
Son plan était simple : filer une tranquille préretraite au bord de l’eau. Mais Irlande et ses 900 habitants lui réservaient un autre sort. Propulsé à la tête d’une mobilisation citoyenne, Réjean Vézina « en a fait plus pour l’environnement en dix ans que le ministère », pour reprendre les propos d’un ingénieur en hydrologie qui l’a côtoyé.
Réjean Vézina m’a donné rendez-vous sur le terrain de son ancienne maison, en plein cœur des Appalaches. Le ciel est bas quand j’arrive sur sa propriété, au bord du lac à la Truite. Autour de nous, le paysage est rythmé par les haldes, ces buttes de résidus qui découlent de l’extraction d’amiante. Je les apercevais au loin, comme de petites bosses sur la ligne d’horizon, en empruntant la route 165 pour m’en venir ici.
L’homme que je rencontre s’est installé à Irlande à la préretraite, après avoir tâté plusieurs métiers : arpenteur topographe militaire, planificateur financier, puis préparateur d’impôts. Une feuille de route à des lunes de celle d’un militant pour la cause environnementale.
Pourtant, peu de temps après son arrivée, en septembre 2010, Réjean réalise que le plan d’eau qui borde sa propriété n’est pas propre à la baignade. Le barrage, construit par la société minière Lake Asbestos, deux kilomètres en amont du lac, tombe en ruine. Et l’étang Stater, ce bassin créé à même la rivière Bécancour dans les années 1950, ne retient plus comme il se doit les sédiments pour les empêcher de se déverser dans le lac. « Un voisin m’avait informé de plaintes déposées dans le passé au ministère de l’Environnement à ce sujet, mais la MRC et la Municipalité se renvoyaient la balle », explique-t-il. Faute de résultats, Réjean décide alors de prendre les choses en main. Il se retrouve alors à la tête d’une mobilisation qui prendra de l’ampleur et mènera à la réfection du barrage de l’étang Stater.

Un code militaire à la rescousse
S’il n’a jamais milité pour une cause environnementale auparavant, Réjean peut compter sur quelques réflexes professionnels. À commencer par ceux qu’il a développés dans l’armée canadienne dans les années 1970. « Pendant mon cours de caporal-chef, on m’avait appris, avant d’aller en mission, à faire la SMEAC. Un acronyme pour : situation, mission, équipement, administration et codes », détaille-t-il fièrement.
Pour lui, la situation et la mission étaient claires : le lac à la Truite est en train de disparaître et il faut trouver une façon d’arrêter la tendance. Avec d’autres personnes riveraines, il crée alors l’APLTI, l’Association de protection du lac à la Truite d’Irlande, un OBNL fondé en 2015. « Pour “l’équipement”, je me suis dit que ça prenait des études pour documenter le tout ». Parmi les ingénieurs qui ont réalisé des études sur le barrage, on trouve Miroslav Chum, qui affirme sans détour : « Réjean est un homme qui a fait plus pour l’environnement en dix ans que le ministère de l’Environnement ».
Pour l’aspect administratif, il rallie différents organismes. Avec le Groupe de concertation des bassins versants de la zone Bécancour (GROBEC) et trois autres associations riveraines, ils rédigent un mémoire qui mènera à une importante étude hydrosédimentologique de l’étang Stater. Les différentes actions conduiront éventuellement à la tenue d’un BAPE, puis à un plan d’action de la part du ministère de l’Environnement pour revaloriser les résidus miniers.
Et le code? « Boaf! Alpha CHarlier… », s’essaye-t-il avant de partir à rire.
Le tout ne sera pas simple, mais Réjean réussit à rallier différents acteurs : l’organisme Canards illimités, l’Université Laval, des organismes et entreprises de la région, entre autres. Certains propriétaires hésitent toutefois à embarquer, craignant que la médiatisation du problème ne vienne dévaluer leur bien. La suite allait leur donner tort. Le lac est aujourd’hui en voie de rémission et la pandémie a fait grimper la valeur des maisons.
« Je savais que pour y arriver il fallait agir ensemble et non séparément. Créer cette mobilisation a pris un certain nombre d’années », reconnaît Réjean, mais il n’a jamais baissé les bras. Benoit Lemay, un riverain qui s’est joint à la mobilisation, reconnaît que le mouvement doit beaucoup à sa persévérance : « Des fois, je croyais que ça n’arriverait pas, mais Réjean fonçait et on finissait par obtenir des résultats », résume-t-il. « C’est quelqu’un qui n’a pas lâché prise, jamais », ajoute-t-il.
Ce qu’on aimerait, c’est que la rivière Bécancour devienne la Compostelle du kayak et du canot.
Après le lac, la rivière
Réjean prend la pause près du lac alors que je le photographie. Le plan d’eau n’est toujours pas propre à la baignade, mais la qualité de l’eau s’améliore. Il est optimiste : « La Ville de Thetford a mis en place un système de désinfection ultraviolet à la station d’épuration. Elle a aussi créé un bassin de rétention qui va retenir les eaux usées lors de fortes pluies avant leur traitement à l’usine d’épuration », explique-t-il. « Ça a été mis en opération cet été, et on a vu la qualité s’améliorer, même si le bassin de rétention n’était pas encore prêt. »
En 2021, il a quitté le lac à la Truite et ce grand terrain qui demande trop d’entretien, et est devenu locataire au lac William, également traversé par la rivière Bécancour, à une quinzaine de kilomètres de là. Pas question pour autant de se la couler douce. Comme le lac à la Truite, le lac William recueille les sédiments amiantés des haldes situées en amont. Le prochain projet de Réjean avec l’APLTI et le GROBEC? Rendre attrayante la rivière Bécancour, qui sillonne une partie des Appalaches et des terres agricoles du Centre-du-Québec avant de se jeter dans le fleuve. Sa source se trouve au lac Bécancour, à Thetford Mines, où elle entame son parcours de 196 km, déjà hypothéquée par les résidus miniers. « Ce qu’on aimerait, c’est que la rivière Bécancour devienne la Compostelle du kayak et du canot », avance-t-il, les yeux brillants. Dès l’an prochain, un parcours pagayable partira du pont à Chevilles jusqu’au lac William. Le tout devrait un jour se rendre jusqu’au fleuve.
Il souhaite aussi voir se concrétiser le projet de détourner le lit de la rivière, pour revenir à son trajet d’origine. L’itinéraire actuel, trop près des haldes, recueille encore trop de sédiments lors de pluies abondantes. Reconnecter la rivière à la fosse de la mine Lac d’amiante permettrait d’y intercepter les sédiments avant que le cours d’eau ne poursuive son chemin.

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Pas de repos pour les braves
En attendant, ses expériences professionnelles lui ont attiré un nouvel emploi. « Quand j’ai déménagé, une villa pour personnes âgées cherchait un directeur général à mi-temps. Mais c’est finalement pas mal de travail et il y a encore du bénévolat là-dedans », reconnaît-il.
Il songe maintenant à céder la présidence de l’APLTI « lorsque la réappropriation du lit de la rivière Bécancour à son ancien puits sera bien entamé. Mais il faut aussi laisser la place à d’autres », avance-t-il, avant d’ajouter, les yeux rivés sur le lac : « C’est un peu mon bébé. »