À l’inverse du film Blade Runner 2049 qui propose une image dystopique de l’avenir, une professeure de l’Université de Montréal annonce un futur radieux aux petites et grandes villes qui apprendront à s’adapter aux changements climatiques. De quoi inspirer nos élus!
« Si j’étais maire, cela ferait partie de mon programme politique », annonce d’entrée de jeu Isabelle Thomas, codirectrice de l’ouvrage La ville résiliente — Comment la construire?, qui vient de paraître aux éditions des Presses de l’Université de Montréal, juste à temps pour les élections municipales québécoises.
Selon l’Organisation des Nations Unies, les villes sont responsables de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais les grandes agglomérations urbaines font aussi partie de la solution, selon la professeure du département d’urbanisme et d’architecture.
Depuis 2016, Montréal a rejoint une confrérie internationale de 100 villes résilientes soutenues par la Fondation Rockefeller, un groupe philanthropique basé à New York. Unpointcinq s’est entretenu avec Isabelle Thomas pour mieux comprendre comment cette tendance mondiale est en train de gagner le Québec.
La ville résiliente en cinq questions
Unpointcinq (UPC) : On entend souvent parler de personnes résilientes face aux épreuves de la vie, mais qu’est-ce qu’une ville résiliente?
Isabelle Thomas (IT) : Ce n’est pas forcément une ville qui a déjà connu des chocs. C’est une ville qui connaît ses stress et ses enjeux, et donc ses risques. Un stress, c’est par exemple une population âgée concentrée dans un quartier avec beaucoup d’îlots de chaleur. Et les risques sont divers : inondations, tremblements de terre, etc. À partir du moment où la ville connaît sa vulnérabilité, elle peut anticiper et se préparer à un éventuel choc. Le niveau de résilience peut évoluer selon les choix d’adaptation que l’on fait. Si on a une maladie et qu’on prend les remèdes adéquats pour se renforcer, à coup sûr on devient plus résilient.
» Lieux majeurs de toutes les accumulations — matérielles, sociales et économiques —, les villes sont au cœur du problème climatique autant que de sa solution.
UPC : Quels sont les risques climatiques qui planent au-dessus des villes du Québec?
(IT) : Nos enjeux concernent toutes les saisons. Nous aurons des précipitations plus irrégulières, et qui pourront être plus sévères, ce qui entraînera du ruissellement. Et comme malheureusement beaucoup de villes du Québec se sont étalées et n’ont pas protégé leurs marais, ce ruissellement pourra créer des inondations.
Un autre risque : les problèmes de sécheresse et d’îlots de chaleur. Comme on a beaucoup imperméabilisé nos villes, il reste du travail à faire pour développer des infrastructures vertes. La population vieillissante aime s’installer sur le bord des rivières et des lacs, ce qui entraîne des enjeux lors des inondations, comme on l’a vu en mai dernier.
Il y a aussi les inondations causées par les embâcles liées aux changements climatiques, mais aussi au fait que nous avons beaucoup transformé le cours de nos rivières, qui ont été conçues de façon plus étroite ; ce qui accentue le frasil (NDLR : petits grains de glace présents dans l’eau) et crée des inondations dans un laps de temps très court et dans un climat très froid.
» L’implication citoyenne est essentielle dans la construction de la résilience.
UPC : Quelles municipalités sont déjà passées à l’action pour s’adapter?
(IT) : Trois-Rivières, en Mauricie : avec son plan d’adaptation, la ville a fait tout un travail pour diagnostiquer sa vulnérabilité et mettre en place des infrastructures vertes pour non seulement contrer les problèmes de ruissellements, mais aussi pour améliorer le niveau de vie. C’est important de financer le maintien de ces nouvelles infrastructures.
Saint-Raymond, près de Québec : ses citoyens sont régulièrement touchés par des inondations dues aux embâcles. Je trouve qu’ils sont exemplaires, car une coopération s’est mise en place entre les citoyens, l’organisme de bassin versant, la mairie, le ministère de la Sécurité publique, et même avec nous, chercheurs, pour trouver des solutions innovantes. L’implication citoyenne est essentielle dans la construction de la résilience.
UPC : Concrètement, quels gestes doivent poser les élus pour rendre leur ville résiliente?
(IT) : La co-construction : la première chose à faire, c’est de recréer cette dynamique de coopération qui s’est installée à Saint-Raymond, et aussi à Coaticook. Selon la taille de sa ville, il faut savoir travailler avec les citoyens et avec les acteurs locaux, comme le font les agriculteurs. Il faut être inclusif dans notre gouvernance.
Les co-bénéfices : ensuite, il faut voir ce qui a été fait avant et voir comment on peut renforcer les gestes qui vont apporter plus de résilience en fonction des risques propres à notre ville. Il faut utiliser ces risques comme une occasion pour améliorer la vie de nos résidents.
UPC : Et quelle est la PIRE chose à faire?
(IT) : Continuer à remblayer les marais, construire en zones inondables sans réflexion, multiplier les routes plutôt que de densifier les villes, développer des projets qui entraînent la gentrification, éviter la transparence des données et des cartes… et ne pas intégrer la vision citoyenne.