Arabica, java, robusta, moka, et cetera. Avant de venir nous titiller les narines, ces variétés de café ont parcouru des milliers de kilomètres, nécessité des milliers de litres d’eau et pas mal de pesticides. Existe-t-il des solutions de rechange aussi stimulantes, mais plus douces pour le climat ? On a mené l’enquête.
À Vancouver, le copropriétaire du Laughing Bean Coffee a réussi l’exploit de produire un café 100 % canayen — et d’en savourer quelques tasses — à partir d’un plant de caféiers installé comme élément de décor dans son établissement. Mais cette histoire, racontée par Radio-Canada, est l’exception qui confirme la règle : il fait beaucoup trop frette au pays pour produire un café local.
« Si quelqu’un entend faire pousser des caféiers au Québec, il n’y parviendra pas, car les températures ne sont pas assez élevées », résume, catégorique, Patrice Bouffard. Selon l’enseignant en production fruitière à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ), cela impliquerait des techniques de protection hivernale encore plus élaborées que celles qu’on utilise actuellement sur les vignes… ou de développer des plants plus résistants au froid. Mais le professeur n’y croit pas.
Selon lui, l’inverse est plus vraisemblable. Dans un contexte de changements climatiques, les exploitantes et exploitants essayeront avant tout d’assurer la résilience de leurs cultures avec des variétés plus résistantes à la chaleur. Car l’augmentation de la température moyenne et les épisodes de sécheresse de plus en plus importants ont des conséquences sur le niveau de production de café à l’échelle mondiale. Et donc sur les prix.
La preuve ? Au début du mois d’octobre, le prix de l’arabica a atteint du jamais vu depuis 13 ans. Une explosion des coûts moins délectable que celle des saveurs. Cette hausse fulgurante est entre autres attribuée aux phénomènes météorologiques extrêmes qui ont touché le Vietnam (typhons) et le Brésil (sécheresses et feux de forêt), deux des plus importants pays producteurs.
Mais si la production de café subit les effets des changements climatiques, elle y contribue également. Dans certaines régions, la production de café accélère la déforestation, la dégradation des sols et la disparition de la biodiversité. C’est aussi l’un des aliments dont l’empreinte eau est la plus élevée : 15 897 litres d’eau sont nécessaires à la fabrication d’un kilo de café selon le Water Footprint Network. C’est plus que la viande bovine (…mais moins que le carré de chocolat qui accompagne souvent votre tasse, sic.).
Décarboner le petit déjeuner ?
Quelles sont les conséquences de notre boisson matinale sur la planète ? En absolu, elle ne constitue pas une grosse part de notre alimentation, donc l’empreinte carbone d’une tasse reste limitée, explique Elliot Muller, analyste en cycle de vie au CIRAIG. « Par contre, quand on compte le café en kilos, forcément, ça a un impact », concède-t-il.
D’abord, la déforestation et le type de culture — intensive ou extensive — peuvent influer sur l’empreinte écologique de notre réveil-matin. L’étape de production du café représente entre 50 et 80 % de son empreinte carbone totale, d’après le CIRAIG. Cela est surtout dû à l’engrais employé, qui émet du protoxyde d’azote. Cette substance aussi connue sous le nom de gaz hilarant n’a pas de quoi faire rire : c’est un puissant gaz à effet de serre.
La torréfaction peut également peser dans l’empreinte carbone du café, selon la source d’énergie utilisée (hydroélectricité, biomasse, gaz naturel, ou autre énergie fossile par exemple). « Tous ces critères sont vraiment importants et ça donne une grande variabilité à l’impact du café », dit-il. Mais, contrairement à celle d’autres denrées, l’empreinte carbone du transport du café demeure limitée, car c’est par bateau ou par camion que le produit est généralement amené jusqu’ici, précise Elliot Muller.
Et à notre échelle ?
