Salsa verde sans GES

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© Perrine Larsimont
Created with Lunacy 3 min

Manger latino, est-ce synonyme de longs et polluants transport d’aliments par avion? Pas nécessairement! Grâce à une agricultrice d’origine bolivienne, des légumes et fines herbes nés dans les Andes sont maintenant produits en périphérie de Montréal. Hola jalapeño, cucamelon, pápalo… et adiós gaz à effet de serre!

En ce dimanche de fin d’automne, le va-et-vient des agriculteurs réchauffe l’air froid d’un joyeux brouhaha dans la grande cour de la Ferme du bord du lac. Situé sur l’île Bizard, dans l’Ouest de l’île de Montréal, cet « incubateur » accueille une dizaine de petites entreprises agricoles afin de leur donner un coup de pouce dans le démarrage de leurs activités. « Sylvia? Elle est là-bas! » indique une travailleuse, montrant du doigt un petit point fuchsia qui s’active dans le fond du champ.

L’ingénieure agronome d’origine bolivienne Sylvia Meriles est la fondatrice de l’une des entreprises qui prennent racine sur ces terres, Les jardins épicés. De juin à novembre, elle y produit des légumes et des herbes aromatiques comme la laitue et les oignons, mais aussi des produits d’Amérique latine comme le piment jalapeño, le concombre cucamelon, les tomatilles ou le pápalo (la coriandre bolivienne), qui figurent parmi ses spécialités. Avec quelques adaptations, ces végétaux aux noms exotiques survivent bien au climat québécois, explique la maraîchère.

« Ici, il y a plus d’heures de soleil qu’en Bolivie », dit l’agricultrice qui commence ses cultures tardivement par rapport au calendrier sud-américain. « Sauf pour le caigua! » précise-t-elle, une espèce de concombre creux dont les semis mettent cinq à six mois à donner des fruits.

Sylvia Meriles
Sylvia Meriles cultive une trentaine de légumes et d’herbes différents. © Perrine Larsimont

Proches et bios

Soucieuse de proposer une agriculture de proximité, Sylvia Meriles compose paniers et commandes pour les particuliers et les restaurateurs de la région montréalaise, qu’elle livre dans un rayon de 30 km. « J’ai vu qu’il y avait une demande pour des produits locaux qui ont une vraie saveur. Et puis j’aime ça, regarder quelqu’un voyager quand il goûte un légume », dit-elle en souriant.

Ces produits exotiques cultivés à proximité de leur point de chute ont l’avantage d’alléger l’atmosphère (voir encadré). En prime, ils sont sans danger pour la santé humaine ou celle de la planète : selon un rapport du Groupe Agéco – un cabinet-conseil spécialisé en études économiques dans le secteur alimentaire –, l’une des « barrières » principales à la production de légumes exotiques au Québec est qu’il n’existe « pas ou peu » de pesticides reconnus pour les cultures non traditionnelles. Sylvia Meriles enjambe l’obstacle en proscrivant tout bonnement le recours aux substances chimiques, tant pour les pesticides que pour les engrais : « Pour les produits exotiques, c’est vraiment juste du compost », insiste l’agricultrice, dont les végétaux sont certifiés bios. Pour le reste de la production, comme les tomates et les piments doux, « j’utilise des émulsions de poisson pour donner un boost de fertilisation ».

Les légumes importés, sources de gaz à effet de serre

En 2016, la valeur totale des importations bioalimentaires internationales représentait 23 % des achats alimentaires au Québec, selon le ministère de l’Agriculture des pêcheries et de l’Alimentation. Les distances liées à l’acheminement des marchandises ont un impact direct sur l’empreinte carbone du secteur des transports, qui reste le principal émetteur de gaz à effet de serre (GES) au Québec.

Si on devait faire venir du cucamelon du Mexique en camion par exemple, il aurait parcouru plus de 4000 km pour arriver à Montréal, pour une émission de GES d’environ 5 tonnes d’équivalent CO2, selon le calculateur du Fonds d’action québécois pour le développement durable.

Un marché à développer

L’idée de lancer Les jardins épicés a germé dans la tête de l’entrepreneuse en 2012, cinq ans après son arrivée au Québec, le jour où elle a rendu visite à une amie bolivienne qui conservait précieusement un plant de pápalo dans un pot. « Ça avait beaucoup de valeur pour elle, alors que c’est une épice très répandue en Bolivie. C’est là que j’ai compris qu’elle n’y avait pas accès ici parce qu’il n’y a pas de demande », explique Sylvia.

Ça fait tilt dans sa tête : elle commence alors à mettre sur le marché les herbes importantes des cultures latino-américaines : le huacatay pour les Péruviens, l’epazote pour les Mexicains et bien sûr, le fameux pápalo bolivien. L’entreprise sera lancée l’année suivante.

Sylvia Meriles fait pousser des camote, la patate douce des Andes. © Perrine Larsimont
Le pápalo, aussi appelé coriandre bolivienne, a un goût et un parfum uniques. @ Jardins épicés

À ce jour, Sylvia Meriles cultive une trentaine de légumes et d’herbes différents sur un terrain d’un demi-hectare et dans une serre de 300 m2. « J’essaie encore de réduire le terrain en étant plus productive, plus efficace », confie-t-elle. Mais le succès a un prix. Si, les premières années, légumes et herbes exotiques comptaient pour 80 % de la production de l’agricultrice, ils représentent aujourd’hui 5 à 10 % de sa récolte, faute de demande. « Avec tristesse, j’ai dû réduire les proportions parce que le marché n’existe pas encore », explique-t-elle, sans toutefois abandonner l’espoir d’y revenir un jour.

En attendant, les affaires tournent rondement, et la clientèle que Sylvia prenait autrefois en chasse sur les forums en ligne vient désormais à elle : la maraîchère livre une cinquantaine de paniers de légumes courants par semaine de la mi-juin au mois de novembre, en plus des mises en marché et des commandes de restauration. Cette one-woman operation bénéficie en outre du soutien de quelques employés à temps partiel durant l’été. 

 

Les Jardins epicés Sylvia Meriles
Sylvia Meriles prépare sa terre avant l'hiver. © Perrine Larsimont

L’arrivée du gel sonne l’heure des dernières récoltes pour l’agricultrice, qui reprendra ses activités au mois de mars. « Chaque année, je fais des petites expériences pour tester de nouvelles espèces de légumes ou d’herbes, voir si ça me donne le goût, s’il y a un bénéfice possible… », raconte-t-elle. Sylvia Meriles profitera-t-elle de l’hibernation pour embellir son offre de nouveaux produits? Réponse en 2019.

Envie de faire pousser un bout d’Amérique latine dans votre cour?

En plus d’épices et de légumes d’ici et d’ailleurs, Sylvia Meriles vend des semences et des plantes : huacatay, pápalo bolivien, caigua, epazote et courge géante de Bolivie.