes, dont les asticots. Sans compter le temps « perdu » par les employés pour transporter les matières organiques du secteur alimentaire, situé au 2e étage, jusqu’au conteneur extérieur.
Le secret est dans la sauce
Pour surmonter les défis, l’établissement a misé… sur ses employés! Ceux qui étaient déjà convaincus des bienfaits du compostage ont été invités à jouer un rôle de leader à l’interne afin de rallier l’ensemble de leurs collègues. Les résultats se sont fait sentir – sans mauvais jeu de mots! – dès la première semaine, affirme François Jacques. En un an, 30 tonnes de matières organiques, soit l’équivalent de 416 bacs bruns résidentiels, ont été détournées du site d’enfouissement, ce qui équivaut à deux allers-retours en avion Montréal-Sydney en termes d’économies de GES. Selon lui, ce chiffre pourrait augmenter si les clients de la cafétéria effectuaient mieux le tri de leurs déchets à la station, entre autres.
Aux Promenades Drummondville, les résultats ont aussi pesé dans la balance dès la première semaine : l’établissement effectue une levée de déchets de moins par semaine par rapport à la période qui a précédé l’adhésion au projet pilote, soit environ 1,5 tonne par mois. En prime, la collecte d’environ 18 tonnes de matières compostables a permis d’éviter l’émission de plus de quatre tonnes d’équivalent CO2, ce qui correspond à quatre allers-retours en avion Montréal-Vancouver.
« La clé du succès, c’est d’y croire », avance Céline Burdet. « Moi, ça fait partie de mes valeurs. Ça m’a permis de convaincre les autres que l’on devait tous travailler fort et ensemble pour y arriver. Aujourd’hui, c’est devenu une façon d’être. »
En juin 2018, vu le succès du projet pilote, la Ville a rendu obligatoire la collecte des matières organiques pour la trentaine de grands ICI générateurs de GES. Le mois suivant, une desserte a été offerte sur une base volontaire pour l’ensemble des autres ICI du territoire. « La municipalisation de ce service aux grands générateurs est une première au Québec. D’autres municipalités offrent la collecte, mais sur une base volontaire », clame Roger Leblanc.
Drummondville souhaite que la collecte des matières organiques soit étendue à l’ensemble des ICI de son territoire d’ici 2022, comme le préconisent les orientations gouvernementales. Car ici, on composte!