Utiliser des bactéries qui se nourrissent de méthane, un redoutable gaz à effet de serre, pour assainir et dégazer les sites d’enfouissement? C’est possible, selon le Centre de recherche industrielle du Québec, qui a breveté sa découverte.
Les opérateurs de la quarantaine de sites d’enfouissement du Québec, ces pollueurs silencieux, pourraient bientôt recevoir un sérieux coup de pouce de la science. Des chercheurs du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) ont découvert que des bactéries dévoreuses de méthane contribueraient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en nettoyant leurs eaux usées.
Breveté en 2017, ce procédé de biofiltration – c’est-à-dire le recours à des micro-organismes afin d’épurer un liquide ou un gaz – pourrait éventuellement s’appliquer à d’autres activités qui génèrent des GES, comme l’élevage de bovins ou l’extraction d’hydrocarbures. Entrevue avec Nicolas Turgeon, adjoint à la direction Écoefficacité industrielle et environnement du CRIQ, qui démontre que la lutte aux changements climatiques engendre des bénéfices insoupçonnés.
Vos travaux montrent qu’il ne suffit pas d’enterrer nos déchets pour qu’ils arrêtent de polluer. Que se passe-t-il au site d’enfouissement?
Quand on enfouit des déchets dans le sol, en l’absence d’oxygène, des bactéries méthanogènes [ou productrices de méthane] produisent du biogaz. Capté à l’aide de tuyaux, ce biogaz peut être transformé en biométhane valorisable énergétiquement – c’est d’ailleurs le principe de la biomasse. Mais au bout d’un certain temps, le gisement de méthane diminue. On cesse alors de le valoriser pour le rejeter dans l’atmosphère, ce qui est très dommageable pour l’environnement et pour la lutte aux changements climatiques. Ça représente des tonnes de gaz à effet de serre (GES) parce que le pouvoir de réchauffement du méthane est de 21 à 25 fois supérieur à celui du CO2.
La recherche fondamentale s’est posé la question il y a plusieurs années déjà, notamment en Europe : si certaines bactéries sont capables de transformer la matière organique en méthane, est-ce qu’il y en a d’autres qui peuvent faire l’inverse et réoxyder le méthane en CO2, nous permettant ainsi de réduire les GES? La réponse est oui. En effet, les bactéries qu’on dit méthanotrophes ont cette capacité. Pour chaque tonne de méthane qu’elles oxydent, c’est 25 fois moins de tonnes de GES émis dans l’atmosphère.
Donc ce phénomène était déjà connu des scientifiques. Qu’avez-vous fait de plus?
Avec l’aide de deux professeurs, Paul Lessard de l’Université Laval et Michèle Heitz de l’Université de Sherbrooke, nous avons voulu comprendre les conditions dans lesquelles ces bactéries sont efficaces.
La Ville de Québec nous a permis de travailler sur un de ses sites d’enfouissement, où il y avait des problèmes d’émissions fugitives de méthane. Comme d’autres municipalités, Québec a adopté son propre plan de réduction des émissions de GES; capter ces émissions et les biofiltrer en faisait partie. On a fait un biofiltre de 100 m³, sur lequel on a fixé des bactéries méthanotrophes. Un garnissage organique à base de tourbe et de copeaux de bois apportait tous les nutriments nécessaires à ces bactéries. La réduction des GES allait bon train, mais le coût pour la tonne d’équivalent CO2 réduit était supérieur à ce qu’on espérait…
Et c’est grave?
Le marché du carbone est ainsi conçu : il faut réduire les GES, mais au meilleur coût possible! Si les autres technologies tournent autour de 15 à 20 $ la tonne d’équivalent CO2 et qu’on est au-dessus de ça, il est difficile de justifier la mise en place d’un système qui prendrait uniquement en charge le méthane. Mais cette expérience nous a permis de découvrir que ces bactéries peuvent également traiter l’azote contenu dans le lixiviat, c’est-à-dire l’eau qui percole à travers les déchets enfouis et qui s’en écoule. Or, tous les sites d’enfouissement ont l’obligation d’installer des systèmes de traitement du lixiviat, ce qui rend notre découverte tout à fait à propos! Notre brevet, obtenu en septembre 2017, concerne donc le traitement combiné des eaux usées et du méthane.
Par ailleurs, de la même manière que le compostage, l’oxydation du méthane est un procédé fortement exothermique [qui produit de la chaleur]. C’est très intéressant pour les opérateurs de sites d’enfouissement, puisqu’actuellement ils sont obligés de chauffer l’eau pour la traiter, ou de l’entreposer dans les régions nordiques durant la période hivernale. La biofiltration permet aussi de désodoriser d’autres composés chimiques plutôt malodorants, comme des sulfures, qu’on retrouve dans les biogaz des sites d’enfouissement.
On comprend que vous vous attaquez au méthane résiduel, c’est-à-dire celui qu’on retrouve dans des sites en fin de vie utile ou dans des petits sites sur lesquels la valorisation du méthane n’est pas vraiment rentable. Combien de GES est-on capable de supprimer avec cette technologie?
Le projet de démonstration technologique qu’on a réalisé permettait d’éliminer de 100 à 150 tonnes d’équivalent CO2 par année. À l’échelle industrielle, le système serait beaucoup plus grand [que l’élimination du méthane résiduel dans les sites d’enfouissement].
Ce n’est pas un projet qui va remplacer ou éliminer les autres technologies. Quand on a du méthane qui a une valeur énergétique suffisante, il faut le valoriser. Mais quand ce n’est pas le cas, on peut continuer à augmenter la performance environnementale des sites d’enfouissement. C’est aussi vrai pour d’autres sources de méthane industrielles.
Justement, les principales sources de méthane liées à l’activité humaine sont la combustion d’énergies fossiles et l’élevage. Votre technologie pourrait-elle être appliquée à ces domaines?
Le défi est de capter ces émissions avant qu’elles se retrouvent dans l’atmosphère. Dans le secteur minier, par exemple, j’ai vu des applications sur des émissions fugitives dans les pipelines. Dans le cas d’un site d’élevage, on peut imaginer des systèmes de captage qui vont aller chercher l’air le plus concentré des bâtiments, à la manière d’une hotte de cuisine. On peut aussi recouvrir les fosses à lisier – qui recueillent les excréments et l’urine des animaux d’élevage comme le porc – pour capter les gaz et les envoyer dans un biofiltre, ce qui permet en plus de les désodoriser. Je ne dis pas que c’est facile, mais c’est possible!
Maintenant que vous avez obtenu le brevet, quelle est la suite des choses?
Au moment où on se parle, on cherche des partenaires de recherche mais aussi de commercialisation, c’est-à-dire des gens qui vont voir le potentiel de cette technologie et l’intégrer sur le marché. Car au CRIQ, on fait de la recherche et du développement, mais on ne commercialise pas!
Je peux toutefois donner un bon argument de vente pour les opérateurs de sites d’enfouissement : pourquoi n’opteriez-vous pas pour une technologie propre, aussi efficace sinon plus que les technologies conventionnelles, pour traiter vos eaux usées, mais qui en plus réduira les GES, ce qui est potentiellement monnayable par le marché du carbone québécois? Car on travaille actuellement avec le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques dans ce sens.
En somme, il y a donc plusieurs avantages à nourrir les bactéries dévoreuses de méthane!