La paix retrouvée des monts Groulx-Uapishka

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Sommet du mont Harfang, par Étienne Lampron
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15 avril 2025 - Maxime Bilodeau, journaliste de l'Initiative de journalisme local

Un conflit d’usage dans une aire protégée de l’arrière-pays nord-côtier pave la voie à une approche innovante de gestion participative. Le mot circule : inspirez-vous de ce qui se passe près de l’œil du Québec. On vous explique pourquoi.

En innu-aimun, les monts Groulx portent le nom Uapishka, en référence à cette portion du territoire ancestral des Innus, le Nitassinan, parsemée de « montagnes blanches ». Le massif de 5000 km2 sis à environ 300 km au nord de Baie-Comeau forme en effet un îlot arctique en zone boréale. La neige recouvre ses hauts sommets tapissés de toundra alpine neuf mois par année.

Pour les adeptes de ski hors-piste, il s’agit d’un terrain de jeu formidable, surtout à partir du mois de mars, alors que le temps se fait plus clément. Imaginez : chausser de longues spatules, puis partir à l’assaut des monts Harfang (876 m) et Provencher (1087 m) qui surplombent « l’œil du Québec », soit le lac du cratère Manicouagan et l’île René-Levasseur… C’est le pied.

Environs du lac Joyel et aperçu du mont Veyrier au loin, Photo de courtoisie, Les Productions Bokeh

Des visions difficilement conciliables

Pendant longtemps, cette immersion en nature pouvait se voir interrompre par le vrombissement soudain du moteur de motoneiges dont les pilotes voulaient également profiter de ce paradis de la poudreuse. Ce conflit d’usages récréotouristiques a souvent défrayé la chronique dans la dernière décennie, non seulement en raison de sa fréquence, mais aussi parce qu’une bonne partie (1311 km2) du territoire concerné est désignée comme réserve de biodiversité.

« Pour les adeptes de la motoneige, tout règlement pour encadrer cette activité était de trop. Et vice-versa : pour les soutiens des activités non motorisées, chaque motoneige sur le massif était une motoneige de trop », raconte Jean-Philippe Messier, directeur général de la Région de biosphère Manicouagan-Uapishka (RBMU). Cette dernière englobe les monts Groulx-Uapishka depuis sa désignation par l’UNESCO en 2007 (voir encadré).

Aujourd’hui, cet affrontement est néanmoins entré dans une phase de dormance. Non, les belligérants ne font pas copains-copains — même à ce jour, un désaccord profond les sépare. Des compromis ont en revanche été trouvés à force de pourparlers. « Le simple fait qu’ils se parlent encore, en 2025, constitue une victoire en soi », pense l’intervenant.

Une désignation issue d’alliances improbables

Contrairement à la réserve de biodiversité Uapishka, qui est une aire protégée légalement par le gouvernement du Québec, la Région de biosphère Manicouagan-Uapishka est une désignation internationale de l’UNESCO.

L’entité onusienne a procédé à celle-ci à la suite de plusieurs années de démarches de la part d’une coalition hétéroclite d’acteurs, lit-on sur le site du RBMU. En effet, dans ce groupe fédéré par une vision commune de « région modèle du développement durable », on trouve aussi bien le Conseil des Innus de Pessamit, la Ville de Baie-Comeau et Hydro-Québec que la compagnie industrielle Kruger.

Encore aujourd’hui, n’importe qui — citoyenne, citoyen ou partenaire — peut adhérer à ce projet à titre de membre.

Un petit miracle

On doit ce petit miracle au Comité de gestion de la réserve de biodiversité Uapishka. Créée en 2009, cette entité relevant du gouvernement du Québec regroupe l’ensemble des acteurs gravitant autour de cette aire protégée. Cela leur permet d’avoir leur mot à dire dans la gestion, le développement et, surtout, la conservation du territoire. C’est la RBMU qui anime ce comité participatif depuis 2013.

