Agir face aux changements climatiques grâce à vos épargnes? C’est possible! En cette saison des REER, voici quelques pistes.
Assurer votre sécurité financière est une nécessité, mais à quel prix pour la planète? Cette question taraude de plus en plus de Québécois qui ne veulent pas investir dans des entreprises polluantes.
Bonne nouvelle, les institutions financières lancent de plus en plus de fonds communs de placement qui excluent les titres de sociétés dont l’activité principale vise l’extraction, le traitement ou le transport de combustibles fossiles. C’est entre autres le cas du Fonds zéro combustible fossile de BMO Banque de Montréal et du Fonds d’actions mondiales sans combustibles fossiles Vision RBC de RBC Banque royale.
D’autres fonds n’investissent que dans des entreprises dont les activités sont liées à l’innovation en matière de développement durable. Par exemple, le Fonds SociéTerre Technologies propres de Desjardins détient des titres d’entreprises axées sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
Pour sa part, le Fonds leaders en environnement NEI, de la société canadienne Placements NEI, se concentre notamment dans les infrastructures hydriques, l’efficacité énergétique, la récupération des déchets et l’alimentation durable.
En 2018, le fonds de Desjardins et celui de NEI ont conquis les premiers rangs du palmarès des fonds qui rendent le monde meilleur publié par le magazine torontois spécialisé en finance durable Corporate Knights.
Un engouement croissant
Depuis 2017, la Caisse d’économie solidaire Desjardins mène la campagne Mon RÉER sans pétrolière qui met en vedette son Placement à rendement social qui, depuis 2008, finance des coopératives, des organismes à but non lucratif et des entreprises d’économie sociale au Québec. Et ça fonctionne : la Caisse a ouvert deux fois plus de comptes au premier trimestre de 2017 que pour la même période en 2016.
Entre 2015 et 2017, les actifs dans les fonds communs de placement pour particuliers dits « responsables » sont passés de 8,26 à 11,07 milliards de dollars, en hausse de 34%.
D’ailleurs, en septembre dernier, Desjardins a bonifié sa gamme SociéTerre, qui est passée de six à neuf fonds. Selon Denis Dion, chef de produit, investissement responsable chez Desjardins gestion de patrimoine, ces produits génèrent de 35 à 75 % moins de gaz à effet de serre (GES) que des fonds comparables. Notons que les trois nouveaux fonds n’excluent pas les pétrolières. Pour l’heure, leurs gestionnaires privilégient la réduction de GES en évitant d’investir dans les combustibles fossiles, mais rien ne garantit qu’il en sera toujours ainsi.
Sans pétrole, est-ce vraiment possible?
Repérez donc des portefeuilles désengagés des énergies fossiles, conseille Bouchra M’Zali, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Or, sachez que bannir les pétrolières de vos placements ne garantit pas nécessairement la réduction globale des (GES).
« Mieux vaut rechercher les produits qui visent à réduire l’empreinte carbone », selon Guy Beaulieu, conseiller principal chez PBI Conseillers en actuariat, une société qui conseille les gestionnaires de caisses de retraite et de fondations en matière d’investissement responsable. En effet, même si certains fonds ou indices boursiers optent pour des actions de pétrolières à cause de leurs bonnes pratiques environnementales, cela ne signifie pas que leur empreinte carbone sera plus élevée, explique l’expert.
La raison? Les gestionnaires de fonds se départissent du même coup des actions d’entreprises d’autres secteurs – et qui peuvent donc figurer dans certains fonds sans pétrole –, mais qui émettent beaucoup de GES.
Il cite en exemple les indices de Morgan Stanley Capital International (MSCI) : l’indice qui exclut les combustibles fossiles émet 173 tonnes de CO2 par million de dollars investis, contre 103 tonnes et 62 tonnes pour les deux indices qui sélectionnent plutôt les titres sur la base de l’empreinte carbone.
