
Partie 1/3. Au Nunavik, dans le Grand Nord québécois, les conséquences des changements climatiques se font sentir sur les conditions de vie, notamment sur les bâtiments. La hausse des températures, provoque le réchauffement du sol et fragilise la couche active du pergélisol.
Immense péninsule de plus de 500 000 km2 située dans le Grand Nord québécois, le Nunavik a vu se succéder plusieurs peuples nomades depuis 4 000 ans. Parmi eux, les Inuits, qui seraient arrivés il y a 700 à 800 ans, représentent 90 % des 14 000 habitants de la région.
Le territoire, qui couvre un tiers de la province du Québec, compte aujourd’hui 14 villages. Ils sont, pour la majorité, issus d’anciens postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson ouverts au début du XXe siècle. Cela explique d’ailleurs leur établissement sur les côtes et à proximité de cours d’eau. Les Inuits s’y sont installés dans les années 1950 et 1960, forcés par les autorités canadiennes de se sédentariser. Ils ont alors investi des maisons construites par les autorités, souvent trop petites pour leurs familles, peu résistantes au climat nordique et mal adaptées à la culture et aux modes de vie inuits.

Au fil du temps, et dans un contexte de forte croissance démographique, les villages se sont développés au rythme de divers programmes d’habitation. Dans tous les villages du Nunavik, à l’exception de Kuujjuarapik, une couche gelée en permanence, ce qui le rend extrêmement dur, donc impossible à creuser. À l’origine, les maisons étaient construites directement sur le pergélisol, sans fondations, explique Michel Allard, professeur émérite de l’Université Laval et spécialiste des milieux nordiques. Mais dans les années 1980, les gouvernements provincial et régional ont commencé à les installer sur des remblais granulaires, appelés également « radiers ». Il s’agit d’une couche de graviers compactés épandue sur le sol naturel sur laquelle sont ensuite déposés les bâtiments, généralement dotés de trépieds ajustables qui les surélèvent de quelques dizaines de centimètres. Ce remblai stabilise les maisons en limitant les mouvements du sol liés aux changements de température.

Pergélisol et changements climatiques
À partir des années 1990, le dégel du pergélisol et, plus précisément, de sa couche supérieure va changer la donne. Cette couche, dite « active », subit un cycle annuel de gel et de dégel en fonction des variations de température. Sous l’effet des changements climatiques, plusieurs facteurs, comme l’évolution du manteau neigeux ou la hausse des températures, provoquent le réchauffement du sol et fragilisent la couche active du pergélisol.
« La couche active devient de plus en plus épaisse », explique Pooneh Maghoul, ingénieure et professeure agrégée en génie civil à Polytechnique Montréal. « Imaginons que l’épaisseur de la couche active était d’un mètre il y a cinquante ans. Avec les changements climatiques, elle est maintenant de deux mètres, et [dans le futur] ça va devenir trois mètres. C’est ce qu’on appelle “la dégradation du pergélisol”. »
L’épaississement de la couche active, combiné aux propriétés physiques du sol, entraîne un affaissement plus ou moins prononcé. En cas d’inclinaison, il peut aussi donner lieu à des glissements de terrain, comme ce fut le cas à Salluit en 1998, l’un des villages les plus septentrionaux du Nunavik. À l’époque, cet événement avait entraîné le déplacement de 17 maisons et la construction d’un nouveau quartier.
Mais l’instabilité du sol y est devenue tellement problématique que, quelques années et plusieurs autres glissements de terrain plus tard, la Municipalité a organisé un référendum pour proposer à la population de relocaliser le village sur un sol plus stable. « Des experts nous suggèrent d’aller vers la baie Déception, à une cinquantaine de kilomètres d’ici », confiait le maire de l’époque, Qalingo Angutigirk, à la revue L’actualité.
Risques accrus de glissements de terrain
Tous les pergélisols ne contiennent pas la même quantité de glace. Celui de Salluit, composé de sédiments argileux qui le rendent favorable à la rétention d’eau, contient des « lentilles de glace » qui peuvent mesurer jusqu’à plusieurs centimètres d’épaisseur. Or, comme le volume de l’eau gelée est environ 10% supérieur à celui de l’eau liquide, un pergélisol riche en eau perd d’autant plus de volume et de stabilité lors du dégel. Les sols en pente sont alors plus susceptibles de subir des glissements de terrain, même avec un dénivelé aussi faible que 2%.
Répercussions à grande échelle
Au fur et à mesure de l’élévation de la température moyenne, la problématique de l’instabilité des sols gagne en importance dans tous les villages construits sur du pergélisol. « À Tasiujaq, ils ont asphalté la route, mais le sol a dégelé, ce qui a provoqué des déformations, raconte Allen Gordon, un habitant de Kuujjuaq. La couleur noire de l’asphalte a accentué le réchauffement et contribué [au dégel] du pergélisol. »
Les remblais granulaires ne suffisent d’ailleurs plus à assurer la stabilité des constructions. Les Nunavimmiut ne comptent plus les infrastructures affectées par l’instabilité des sols, qui les fait pencher et se fissurer. C’est notamment le cas dans la corporation foncière de Kuujjuaq, où l’on nous montre les fissures qui fendent le gypse de la salle de réunion.
À Kuujjuaq, il y a bien des bâtisses qui bougent [une fois qu’elles sont installées]. En un an, ça commence à craquer, les portes ne ferment plus, des affaires de même.
« Le mouvement lié au dégel du pergélisol peut entraîner des bris aux bâtiments, ce qui peut mener, ultimement, à des infiltrations d’eau », explique pour sa part Lupin Daignault, directeur général de l’Office d’habitation du Nunavik (OHN).
Pour tenter d’endiguer ce problème, l’OHN, qui gère 90 % des habitations du Nunavik, a d’ailleurs amorcé en 2023 une étude sur les effets du pergélisol dans le but d’établir un plan d’action pour « adapter les méthodes de construction, l’entretien et la modification des bâtiments, pour se préparer à l’avenir ».
Reportage produit dans le cadre des bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).
D’autres dossiers régionaux pour voyager au Québec

POUR LIRE LA PARTIE 2
Adapter l’architecture et la planification territorialePour faire face à la fonte du pergélisol et stabiliser routes et bâtiments, des solutions techniques existent. Il est également essentiel de repenser les stratégies d’aménagement du territoire.