Grignoter le désert alimentaire en Haute-Gaspésie

Nourrir notre monde
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Lutter face aux changements climatiques et s’y adapter tout en bâtissant des communautés autosuffisantes en nourriture. Des résidents de la Haute-Gaspésie travaillent fort pour relever ce double défi!

À Sainte-Anne-des-Monts, ville de 6000 habitants à l’entrée du Parc national de la Gaspésie, un des deux supermarchés, le IGA, a mis la clé sous la porte en 2016. Cette fermeture s’est ajoutée à celles de nombreuses petites épiceries établies sur la route 132, de même qu’à la disparition de la dernière ferme laitière du coin. Éloignée, pauvre et peu peuplée, la Haute-Gaspésie devient peu à peu un désert alimentaire.

Cette situation inquiétante a cependant donné vie, en 2017, à Nourrir notre monde, un mouvement rassemblant des Gaspésiens qui ont l’autonomie alimentaire à cœur : municipalités et commissions scolaires, producteurs et transformateurs, consommateurs. Son rôle : relier différents projets indépendants en agroalimentaire afin de créer des communautés résilientes et solidaires qui dépendront le moins possible d’aliments importés pesant lourd en gaz à effet de serre et, à terme, mettre sur pied une agriculture locale, saine et durable.

nourrir notre monde en gaspésie
Nourrir notre monde encourage notamment les municipalités à tenir des marchés publics pour promouvoir les agriculteurs et producteurs locaux. © René Faulkner

« Il y a une grande préoccupation par rapport à l’accès à l’alimentation en Gaspésie, car beaucoup de résidents ont peu de moyens, n’ont pas de véhicule et habitent loin des épiceries », explique Marie-Ève Paquette, chargée de projet pour Nourrir notre monde. Grâce au réseautage, le mouvement veut favoriser les marchés publics, les jardins et cuisines communautaires, de même que les échanges sur les réseaux sociaux. « Ça peut être simplement de donner des conseils à un groupe de voisins qui veulent élever un cochon ensemble », illustre-t-elle.

«Pourrait-on, par exemple, cuisiner une sauce à spaghetti avec quelqu’un qui sait débiter un orignal?»
Joa B. Lupien

« Parfois, tu veux réaliser un projet, mais il manque un maillon pour y arriver », explique pour sa part Mélanie Simard, copropriétaire des Potagers Les Rangs fous à Sainte-Anne-des-Monts. Elle se souvient par exemple qu’une scierie du coin « ne savait pas quoi faire de sa ripe [sciure de bois]. Or, plusieurs propriétaires de poules ou de chevaux en cherchaient. J’ai partagé l’information, et on s’est créé un petit réseau ».

Nourrir notre monde, qui rassemble une quinzaine de partenaires et quelque 800 membres sur Facebook, est une création de la Démarche intégrée en développement social de la Haute-Gaspésie, un espace de concertation intersectorielle chapeauté par la MRC qui a pour mission d’améliorer les conditions de vie locales.

Nourrir notre monde en Gaspésie
Les chevilles ouvrières de Nourrir notre monde (de g. à d.) : Marie-Ève Paquette, chargée du projet, Joa B. Lupien, «accompagnatrice jardin» et Marie-Christine Lévesque, responsable du volet récupération alimentaire.

L’autonomie alimentaire, ça se cultive

Autrefois très pratiquée, l’agriculture paysanne a presque disparu en Haute-Gaspésie. Mélanie Simard a d’ailleurs dû faire face aux doutes de ses proches lorsqu’elle s’est lancée dans la production de légumes en 2017 : « Mon beau-père a vu ses parents cultiver des patates et des navets, et tirer le diable par la queue. »

Or, des savoirs perdus ne demandent qu’à être récupérés! « Beaucoup de jeunes mangent des trucs dans du plastique ou des aliments congelés et ne savent plus cuisiner », témoigne Joa B. Lupien. Cette résidente de Saint-Maxime-du-Mont-Louis travaille comme « accompagnatrice jardin » dans huit écoles de la MRC de La Haute-Gaspésie, où elle apprend aux enfants à cultiver un potager. Grâce à Nourrir notre monde, elle aimerait créer de nouvelles synergies. « Pourrait-on, par exemple, cuisiner une sauce à spaghetti avec quelqu’un qui sait débiter un orignal? »

Nourrir notre monde en gaspésie
Difficile de produire un jus de pomme plus artisanal!

