
Au cours d’une expédition scientifique et humaine hors du commun à bord d’un voilier, sept chercheuses ont documenté l’omniprésente pollution plastique et microplastique dans le golfe du Saint-Laurent.
Imaginez. Vous vous réveillez au cœur d’un petit archipel paisible, après une grande traversée de nuit sur le fleuve. Il est 7 h, vous passez la tête à l’extérieur du navire pour observer les paysages. La mer est d’huile, une colonie de macareux se fait entendre au loin, l’atmosphère est magnétique.
C’est l’une des expériences envoûtantes qu’ont vécues les seize personnes à bord du voilier ÉcoMaris, belle bête de 56 tonnes, lors de l’expédition bleue organisée en septembre dernier. La joyeuse cohorte a vogué pendant trois semaines, de Sept-Îles vers l’île d’Anticosti, Terre-Neuve-et-Labrador et les Îles-de-la-Madeleine. « On a vécu des moments complètement surnaturels et capotés », lance Anne-Marie Asselin, cofondatrice de l’Organisation bleue, à l’origine du projet.

Le groupe comptait sept femmes, dont certaines issues de la communauté LGBTQIA2S+, expertes en biologie marine, ingénieures, mais aussi créatrices littéraires. Elles étaient accompagnées d’un groupe de production documentaire pour immortaliser le voyage et de l’équipage de l’ÉcoMaris. Le tout, selon des valeurs d’inclusivité et dans l’objectif d’élever la voix des femmes et des groupes sous-représentés dans la recherche.
Le projet cochait toutes les cases du Réseau Québec maritime (RQM) et de son programme Temps-navire, qui a financé une grande partie de l’initiative, permis l’accès au fleuve et affrété le voilier. « Nous voulions minimiser notre empreinte carbone avec l’ÉcoMaris », explique Viridiana Jimenez-Moratalla, conseillère aux communications du réseau et biologiste marine, qui a participé à l’aventure.

Du plastique à perte de vue
Si la beauté des paysages québécois aux couleurs automnales a marqué les esprits, l’omniprésence du plastique a bouleversé l’équipe. Dans des zones naturelles et reculées, elles ont ramassé un quart de tonnes de déchets à la main. Cela représente l’équivalent d’un gros ours noir mâle adulte qui se baladerait sur le navire.
« C’est troublant et alarmant de constater à quel point tout ce qu’on jette depuis les villes, en amont, s’accumule en aval avec les courants marins, souligne Anne-Marie Asselin. Partout, on a vu des couches et des couches de plastique, des filets de pêche, des cordes. » Tous ces débris s’accumulent et deviennent des gyres, d’immenses tourbillons d’eau formés par un ensemble de courants marins.


Pas vraiment réjouissant, notamment parce que les plastiques émettent des gaz à effet de serre (GES), selon les travaux de la chercheuse Sarah-Jeanne Royer, basée à Hawaï. Elle et son équipe ont comparé les émissions des plastiques sous forme de billes et de poudre. « On a réalisé qu’il y avait environ 500 fois plus de méthane émis par la poudre, pour la même quantité, affirme-t-elle. Ça veut dire que plus le plastique se dégrade, plus il émet des GES. »
Le plus problématique des plastiques, selon Sarah-Jeanne Royer, c’est le polyéthylène de basse densité. Moins cher et moins solide, il est très présent dans les objets à usage unique et émet plus de GES que les autres. Par ailleurs, le polyéthylène et d’autres types de plastiques ont la capacité d’absorber des polluants, comme le plomb et les pesticides. Une fois libérés, ces produits peuvent avoir des effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine, tels que des lésions neurologiques.
Monitorer le Saint-Laurent, c’est prendre le pouls de la santé globale des écosystèmes océaniques, car le golfe est une petite mer intérieure
Les sources de microplastiques
Lorsqu’ils mesurent moins de 5 milimètres, les débris entrent dans le club des microplastiques « primaires », c’est-à-dire qui sont fabriqués directement à cette taille, comme les microbilles ajoutées à certains cosmétiques. Les microplastiques « secondaires » proviennent quant à eux de la fragmentation d’objets plus grands, comme les emballages alimentaires et même les pneus, à force de frotter sur la route.

Laura Rowenczyk a conçu une pompe spéciale pour collecter des échantillons d’eau du fleuve. « Parmi les microplastiques retrouvés dans les eaux de surface, 80% sont des fibres de polyester, de rayonne ou de nylon », révèle-t-elle. La chercheuse ne peut le dire avec certitude, mais une hypothèse plausible est que les particules proviennent de la production de vêtements ainsi que des débris provenant de la pêche.
Vous voyez les petites mousses dans la laveuse et la sécheuse ? Ce sont les restes de matériaux synthétiques comme le polyester et le nylon, qui représentent 35% de la pollution plastique dans les océans. Selon Oceanwise, jusqu’à 878 tonnes de ces microfibres pourraient être rejetées annuellement par les Canadiens et Américains, soit le poids d’environ 10 baleines bleues.
Actuellement chercheuse à Polytechnique Montréal, Laura Rowenczyk s’intéresse aussi aux nanoplastiques, qui mesurent moins de 1 micromètre. « Le plastique et le microplastique flottent dans l’océan, car leur densité est plus faible que l’eau, indique-t-elle. Au niveau nano, ça se retrouve à toutes les profondeurs. » La recherche à ce sujet en est encore à ses balbutiements, mais ces particules pourraient traverser la paroi intestinale de certains poissons, rentrer dans leur circulation sanguine et se loger dans leur cerveau.
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En mode solutions
Malgré ces constats désolants, les sept héroïnes sont déterminées à agir. Océanographe de formation devenue entrepreneure, Geneviève Tremblay a créé une entreprise qui commercialise un legging rejetant 80% moins de microfibres dans les cours d’eau. « On a mis au point une fibre qui se dégrade en 4 ans plutôt qu’en 400 ans », affirme la fondatrice de Moov Activewear. Son objectif est de rendre ce tissu 100% biodégradable à terme.
L’Organisation bleue prépare également la publication d’un livre ainsi qu’une exposition d’art visuel dont les pièces seront faites avec les déchets revalorisés. « Grâce à la multidisciplinarité de l’équipe, on peut communiquer différemment la science », lance Anne-Marie Asselin. Elle espère que d’autres expéditions auront lieu.
« Monitorer le Saint-Laurent, c’est prendre le pouls de la santé globale des écosystèmes océaniques, car le golfe est une petite mer intérieure, souligne-t-elle. La pollution émerge de chez nous, donc c’est à nous de la gérer et de trouver des solutions innovantes pour protéger nos précieuses ressources naturelles. »
Après un tel voyage, les coéquipières se sentent habitées par quelque chose de profond. « C’est impossible de rester insensible », témoigne Viridiana. Toutes se souviennent d’une nuit magique, où le ciel fardé d’aurores boréales s’est mêlé à la bioluminescence du plancton dans l’eau.