19% du S&P/TSX, l’indice utilisé pour évaluer la performance de la bourse de Toronto, repose sur le secteur de l’énergie, en grande partie lié aux combustibles fossiles.
Frank Coggins, professeur titulaire de la Chaire de recherche Desjardins à l’Université de Sherbrooke, est d’avis qu’un fonds qui investit dans le pétrole peut favoriser une diminution de la pollution si le gestionnaire opte pour l’« engagement actionnarial ». Cette démarche consiste à utiliser ses pouvoirs d’actionnaire, comme le droit de vote lors des assemblées annuelles, pour presser les entreprises à adopter des mesures de transition énergétique ou de réduction d’émissions de GES, par exemple.
C’est ce que fait Placements NEI pour ses fonds de la gamme ER, pour « exclusion responsable ». Comme son Fonds d’actions canadiennes ER NEI détient des actions dans la pétrolière Suncor – qui exploite les sables bitumineux d’Alberta –, la société de placement a fait adopter en 2016 une proposition exigeant que l’entreprise publie un rapport sur sa vision de ses activités dans un futur sobre en carbone.
Jamie Bonham, directeur, Engagement des sociétés, à Placements NEI, indique que le dialogue entre actionnaires et dirigeants d’entreprises autour de la question des changements climatiques profite d’une conjoncture favorable. « Au départ, c’était plus dur de les convaincre de l’importance de ce que l’on amenait à la table. Ce n’est plus le cas. »
Investissement responsable
Vous êtes un investisseur autonome? Vous pourriez être tenté par les Fonds négociés en bourse en investissement responsable (FNB IR), aussi offerts par Desjardins, qui écartent les titres des plus grands émetteurs de CO2 au Canada, aux États-Unis ou dans le monde. De plus, Desjardins souhaite lancer un FNB excluant les titres du secteur des énergies fossiles d’ici mars 2019.
Pour sa part, la société de gestion AGF propose déjà le FNB Actions mondiales optimisées Facteurs ESG AGFiQ, qui écarte tout investissement dans les combustibles fossiles.
Les Québécois ont en moyenne 82 108 $ dans leur REER. Les épargnants des Prairies ont les REER les mieux garnis au pays (129 545 $), la moyenne au Canada étant de 101 155 $
Les particuliers peuvent également acheter des obligations « vertes », soit des titres d’emprunt émis par des gouvernements ou des sociétés dans le but de financer des projets de transition énergétique. La Climate Bonds Initiative (CBI) évalue que 389 milliards de dollars ont été investis en obligations vertes en 2018. Les Green Bond Principles de l’International Capital Market Association, qui servent de référence en la matière, réclament une transparence dans l’utilisation et la gestion des fonds amassés par ce type d’obligation.
Et le rendement?
Si leur rendement reste bien moindre que celui des actions sur les marchés financiers, il s’agit d’« une belle classe d’actifs avec laquelle on est assuré que l’investissement est fait comme on le souhaite », affirme Francis Paquette, planificateur financier à la Caisse d’économie solidaire Desjardins.
À cet égard, Desjardins offre depuis 2016 le Fonds SociéTerre Obligations environnementales, qui investit dans des obligations vertes émises à travers le monde. En outre, depuis l’été 2018, Épargne Placements Québec propose des obligations vertes à taux fixe qui serviront notamment à financer la construction du Réseau express métropolitain (REM) dans la région de Montréal.
La société d’investissement montréalaise CoPower vend pour sa part des obligations servant à financer des projets d’énergie propre ou d’efficacité énergétique, comme le système de géothermie résidentiel de l’entreprise québécoise Marmott Énergies, qui a bénéficié d’un prêt d’un million de dollars grâce à ces obligations.
Investir dans des REER sans carbone demande encore quelques efforts. Mais si la tendance se maintient, ce n’est qu’une question de temps avant que les institutions financières ne bonifient leurs options pour alléger l’atmosphère. Agir pour le climat tout en engraissant son p’tit cochon, qui dit mieux?
[DOSSIER SPÉCIAL]