À la maison, la source principale de pollution reste liée au gaspillage alimentaire. « Si on se débarrasse du contenu de la cafetière parce qu’il est froid au lieu de le réchauffer, ou si on utilise beaucoup plus de grains que ce dont on a besoin, ça va avoir beaucoup d’impact, illustre le chercheur. C’est du café qui aura été cultivé et transporté jusqu’à nous, mais qu’on a fini par jeter. »
Les adeptes de latte et autres boissons sur lesquelles dessiner un cœur en mousse doivent également porter attention à ce qu’ils ajoutent à leur base d’espresso. Selon le type de breuvage, l’empreinte carbone d’une tasse peut varier entre 50 et 250 grammes de CO2 d’après une revue de littérature faite en 2017 par l’Université du Michigan. Un caféinophile canadien consomme en moyenne 2,8 tasses par jour. En format latte, notre café aurait une empreinte carbone équivalente à celle d’une tasse d’essence brûlée quotidiennement. Du lait de vache aura une empreinte carbone plus grande qu’une boisson à base d’avoine, de soja ou d’amandes, par exemple, souligne. Elliot Muller.
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Si on prépare son café avec des appareils chauffés au gaz naturel plutôt qu’à l’électricité, cela peut également augmenter son empreinte écologique. « Mais c’est quand même rare au Québec », précise le chercheur. Finalement, les matériaux utilisés pour concevoir l’emballage du produit peuvent aussi entrer en ligne de compte.
Aux grands maux les grands remèdes… de grand-mère !
Bon, mais par quoi remplacer le café dans notre rituel matinal pour réduire un peu notre empreinte carbone ? Sur le web, on retrouve toutes sortes de variantes, allant du café de céréales à celui de pissenlits, de la chicorée au café de légumineuses comme le lupin ou les pois chiches. La rédaction les a d’ailleurs testés pour vous (avis honnêtes garantis) dans ce court vidéo.
Mais quoi qu’il en soit, ces ingrédients étant tous sans caféine, on devra plutôt se tourner vers les thés noir et oolong si on cherche un petit boost. Ce sont ces variétés qui contiennent le plus de théine, une molécule qui procure également un effet stimulant. Et bonne nouvelle pour le climat, selon l’Agence de la transition écologique (ADEME), en France, un kilogramme de thé noir ou de thé oolong émet 0,04 kg de CO2 eq, contre 9,99 pour le café moulu. Quant aux boissons à base de chicorée, par exemple, leur impact varie entre 0,12 et 5,43.
Ces substituts n’ont pas été inventés hier, explique Tristan Landry, professeur titulaire au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. Auteur du livre Du beurre ou des canons, qui se penche sur l’alimentation en Allemagne au début du XXe siècle, il a étudié les boissons telles que la chicorée, le café de lupin ou d’orge maltée. Et ce qu’il a constaté, c’est que durant l’Antiquité, de grandes civilisations à Babylone ou en Égypte consommaient déjà des breuvages faits à partir d’orge grillée.
« Avant le blocus continental appliqué par Napoléon 1er au début du XIXe siècle, on menait des recherches pour remplacer le café par autre chose », précise-t-il. À cette époque, les gens voulaient davantage trouver un palliatif à cette denrée rare plutôt que de se soucier du sort des forêts équatoriales.
Durant la Première Guerre mondiale, la chicorée, alors appelée « café de campagne », et le café à base de glands de chêne étaient d’ailleurs communs en Europe. « Mais les glands de chêne sont très amers, donc ça a plus ou moins bien pogné », précise le professeur.
Un peu tombées dans l’oubli aujourd’hui, ces boissons étaient pourtant restées très en vogue un certain temps après la Deuxième Guerre mondiale, notamment en Allemagne de l’Est. « On y vendait aussi un café mixte, qui mélange du vrai café avec du café de céréales », raconte Tristan Landry.
Selon lui, le café est plus populaire que toutes ces boissons avant tout parce qu’il est… caféiné ! « Ce qu’on veut, c’est le buzz, l’énergie pour passer à travers la matinée, dit-il. Et les goûts sont plus raffinés dans le café. Mais quand les gens recherchent une alternative, ils se tournent vers ces vieilles recettes pour retrouver le confort procuré par une boisson chaude. »
Qui sait, on lira peut-être un jour l’avenir dans du marc de chicorée.