On entend beaucoup parler d’investissement responsable, mais où placer son argent pour contribuer à la lutte aux changements climatiques? Des experts guident vos premiers pas.
Investissement vert, durable, carboneutre, éthique… Les termes se multiplient et ne nous éclairent pas davantage. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il existe un sigle spécifique dans l’industrie de la finance pour décrire les placements plus responsables : ESG, une abréviation qui renvoie aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qui sont pris en considération dans l’élaboration de ces fonds. La plupart des produits financiers – actions, obligations, fonds communs, fonds négociés en bourse (FNB), etc. – sont offerts dans une version ESG.
Différentes stratégies
Par exemple, en matière de critères environnementaux, vous pourriez placer votre argent dans des entreprises qui recyclent des matières résiduelles, qui sont orientées vers les énergies propres ou qui polluent beaucoup moins que leurs pairs d’un même secteur d’activités.
Sur le plan des critères sociaux, vous favoriseriez des organisations qui, par exemple, soutiennent la diversité culturelle ou la parité hommes-femmes au sein de leur main-d’œuvre, ou qui s’assurent que leur chaîne d’approvisionnement ne repose pas sur le travail d’enfants dans des pays en développement.
Enfin, en matière de gouvernance, vous porteriez attention à l’indépendance du conseil d’administration et à l’absence de conflits d’intérêts, à de saines pratiques de gestion et à la transparence des communications sur les politiques de l’entreprise.
« Il n’est pas toujours possible de remplir ces trois critères au sein d’une même entreprise. En revanche, on peut viser une combinaison de performance sur chacun de ces aspects », explique Bouchra M’Zali, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, et membre du regroupement des Chercheur.e.s en responsabilité sociale et développement durable (CRSDD). « Il faut choisir nos placements en fonction de nos valeurs, des grands enjeux environnementaux et de ceux qui sont déterminants pour l’industrie en question – par exemple les défis de l’acceptabilité sociale et de l’environnement pour les entreprises minières », poursuit-elle.
Les fonds communs qui pratiquent l’investissement responsable au Canada surpassent leurs indices de référence dans 63 % des cas, selon une étude de l’Université de Carleton menée en 2015.
Une autre stratégie pour verdir votre REER est d’appliquer différents « filtres » dans vos choix d’investissement, par exemple de refuser les placements dans des secteurs spécifiques, au premier chef celui des énergies fossiles. Ainsi, les membres de certaines communautés religieuses aux États-Unis et au Canada évitent depuis toujours les sin stocks (les placements du péché), qui financent les industries du jeu, de l’alcool, du tabac et des armes à feu.
Les investisseurs peuvent aussi se questionner sur les pratiques et les émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises minières, du secteur du tourisme et du transport (avions, camionnage, etc.), de l’alimentation et des boissons (il faut beaucoup d’eau pour produire des boissons gazeuses populaires). Bref, il faut réfléchir aux impacts environnementaux des diverses industries.
Tout dépendant de vos valeurs et de votre flexibilité, vous pourriez tout de même investir dans des entreprises du secteur des énergies fossiles, du moment qu’elles se comportent comme des premières de classe dans leur domaine. « Suncor [entreprise canadienne spécialisée dans l’extraction, la transformation et la distribution de pétrole], par exemple, se démarque par sa saine gouvernance, ses relations avec les Premières Nations, le traitement des terrains contaminés, etc. », précise Jean-Philippe Renaut, directeur général des Services d’engagement actionnariat chez Æquo, une firme qui accompagne et conseille les investisseurs institutionnels en matière d’investissement responsable. « Il faut encourager ce type de pratiques pour envoyer un signal clair au marché que les modèles d’affaires de l’industrie du pétrole et du gaz doivent changer », poursuit-il. Ce signal, Æquo le communique en dialoguant directement avec ces entreprises au nom de clients institutionnels.
Sauver la planète?
Placer son argent dans des fonds soucieux des enjeux ESG peut-il vraiment changer la donne pour la planète? Oui, dans la mesure où soutenir et fournir des outils financiers aux entreprises engagées les aidera à se développer, estiment les spécialistes. « Aujourd’hui, ce sont les investisseurs qui ont le gros bout du bâton. Ils ont même davantage d’influence sur les entreprises que les gouvernements », fait valoir Bouchra M’Zali.
Le total des actifs investis dans des placements ESG a bondi de 34 % de 2016 à 2018, pour atteindre 40 740 milliards de dollars dans le monde, selon un rapport de la Global Sustainable Investment Alliance (GSIA).
Bien qu’il se développe depuis 20 ans, le marché du placement responsable explose depuis trois ans, indique Jean-Philippe Renaut, et les rendements, selon le risque, sont équivalents, voire supérieurs à ceux des produits traditionnels. Selon un rapport de 2015 du Morgan Stanley Institute for Sustainable Investing, les fonds communs d’actions responsables atteignaient ou dépassaient le rendement médian des fonds d’actions traditionnels 64 % du temps.
Ces placements résistent aussi mieux en période de crise, parce qu’il s’agit généralement d’investissements qui misent sur le long terme.
Aujourd’hui, de nombreux fonds ESG offerts sur le marché intègrent, à différents niveaux, des critères d’investissement responsable. Pour bien choisir, discutez avec votre conseiller en placements. Jean-Philippe Renaut recommande d’être proactif en posant des questions sur les pratiques des entreprises dans lesquelles vous mettez vos billes.
À cet égard, lire les prospectus et les aperçus des fonds pour s’informer sur leur composition est un bon un exercice. « En général, les fonds affichent également une liste d’objectifs à atteindre, par exemple l’accès à l’égalité des chances, une saine gouvernance, etc. Il faut faire converger vos valeurs avec les enjeux qui sont importants à vos yeux », indique Bouchra M’Zali. Les rapports annuels des entreprises constituent aussi une bonne source d’information sur les pratiques et les bilans environnementaux.
L’Association pour l’investissement responsable, qui représente l’industrie canadienne de l’investissement responsable, fournit également des ressources et indique des firmes et des conseillers possédant une expertise dans ce domaine.