Parmi ses membres, on trouve la Société des amis des monts Groulx, qui représente les pleinairistes, ainsi que l’Association des motoneigistes du Nord, qui porte la voix des adeptes de motoneige hors-piste. Mais, ce n’est pas tout; le Conseil des Innus de Pessamit, la MRC de Manicouagan, Tourisme Côte-Nord, le Cégep de Baie-Comeau et Environnement Côte-Nord figurent aussi, entre autres, dans le comité.

« Il y a toujours eu un effort d’inclure toutes les parties prenantes, mais en pondérant la représentation respective de tous les groupes d’intérêts, explique Jean-Philippe Messier. Le but est de ne pas avoir trop de monde autour de la table, de manière à pouvoir mener à bien les discussions. » Tous les membres sont en outre tenus de signer un protocole de consultations pour, justement, régir celles-ci.

Le comité a accouché, au fil des années, de plusieurs mesures pour apaiser la guerre des monts Groulx-Uapishka. La plus récente a été l’adoption, en 2023, de la dernière version d’un protocole d’encadrement de la pratique de la motoneige sur les sommets de plus de 800 mètres de la réserve de biodiversité Uapishka. D’une durée de deux ans, il vient à terme cette année.

Les motoneigistes peuvent ainsi accéder à 14 % du territoire, et dans les zones où ils sont autorisés, un quota de 18 motoneiges par jour est fixé. « On parle quand même d’une superficie équivalente à deux fois et demie celle de l’île de Montréal », illustre Jean-Philippe Messier. Ce n’est pas tout : un guide professionnel dûment formé, et suivi à distance par GPS, a le mandat de les y accompagner en tout temps.

Et si elles et ils devaient s’écarter du droit chemin lors de leur excursion, gare à eux! Des agents territoriaux de la communauté innue de Pessamit veillent depuis 2019 au respect de la réglementation en vertu d’une entente avec le gouvernement du Québec. Une manière de compenser la pénurie d’agents de protection de la faune tout en reconnaissant l’expertise autochtone. « À ma connaissance, c’est une initiative unique au Québec », souligne-t-il.

L’ensemble de ces actions a freiné net la fréquentation motorisée des monts Groulx-Uapishka, qui connaissait pourtant une croissance exponentielle. Alors qu’on estimait l’achalandage à 2000 jours/motoneigistes au total par année en 2016, il se chiffre désormais à environ 655. « En fin de compte, tous les usagers du territoire bénéficient désormais d’une expérience bonifiée », constate-t-il.

Installation d’une station météorologique dans une tourbière près du lac Huard. Photo de David Béland

Amener le tourisme ailleurs

Cette approche de gestion participative était l’un des sujets à l’honneur lors d’un événement public tenu au Manoir Montmorency de Québec le 19 mars 2025. Organisé par la RBMU, il a réuni des représentants des milieux touristique, environnemental et politique des quatre coins de la province pour une journée de conférences sur des thématiques diverses, dont plusieurs ayant trait à la réserve de biodiversité Uapishka.

L'évènement Uapishka et au-delà : Perspectives de tourisme responsable et durable a réuni des représentants des milieux touristique, environnemental et politique des quatre coins de la province pour une journée de conférences sur des thématiques diverses, dont plusieurs ayant trait à la réserve de biodiversité Uapishka. Photo de Simon Clark

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C’était en outre l’occasion de mettre un point final au projet Vitrine en tourisme responsable et durable en contexte nordique, qui a mobilisé la RBMU dans les trois dernières années. Le but : favoriser la diffusion des meilleures pratiques en la matière ainsi que des connaissances générées et des apprentissages faits dans la réserve de biodiversité Uapishka, le « territoire de démonstration ».

« Les principes fondateurs de notre démarche peuvent s’incarner ailleurs dans d’autres contextes similaires au nôtre », croit Jean-Philippe Messier. De fait, parmi les 70 personnes présentes ce jour-là, on en trouvait qui provenaient notamment de la Municipalité de L’Île-d’Anticosti, de la Région de biosphère de Charlevoix et de la Sépaq. Le mot circule : inspirez-vous de ce qui se passe près de l’œil du Québec.