Toujours à Saint-Maxime-du-Mont-Louis, Yan Levasseur est un programmeur informatique qui n’a pas chômé depuis son arrivée dans la péninsule en 2011. Il fait partie de ceux qui ont démarré la coopérative Le levier des artisans et la Pépinière des pionniers, entités à l’origine du projet des Anges-Jardins, qui veut faire connaître le potentiel agricole de la Gaspésie. Ainsi, trois haltes nourricières (des mini-vergers accessibles aux résidents) ont notamment été aménagées il y a deux ans à Rivière-à-Claude, à Sainte-Anne-des-Monts et à Cap-Seize.

« Beaucoup de gens pensent que les arbres fruitiers ne poussent pas en Gaspésie, affirme Yan Levasseur. Il est pourtant possible de produire pommes, cerises, prunes, framboises, abricots ou encore kiwis rustiques! Je pense que les gens seront impressionnés par la quantité de fruits que nos vergers produiront. »

Des fruits chiches en carbone

En consommant des abricots locaux plutôt que des abricots provenant de Turquie, on évite de les transporter sur une distance de 7700 km, une économie en gaz à effet de serre (GES) équivalente à 871 kg de CO2. Pour ce qui est des kiwis, on évite un transport de Chine ou d’Italie, soit 1300 ou 710 kg d’éq. CO2 en moins dans l’atmosphère.

Résilience payante

Malgré son climat rigoureux et son isolement, la Haute-Gaspésie a de nombreuses qualités, pense ce pépiniériste. « Puisqu’il n’y a pas d’agriculture industrielle et qu’il n’y a pas d’utilisation de pesticides dans la région, c’est plus facile de produire des aliments bio. En plus, les terres sont peu chères, et comme l’offre alimentaire est réduite, il y a un marché à saisir. Le défi cependant est d’atteindre une masse critique pour être rentable. » Nourrir notre monde aimerait aider les producteurs à y arriver : « On a déjà un panier de légumes d’hiver qui vient de la baie des Chaleurs, dit Marie-Ève Paquette. On veut que ce panier devienne à 80 % local de la Haute-Gaspésie au cours des trois prochaines années. »

Alors que Nourrir notre monde prend de l’expansion partout en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, le mouvement se structure maintenant en organisme sans but lucratif. « Le Plan d’action sur les changements climatiques du gouvernement du Québec reconnaît l’apport des initiatives locales de résilience comme la nôtre, donc nos projets seront admissibles à du financement », se réjouit Marie-Ève Paquette.

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Les jardiniers du cœur

« S’alimenter avec des légumes locaux, cultivés de façon écologique est une solution à la crise climatique, mais cela génère des inégalités », soutient Gabriel Leblanc, cofondateur de la Ferme de la Dérive fondée en 2017 près de Rimouski. En effet, nombre de Québécois n’ont pas les moyens d’acheter des légumes locaux, ceux-ci étant souvent plus chers que les produits importés vendus en épicerie.

Pour remédier à ce problème, cette ferme de moins d’un hectare a noué des partenariats avec des organismes rimouskois, comme le Centre-femmes. « On vend à cet organisme des légumes vraiment pas cher qui sont ensuite distribués à des femmes en situation précaire, explique Gabriel Leblanc. Par exemple, nos courges sont vendues 1 $ la livre et nos grosses tomates 1,50 $ la livre. On organise aussi des ateliers de cuisine. »

Gabriel Leblanc dans son élément, ses champs. © Rémy Bourdillon

Les trois fondateurs de la Ferme de la Dérive – nom choisi parce qu’on y dévie du modèle agroalimentaire dominant – se versent un salaire modique et ne paient presque rien pour leur terre, située sur la ferme coopérative à vocation sociale SageTerre. La Dérive participera au programme Jardins de solidarité du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, qui vise à augmenter la quantité de fruits et de légumes distribuée aux personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale. « Il faut faire don de 75 % de notre récolte à des organismes offrant de l’aide alimentaire, et le projet doit inclure un volet d’insertion sociale, explique Gabriel Leblanc : ça correspond à notre mission! »